Trochiscanthe nodiflore n°711 (2020-12)

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Palmi avait accompagné Erlendur et ses plus proches collaborateurs au quartier général de la Criminelle. Il était tard. Erlendur lui avait présenté son équipe. Le brun élégant s'appelait Sigurdur Oli. Einar, le quinquagénaire enveloppé, travaillait à la Criminelle depuis des années. Elinborg était titulaire d'un diplôme de géologue, mais elle n'avait jamais exercé. Thorolfur, le plus jeune, gauchiste pendant ses années de lycée, était devenu très conservateur dès qu'il avait dû travailler pour subvenir à ses besoins. Erlendur les avait choisis. Il avait une totale confiance en eux.

Assis dans son bureau, ils fumaient en buvant du café. La cigarette était interdite dans tous les lieux publics sauf dans le bureau d'Erlendur. Les fumeurs travaillant dans d'autres services, parfois à l'autre bout du bâtiment, venaient le voir et il les accueillait volontiers. Tous écoutaient attentivement Palmi qui s'exprimait d'une voix posée, à un rythme plutôt lent, comme s'il pesait avec soin chacune des informations qu'il leur communiquait. Il leur parla de son frère, de sa maladie et de son suicide, en ajoutant qu'Halldor lui avait rendu plusieurs visites les semaines précédentes. Il leur montra la photo de classe. Daniel avait à peu près dix ans à cette époque, c'était juste avant ma naissance, précisa-t-il. Il leur parla de l'inconnu qui était venu à l'enterrement puis s'était enfui. Il s'abstint d'évoquer les gélules d'huile de foie de morue, souhaitant d'abord gagner la confiance de ses interlocuteurs. Il avoua qu'Helena lui avait appris qu'Halldor avait été assassiné et qu'il avait eu une enfance pour le moins difficile, qu'il avait subi des abus sexuels et qu'il en avait ensuite fait subir à des élèves de l'école où il avait enseigné. Helena lui avait également dit que quelqu'un avait fait chanter Halldor et l'avait forcé à travailler pour lui, sans doute à l'école. C'était en tout cas ce que Palmi supposait.

Halldor a été chassé de Hvolsvöllur quand on a découvert qu'il s'en prenait aux garçons de l'établissement, confirma Sigurdur Oli. Il est parti enseigner à l'école de Vidigerdi où, apparemment, il a continué de céder à ses pulsions.
Et ni les parents ni le proviseur ne s'en seraient rendu compte ? S'étonna Einar.
C'est un tout nouvel élément, il faut qu'on aille interroger l'ancien directeur, répondit Erlendur.
Je viens vous voir, entre autres, pour vous demander de m'aider à retrouver cet homme, reprit Palmi en leur montrant un garçon sur la photo de classe. A l'extrême droite de la rangée supérieure, un gamin aux cheveux longs, vêtu d'un chandail rayé, souriait de toutes ses dents.
Qui est-ce ?
Il est venu à l'enterrement de Daniel. Je me rappelle l'avoir vu quelque part, mais je suis incapable de dire où et quand. Il a beaucoup changé, sans doute comme tous ceux qui sont sur cette photo. Mais il semble que c'est celui-là. C'était un très bon ami de Daniel et il sait certainement des choses.
Vous savez son nom ? S'enquit Einar.
Je crois qu'il s'appelle Sigmar. J'ai essayé de le trouver dans l'annuaire, je ne voyais pas comment faire autrement. Ces gamins ont tous écrit leurs prénoms derrière la photo.

Einar la retourna et constata que le verso affichait en effet un tas de prénoms écrits au stylo à bille bleu ou rouge.

Palmi hésitait à poursuivre.

J'ai l'impression que tout cela est lié à une histoire de gélules d'huile de foie de morue. Aussi bien le suicide de Daniel que l'assassinat d'Halldor ou l'agression d'Helena.
Comment ça, des gélules ? Rétorqua Erlendur, effaré, en le dévisageant.
Je sais que ça semble très étrange, mais ces gélules jouent un rôle dans cette histoire. A l'époque où Daniel était en primaire, on en distribuait à tous les élèves. Je suppose que vous vous en souvenez. Ces distributions ont pris fin quand je suis rentré dans cette école. Celai faisait partie de la campagne de prévention sanitaire de l'Etat datant de l'époque où on souffrait de pénurie alimentaire à Reykjavik. Un jour, un surveillant de l'hôpital a entendu Halldor et mon frère parler de ces gélules, mais à part ce détail il ignore la teneur de leurs conversations. Il n'avait d'ailleurs aucune raison de les écouter. Quand j'ai essayé de parler à Sigmar – son nom n'est pas net au verso de cette photo -, il s'est dérobé et a disparu derrière un rideau de neige, mais il m'a crié que ces gélules contenait autre chose que de l'huile de foie de morue. Tout autre chose, a-t-il dit. Je ne comprends pas de quoi il parlait, mais c'est ce qu'il a dit. Par conséquent, même si ça peut sembler absurde, je suis certain que ces gélules jouent un rôle dans cette histoire.

