Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°724 (2020-25)
mardi 23 juin 2020
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Marguerite - Leucanthemum vulgare Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) samedi 16 mai 2020 Sceau de Salomon multiflore - Polygonatum multiflorum Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) samedi 16 mai 2020 Géranium
des bois - Geranium
sylvaticum Aubépine - Crataegus sp. Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) samedi 16 mai 2020 Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) samedi 16 mai 2020
Pissenlit - Taraxacum officinale Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) samedi 16 mai 2020 Viorne obier
- Viburnum
opulus
Bouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) samedi 16 mai 2020 Tréfle - Trifolium sp.
Véronique
petit-chêne - Veronica
chamaedrysBouverans, Entonnoir (Haut-Doubs) samedi 16 mai 2020 Courvières (Haut-Doubs) mardi 19 mai 2020 Fleur du
Choux "Kale"
Courvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Groseiller
Courvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Fleur du
Choux "Kale" La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Cymbalaire - Cymbalaria muralis La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020
Consoude La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Colombine
panachée -
Thalictrum aquilegifolium
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Rumex
Lunaire vivace
- Lunaria
redivivaLa Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Ceraiste - Cerastium Courvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Géranium
herbe à Robert - Geranium
robertianum
Fraisier des
bois - Fragaria
vescaCourvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Courvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Trèfle des
prés - Trifolium
pratense
Bugle rampante
- Ajuga
reptansCourvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Courvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Crépide
bisannuelle - Crepis
biennis
Luzerne
lupuline - Medicago
lupulinaCourvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020 Courvières (Haut-Doubs) jeudi 21 mai 2020
Iris,
après la pluie... La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 24 mai 2020 Coquelicot,
après la pluie...
La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 24 mai 2020 <image recadrée> dimanche 24 mai 2020 Lierre
terrestre - Glechoma
hederacea
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 27 mai 2020 Gesse - Lathyrus
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 27 mai 2020 Ortie
dioïque- Urtica
dioica
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 27 mai 2020 Geranium (cultivé)
Courvières (Haut-Doubs) mercredi 27 mai 2020 Coquelicot -
Papaver
Courvières (Haut-Doubs) samedi 30 mai 2020 Crépide
bisannuelle - Crepis
biennis
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 31 mai 2020 Lotier
corniculé - Lotus
corniculatus
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 31 mai 2020 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 31 mai 2020 |
"Sainte-Marine
Si je reviens au village de mon enfance, ce village d'été où je suis allé chaque année, sitôt l'école finie, Sainte-Marine, je ne reconnais aujourd'hui à peu près rien. La longue rue qui va de l'entrée vers la pointe de Combrit est toujours bien là où elle était, pas plus large ni rectiligne. Je vois la cale du port, les vieilles maisons, l'abri du marin, la chapelle mignonne. Tout est à la même place, mais quelque chose a changé. Bien sûr le temps est passé, sur moi et sur les maisons, le temps a usé et repeint, a modifié l'échelle, a modernisé le paysage. La route est goudronnée, et surtout bariolée de peinture blanche, ces signalisations qui tracent les places de stationnement, créent des chicanes, des pointillés, des stops. On a construit des ronds-points pour contrôler le flux des voitures, des portiques en bois pour interdire le passage des camping-cars, des panneaux pour réglementer le stationnement, des bornes et des arceaux pour l'interdire. Les cafés sont apparus, les crêperies avec terrasses et parasols, les