Un petit texte :
"Le sentier s'ouvrait comme un porche ténébreux dont
la voussure ogivale flamboyait dans le soleil, et
dont le faîte, ainsi qu'un tablier de pont jeté
entre deux arêtes sombres, s'ourlait d'un parapet
tout vibrant de lumière. Sur le sol battu comme une
aire, où le vent coulait en frais courant, clapotant
aux feuilles des bords, d'immenses racines,
déchaussées par le passage des humains,
s'élançaient, le coupant en travers et ressemblaient
à des tronçons de serpents géants dont les noeuds
auraient simulé d'étranges verrues, et de qui la
tête et la queue seraient restées enfouies dans un
sinistre enlacement de ronces, de branches pourries
et de feuilles mortes. Parfois un grattement de rat,
frémissant dans les rameaux cassés et agitant de
petits sautillements ce fouillis morbide et vénéneux
avec le bruit d'une tête qui se lève ou d'une queue
qui frétille, donnait plus encore à ces masses
noueuses l'illusion sinistre de la vie.
Des coudriers et des aulnes, en cet endroit moins
touffu, avaient réussi à vivre et formaient un
semblant de barrière lâche, à claire-voie,
s'allongeant le long du sentier comme une chaîne
souple, frêle, flottante, aux maillons par endroits
cassés d'une morsure de serpe et que venait heurter,
de place en place, l'élan vigoureux et non contenu
d'une branche basse de charme ou de hêtre.
Le soleil caressait les faîtes, cherchant comme un
indiscret ami à s'insinuer dans le mystère familial
du haut taillis, décochait d'espace en espace
quelques rayons inquisiteurs qui venaient s'aplatir
ou ricocher sur la terre après s'être insidieusement
faufilés entre les branches moins feuillues
d'alentour, mais de temps à autre aussi, comme si
les grands vétérans de la forêt, responsables de ses
destinées, eussent été soucieux de n'en rien laisser
surprendre à un intrus, le vaste essor touffu d'un
rameau de chêne, sentinelle avancée dans le ciel,
s'étendait en haut comme une main pudique pour
cacher cette espèce de nudité partielle à tout
regard indiscret.
Attentif aux bruits, égayé d'un rayon de soleil,
d'un vol d'oiseau, d'un bourdonnement de mouche,
Guerriot s'arrêtait parfois au faîte d'un rameau
balancé, saluant l'espace, défiant le vide, et
repartait de plus belle dans une détente fantastique
de muscles, un explosion de nerfs qui le faisaient
jaillir plus haut que son but sur lequel il
retombait gracieux en un ploiement élastique des
branches, les pattes en avant, la queue droite, les
griffes tendues comme des crampons solides et sûrs."
Le fatal étonnement de Guerriot
[l'écureuil] - De Goupil à Margot – Louis
PERGAUD