Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°710 (2020-11)
mardi 17 mars 2020
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Moineau domestique femelle Courvières (Haut-Doubs) samedi 8 février 2020 samedi 8 février 2020 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 9 février 2020
Moineau domestique mâle La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 9 février 2020 <image recadrée> <image recadrée>
Moineau domestique mâle La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 9 février 2020 Moineau
domestique mâle
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 15 février 2020 Moineau
domestique mâle
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La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 15 février 2020 <image recadrée>
Toilette<image recadrée> <image recadrée>
La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
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samedi 15 février 2020 Moineau
domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs) samedi 22 février 2020 Moineau
domestique mâle
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 1er mars 2020 <image recadrée> <image recadrée> Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 1er mars 2020
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Courvières
(Haut-Doubs)dimanche 1er mars 2020 Moineau
domestique femelle
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 1er mars 2020 <image recadrée>
Courvières
(Haut-Doubs)dimanche 1er mars 2020 Envol Courvières (Haut-Doubs) dimanche 8 mars 2020 Courvières
(Haut-Doubs) <image recadrée>
Courvières
(Haut-Doubs)dimanche 8 mars 2020 Avec un Verdier
d'Europe <image recadrée>
Courvières
(Haut-Doubs)dimanche 15 mars 2020 |
"La dernière fois que j'ai marché, c'était du côté de Conques, sur le chemin de Saint-Jacques. J'avais emmené maman qui avait déjà fait ce grand pèlerinage à pied mais qui n'en avait plus aucun souvenir. J'espérais que le chemin lui parlerait. Un chemin emprunté par des milliers d'hommes et de femmes, à la seule force de leur esprit et de leur corps. Du bout des pieds. Je me souviens de ce chemin habité de l'espoir des hommes mais aussi des détresses déposées sous leurs pas. Un chemin aussi chargé que les bougies qui éclairent le fond d'une église. Le soleil sur la neige donne à chaque cristal son éclat. A la prière du fond d'une église, je substitue ma méditation de marcheuse : Mes pieds. Je marche avec mes pieds. En médecine chinoise on dit que tout le corps se résume dans les pieds. Je marche de tout mon corps. Tout mon corps pèse dans chaque pas. Je marche et m'appuie de tout mon corps dans chaque pas. Chaque pas pèse sur la terre du chemin. Quand le chemin devient route, mon pas me renvoie l'écho de la route. Ce n'est plus mon pas qui s'appuie sur le chemin mais la route qui pèse sur mon pas et qui s'appuie sur mon corps. Les routes n'ont pas été faites pour les marcheurs mais pour les rouleurs. Les rouleurs ne touchent pas le sol de leurs pieds. Leurs pieds servent à accélérer ou à freiner. Parfois leurs pieds écrasent le frein ou l'accélérateur, trop tard ou trop fort. Le marcheur n'écrase jamais le chemin trop tard ou trop fort. J'aime le chemin. Le chemin de terre comme celui de pierres. Les pierres ne sont pas comme l'asphalte. Sous mon pas elles roulent ou forment une mosaïque en se calant avec celles qui les entourent. Chaque marcheur compose la mosaïque du chemin. Ils sont des milliards, les pas qui ont formé cette céramique du chemin. Sans doute certains se sont-ils foulé la cheville à mal fouler le sol. C'est certain, marcher n'est pas sans danger. Mais ne pas marcher est bien plus dangereux. Le corps alors ne s'appuie plus que sur lui-même. Il pèse de plus en plus. Chaque viscère comprime son voisin, l'estomac compresse les poumons où l'air peine à rentrer autant qu'à sortir. Les poumons enserrent le coeur si fort que chaque battement devient une performance. L'estomac écrase le foie. Sur le chemin certains sont en crise de foi mais sans « e ». Une crise de foie, c'est quand on a trop mangé, une crise de foi, c'est quand on ne s'est pas assez nourri. Sur le chemin, les mal-nourris se goinfrent de silence, ils abusent de chaque émerveillement, ils se tendent vers le ciel comme s'ils ne s'étaient jamais totalement dépliés. Je pense avec mes pieds. Grâce à eux, pas à pas, je pense. Au début je pense que je marche. Puis je cesse d'y penser et continue de marche. Puis je cesse d'y penser et continue de marcher. Je continue de penser malgré tout. Ne plus penser que je marche n'arrête ni mon pas ni ma pensée. A certains moments je me surprends à ne plus penser non plus. Où suis-je