magasins de cartes postales et de souvenirs. Tout cela brille d'un vernis de modernité provinciale, une sorte d'imperméabilisant pour rendre le village étanche au temps, pour le protéger des atteintes contre le passé, un vernis au tampon sur un meuble d'antiquaire. Aujourd'hui on entre dans Sainte-Marine en voiture, mais on ne s'y arrête pas. L'été, le flot des visiteurs est si important qu'il faut continuer sa route, aller jusqu'au cap, peut-être le temps d'une photo, et revenir en arrière. On entre, puis on s'en va. C'est ici pourtant que j'ai vécu tous ces jours, chaque année, chaque été, que j'ai rempli ma tête d'images, que j'ai découvert mon enfance. Difficile de connecter le village d'hier à ce qu'il est devenu. Bien sûr le monde a changé. Sainte-Marine n'est pas le seul endroit. Comment se fait-il qu'ici cela m'affecte davantage ? Quelle image ai-je gardée au coeur, comme un secret précieux, dont la caricature me trouble plus qu'aucune autre, me donne le sentiment d'un trésor volé ? Sainte-Marine, c'était cette longue rue que nous abordions, ma famille et moi, chaque été, venant du sud de la France à bord de la Renault Monaquatre antédilivienne de mes parents, pour trois mois de vacances idéales, de liberté, d'aventure, de dépaysement. Le coeur de Sainte-Marine, quand nous arrivions, c'était moins la chapelle que la bac, cet extraordinaire pont flottant de ferraille qui glissait en grinçant deux fois par heure le long de ses chaînes à travers l'estuaire de l'Odet. La construction du gigantesque (et probablement inutile) pont appelé pompeusement pont de Cornouaille, en amont de l'estuaire, a été la cause et l'évidence du changement. Au temps du bac, on ne traversait as volontiers. C'était lent, bruyant, cela sentait le cambouis et chachait les chaussures. Et pour quoi faire ? Pour aller de l'autre côté de la rivière, à Bénodet, où il n'y avait rien. Où tout le monde se massait en été sur les plages, sur les terrasses de café, dans les campings. De l'autre côté, la modernité était déjà arrivée, et c'était suffisant de l'imaginer de ce côté de la rive, et on y tenait vraiment, de monter sur le bac avec les camionnettes et les vélos. Ça ne coûtait rien, ça ne rapportait pas grand-chose. Dans mon souvenir, une petite pièce – cent sous aurait dit ma grand-mère. Ou peut-être moins. Ou peut-être rien, pour des gosses de dix ans qui sautaient sur le pont au moment où le bac démarrait. La traversée durait dix minutes, mais les jours de forte marée, ou quand le vent soufflait, le bac tirait sur sa chaîne et dérivait en grinçant dans l'estuaire, secoué par le clapot de la mer et les remous du fleuve. De l'autre côté, c'était un autre monde : Bénodet, en ce temps-là, c'était la ville, le rendez-vous des vacanciers, des campeurs. Passer de Sainte-Marine à Bénodet, c'était franchir une frontière qui séparait la Bretagne oubliée, traditionnelle, un peu arriérée, du pays moderne, avec ses routes, ses hôtels, ses cafés, ses cinémas, et surtout ses plages couvertes de parasols, débordantes de baigneurs. Je ne sais pas si ces choses-là sont importantes pour les enfants. Je ne me souviens pas d'avoir été très intéressé par la modernité, par le bruit et la foule. Mais elles ont dû l'être pour les adultes puisqu'ils ont décidé un jour que le vieux bac rouillé et le long détour par les quais de Quimper ne suffisaient plus et qu'il fallait construire un pont pour laisser passer les voitures et les touristes. Le pont de Cornouaille est magnifique. Je ne l'ai pas vu se construire – à cette époque nous avions déjà cessé d'aller en Bretagne. Le trajet depuis Nice était trop long pour la vieille voiture et mon père avait sans doute envie de voir autre chose. Et nous-mêmes nous avions grandi, mon frère et moi, nous préférions les mois d'été dans la touffeur de Nice, ou bien aller dans le sud de l'Angleterre, à Hasting, à Brighton, pour découvrir les milkbars et les filles. Des années plus tard, je suis revenu, et j'ai emprunté le pont. Pour le réaliser on a tracé un réseau de routes à trois ou quatre voies, des ronds-points, des bretelles. Le pont à cette époque était payant dans un