Les cinq policiers le fixaient dubitatifs.

Comment voulez-vous qu'il y ait un lien entre ces pilules, le meurtre et l'agression ? Demanda Erlendur.
Je crois qu'on ferait mieux d'interroger les anciens élèves d'Halldor, suggéra Elinborg. Ça nous permettra d'y voir un peu plus clair et de savoir ce qu'il trafiquait. Et il n'est pas impossible que certains mentionnent aussi... ces gélules.
Si elles contenaient autre chose que de l'huile de foie de morue, qu'est-ce que ça pouvait être ? Demanda Thorolfur.
Exactement, qu'est-ce que ça pouvait être ? Reprit Palmi.
Vous suggérez qu'on y aurait introduit d'autres substances ? S'enquit Elinborg.
J'opterais pour des somnifères, répondit Sigurdur Oli. Halldor endormait peut-être ses élèves pour abuser d'eux. Ce type était apparemment un sacré pervers.

Les policiers examinèrent la photo en échangeant des regards.

Nom de Dieu, s'exclama Einar. Quelle horreur !
Peut-être qu'un des gamins de cette classe, pouquoi pas ce Sigmar, a décidé de se venger de ce qu'Halldor lui a fait subir, avança Erlendur. Mais ce ne sont que de simples conjectures, pas des faits avérés. Quant à ce dont il se serait rendu coupable à Hvolsvöllur et qu'il aurait avoué à Helena, on ne sait ni de quoi il s'agit ni si ces allégations sont fiables. Il nous reste à le découvrir.
L'ancien proviseur de Hvolsvöllur m'a mis en garde contre la colère des parents. S'il s'est aussi livré à des abus à l'école de Vidigerdi, on devrait en parler aux parents d'élèves, suggéra Sigurdur Oli. Ce qui est étrange, c'est que tout cela remonte à la surface aujourd'hui. Ce serait quand même bizarre que ces gamins aient gardé le silence aussi longtemps. Daniel vous a parlé de ce genre de choses ? Demanda-t-il à Palmi.
Jamais. Mais on n'était pas très proches et je l'ai toujours connu malade.
J'allais oublier de vous dire que le groupe chargé de passer en revue les stations-service a enfin trouvé à la station Olis de Klöpp, rue Skulagata, un pompiste qui se rappelle avoir vendu dix litres d'essence dans un jerricane à un homme qui ressemblait beaucoup à Halldor, annonça Einar. Cela remonte à plus d'un mois. Le pompiste est presque sûr que c'était lui.
Halldor aurait donc stocké ce bidon chez lui et son assassin se serait contenté de s'en servir, observa Sigurdur Oli.
Quelle raison avait-il d'acheter de l'essence ? Souligna Elinborg. Il n'avait pas de voiture. Il n'avait tout de même as besoin d'une telle quantité pour recharger son briquet !
Plus le temps passe, plus cette affaire me semble étrange, remarqua Thorolfur en se grattant la tête.
Bon, ce n'est pas si mal, conclut Erlendur. Nous avons au moins quelques pistes. Ses élèves de l'an dernier sont toujours suspects, mais nous devons aussi nous intéresser aux plus anciens, et plus particulièrement à la classe de Daniel. Il faut aussi interroger les parents. Nous n'avons évidemment aucun moyen de le faire sans que tout cela s'ébruite. Je vous demande d'être très prudents et, surtout, de ne pas parler aux journalistes. Les parents doivent aussi s'en abstenir, c'est très important.

Il avait à peine achevé sa phrase que son portable sonna dans la poche de sa veste. Il décrocha et écouta un long moment sans rien dire. Tous les yeux étaient rivés sur lui. Il déclara à son correspondant n'être pas en mesure de confirmer ni d'infirmer ses propos, lâcha quelques « non » résolus, puis raccrocha.

ça paraîtra dans les journaux de demain, annonça-t-il.
Quoi donc ? Demanda Sigurdur Oli.
Qu'Halldor était pédophile..."