alors ? Je découvre qu'il existe autre chose. Un impensé qui habite quelque part au-delà de mes casiers. C'est comme la découverte de l'existence d'un grenier dans une maison que l'on croyait connaître. L'impensé n'est pas l'inconscient. L'inconscient est dans un grenier dont il existe la clé. Le grenier de l'impensé n'a pas de clé. Pourtant l'impensé n'est pas un grenier vide. Par définition, quand il s'ouvre et qu'il devient pensé, il disparaît. Sur le chemin de Saint-Jacques, j'avais croisé un pèlerin qui m'avait dit que ce qu'ils trouvait extraordinaire en marchant, c'est que cela lui permettait de méditer. Sans discontinuer, pendant plus d'une heure, il m'avait raconté pourquoi il marchait mais aussi quel était son métier, le problème de genoux de sa femme dont il était le quatrième mari, les Etats-Unis qu'il avait parcourus à moto, les fictions américaines bien mieux écrites que les françaises car les personnages sont bien plus profonds, etc. Cela n'était pas la première fois que je constatais que les gens qui font de la méditation sont très bavards. Peut-être que c'est le seul moyen qu'ils ont trouvé pour se parler à eux-mêmes. Je me suis rendu compte que certains n'osaient pas dire qu'ils priaient disaient qu'ils faisaient de la méditation. Il n'y a pas de mal à dire que l'on prie ! Mais bon, ce n'est pas grave non plus de dire que l'on médite pour prier en paix. La paix... N'est-ce pas finalement ce que cherche celui qui médite, celui qui prie, celui qui marche. La paix. Chacun son chemin, chacun ses mots ou plutôt son silence. La paix, c'est parfois se relier avec soi-même ou se relier avec les autres. Avec l'Autre pour ceux qui le trouvent ou qu'Il trouve. Comment être en paix avec soi-même quand on ne l'est pas avec les autres a souvent été une question que je me suis posée quand je voyais une fille ne plus parler à sa mère ou un frère ne pas être capable de dialoguer avec sa soeur sans que le ton monte et que les reproches s'alignent comme des perles à un collier. La question était mal posée. Comment être en paix avec les autres quand on ne l'est pas avec soi-même est la bonne question. Je crois que celui qui marche ne découvre pas obligatoirement la réponse mais la question. Certains savent pourquoi ils marchent. Ils partent avec une question et reviennent avec une réponse. Ils partent avec une blessure et reviennent avec une cicatrice. D'autres partent avec une question et reviennent avec une autre. Nous appuyons sur ce sol un peu plus et marquons le sentier pour que jamais ne se perde son tracé. En hiver le chemin s'efface sous la neige mais il est bien là. Nous marchons à notre tour parce que c'est à notre tour d'entretenir le sentier. Nous marchons pour que l'homo erectus devenu sapiens-sapiens puisse toujours trouver des chemins vers l'homo spiritus. Nous marchons car nous savons que d'être sapiens-sapiens (ce qui veut dire « sachant ») ne nous empêche pas pour autant d'être crétin-crétin. Nous marchons car le sapiens-sapiens a créé la voiture qui roule très vite et tue toute une famille, la chimie qui détruit la vie dans la terre et empoisonne nous assiettes, la physique qui rend invivables les régions de Fukushima ou Tchernobyl... Nous marchons car nos GPS peuvent nous emmener partout sur la planète mais ne donneront jamais le sens de nos vies. Si nous habitons la planète comme nous marchons sur le chemin de Saint-Jacques, nous prendrions garde à ce qu'elle ne devienne pas plus difficile à vivre pour ceux qui marcheront après nous. Nous laisserions le chemin ouvert et lumineux. Ils sont des
millions à avoir marché avant moi vers Saint-Jacques
mais il n'y en a qu'une parmi ces millions qui est
ma mère. Ma mère n'est pas très grande, pas très
forte, pas très jeune. Quand on regarde ses jambes
on dirait des baguettes chinoises. Mes jambes sont
indéniablement faites pour macher mais pas celles de
ma mère. Les siennes sont plutôt faites pour la
calligraphie. Toujours est-il que ma mère a déjà
dépassé cinq semaines sur ce fameux chemin. Et la
première étape, c'est à plus de soixante-dix ans
qu'elle l'a commencée ! Avait-elle buté sur la même
pierre, vu les épilobes en fleur en été, cueilli des
framboises et des myrtilles au pied des murets ? Je
suis sûre qu'elle a ramassé des petits fruits si
c'était la saison. Ma mère ne cueillait pas que les
fruits, elle cueillait aussi des pierres, des bois
flottés, des chardons et des graminées. Le tout
rejoignait son atelier de peinture et formait des
natures mortes spontanées susceptibles un jour de
faire partie d'un tableau..."
Eric de
Kermel - Mon coeur contre la terre
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