sens, gratuit dans l'autre (ce qui était notoirement contraire à tous les usages en Bretagne). Autrement dit, c'était une entreprise. Les banques avaient dû s'en mêler. Sur le pont, on survole l'embouchure de l'Odet, à la hauteur d'un vol de goéland. J'ai été étonné de voir à quel point la hauteur de cette construction avait rapetissé le paysage. L'Odet, quand nous voguions en plate en traînant une ligne, paraissait grand comme l'Amazone, avec le mystère des rives brumeuses, les tourbillons dans l'eau noire, et l'ouverture sur la haute mer, vers les Glénan. C'est devenu, à l'ombre du pont, un bras d'eau tranquille, provincial, étriqué, moucheté de petits bateaux blancs attachés à des corps morts. En quelques années, l'estuaire sauvage s'est transformé en parking à plaisanciers, une sorte d'esplanade d'eau verte encadrée de maisons et d'arbres, une ria. J'ai essayé d'imaginer l'impression que cela pouvait faire à deux gosses occupés à godiller entre les jambes du pont, sous le grondement répétitif des autos en train de franchir l'estuaire à soixante kilomètres à l'heure, à trente-cinq mètres de hauteur. Cela a pris un air urbain, définitif, c'est puissant et inamovible comme un barrage. Je ne suis jamais retourné sur le pont. Si j'essaie de reconstituer la Sainte-Marine de mon enfance, c'est d'abord la rue qui m'apparaît, cette très longue rue de terre graveleuse qui partait de l'entrée du village, près de l'école, et conduisait jusqu'à la pointe, avec, de chaque côté, les maisons alignées. Cela devait me paraître normal, mais c'était déjà un habitat composé, métis je voudrais dire. Alternance de maisons bretonnes, la plupart pauvres, bâties en pierres mais crépies de ciment gris, avec leurs volets rustiques, les portes basses parfois décorées de linteaux, les toitures d'ardoise moussue avec les chaînons de faîtage visibles, les cheminées de brique. Certaines si pauvres et si anciennes qu'elles avaient toujours leurs murs de granite, leurs fenêtres étroites et leurs toits de chaume. Elles protégeaient à l'arrière des jardinets plantés d'ails et d'oignons, des haricots, des patates. Et, au beau milieu de tout cela, arrogantes et prétentieuses, les villas des « Parisiens » avec de grands parcs donnant sur les rives de l'Odet, cernées de hauts murs de pierre qui laissaient apercevoir les pignons et les tours, et de lourds portails de fer forgé peints en vert sombre, ouverts sur des allées de gravillon blanc, avec plates-bandes fleuries, massifs d'hortensias bleus, buissons de camélias. Ce qui faisait de
Sainte-Marine un village à part, c'était l'absence
de commerces, sans doute par défaut plutôt que par
goût du luxe (quoi de plus luxueux aujourd'hui
qu'une rue sans boutiques ?), parce que de fait
chacune de ces maisons modestes était un endroit où
on pouvait acheter, selon l'occasion, un poisson,
des crevettes, un crabe, ou simplement quelques
légumes terreux arrachés au jardin. L'unique
boutique digne de ce nom, c'était un magasin à tout
vendre, qui appartenait à la ferme Biger (de
Poulopris). On y entrait de plain-pied, juste en
poussant la porte munie d'une sonnette aigrelette,
et on achetait ce qu'on trouvait : des conserves (du
lait condensé, des sardines en boîte, des petits
pois), du vin au litre (du vin d'Algérie qui portait
le nom étrange d'Allah Allah, ce qui alors ne
choquait personne), des légumes secs en vrac, et des
choses aussi indispensables que des rouleaux de
papier hygiénique, des allumettes (et des
cigarettes), et surtout, ce qui m'émerveillait, de
la confiture gélifiée vendue à la louche, dont je
n'ai pas oublié le goût, même si je suis incapable
de dire s'il était de la pomme, du raisin ou du
coing. La boutique Biger était aussi l'unique dépôt
de pain, des miches définitivement industrielles
fabriquées à Quimper, toujours dures et rassies à
tel point que les gosses chargés de les ramener à la
maison s'en servaient comme de tabourets pour se
reposer le long du chemin. Mes parents en achetaient
rarement, ayant décidé une fois pour toutes qu'il
valait mieux manger des crêpes que cet affreux pain
trop blanc. L'un des points névralgiques de Sainte-Marine, non loin de la maison Biger, c'était la pompe communale. Elle était chargée officiellement de fournir l'eau potable aux habitants. Chaque maison, chaque ferme était pourvue d'un puits ou d'un réservoir à eau de pluie en pleine terre, mais le voisinage du purin et des fosses septiques rendait l'eau dangereuse à consommer. L'eau des gouttières alimentait aussi des bassins, mais les toitures imprégnées d'embruns donnaient une eau saumâtre, tout juste bonne à se laver, ou à laver le linge. Les champs alentour avaient commencé à être copieusement arrosés de produits chimiques pour lutter contre l'invasion des parasites, notamment les doryphores dont il sera question plus loin. Les fermes d'élevage de poules et de porcs n'avaient pas la dimension qu'elles ont aujourd'hui - dans certains endroits, ce sont des poulaillers de deux cent mille poules ! - mais leurs déjections avaient commencé à élever le taux de nitrates. Nous n'avions pas atteint les niveaux de pollution actuels, mais on s'en approchait. Du reste, il n'existait pas encore d'eau en bouteille - sauf peut-être pour les nourrissons, et cette autre engeance délicate venue passer les vacances et qui devait en apporter des cargaisons dans ses autos. On ne trouvait ni filtres, ni réglementation officielle affichée au-dessus de la pompe. L'unique source d'eau potable était donc cette pompe à bras, au bord de la route, qui puisait l'eau dans un puits profond relativement préservé. C'était notre tâche, à nous les enfants, et à tous les enfants du village, d'aller deux fois par jour chercher l'eau à la pompe. Lorsque je suis retourné visiter Sainte-Marine, dix ans plus tard, j'ai constaté que la pompe était toujours là, mais hors d'usage, verrouillée, peinte en vert pomme. Devenue un objet décoratif, une sorte de fétiche du temps jadis, pour les nostalgiques, au même titre que les rouages des chaînes du bac ou les bornes kilométriques. Ornée de bouquets de fleurs, comme une vieille brouette dans un jardin. Du temps de mon
enfance, la pompe servait, et comme tout ce qui sert
elle n'avait pas de couleur, elle était du gris
sombre de la fonte, marquée par la rouille à
certains endroits, tachée de graisse autour du
piston. Le bras était poli par toutes les mains qui
la manoeuvraient. Elle grinçait quand on
l'actionnait, avec un certain délai elle rejetait un
mince filet d'eau froide intermittent qui
remplissait lentement les brocs. Quand le broc était
plein à ras bord - il s'agissait de ces grands brocs
en zinc ou en métal émaillé bleu qui contenaient
cinq ou six litres - il fallait le ramener à la
maison. Nous marchions lentement, le bras tendu pour
éviter les cahots, à tour de rôle, avec des arrêts
fréquents pour calmer la brûlure des tendons du
poignet et du coude. Entre la pompe et Ker Huel (la
maison de vacances que louaient nos parents à Mme
Hélias), il ne devait pas y avoir un kilomètre, mais
peu de trajets m'ont paru aussi longs ! Cette eau
précieuse, mon père la mettait à bouillir sur le
réchaud à butane, dans une grande casserole émaillée
qui ne servait qu'à cela, et l'évaporation diminuait
la provision d'eau et nous rapprochait du voyage
vers la pompe. On dit souvent que la corvée d'eau
est une activité distrayante dans la vie des enfants
du village, que le point d'eau bruisse du rire des
filles et des cris des garçons. Ce n'est pas
exactement le souvenir que j'en ai. Je me souviens
plutôt de l'interminable chemin entre les maisons,
sous le soleil, et de la colonne des gosses en train
de rapporter les brocs, un peu penchés de côté pour
faire contrepoids, et des clapots de l'eau précieuse
qui jaillissait des brocs. Mais en fin de compte
c'était une activité plutôt agréable, car cela
donnait aux enfants, j'imagine, le sentiment d'être
utiles. Aujourd'hui, bien sûr, c'est plus simple de
tourner le robinet, à la cuisine, ou à la salle de
bains, et de regarder l'eau couler. Mais encore à
présent, je ne peux m'empêcher de veiller à ce que
les robinets soient bien fermés, pour ne pas laisser
perdre une goutte du précieux liquide..."
JMG Le
Clézio - Chanson bretonne
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