Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°706 (2020-07)
mardi 18 février 2020
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Moineau domestique mâle Courvières (Haut-Doubs) samedi 28 décembre 2019 Courvières (Haut-Doubs) samedi 28 décembre 2019 <image recadrée>
<image recadrée> Courvières (Haut-Doubs) samedi 28 décembre 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
samedi 28 décembre 2019 Courvières
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samedi 28 décembre 2019 Courvières
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samedi 28 décembre 2019 Courvières (Haut-Doubs) samedi 28 décembre 2019 Courvières (Haut-Doubs) lundi 30 décembre 2019 Courvières (Haut-Doubs) lundi 30 décembre 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
Courvières
(Haut-Doubs)lundi 30 décembre 2019 lundi 30 décembre 2019 Courvières
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samedi 11 janvier 2020 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 12 janvier 2020 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 12 janvier 2020 <image recadrée> Courvières
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samedi 8 février 2020 Courvières
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samedi 8 février 2020 |
"1 La chambre numéro 14 de l'hôtel Sainte Foy à Conques est percée de deux fenêtres dont l'une donne sur un flanc de l'abbatiale. C'est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017 un ange est venu me fermer les yeux pour donner à voir. Dans l'abbatiale, on donnait un concert. Je regardais la nuit d'été par la fenêtre, ce drapé d'étoiles et de noir. Un livre m'attendait sur la table de chevet. Mon projet était d'en lire une dizaine de pages, puis de glisser mon âme sous la couverture délicieusement fraîche de la Voie lactée. Mais. Mais en me penchant pour fermer les volets de bois, je vis les vitraux jaunis devenir plus fins que du papier et s'envoler. Le plomb, le verre et l'acier qui les composaient, plus légers que l'air, n'étaient plus que jeux d'abeilles, miel pour les yeux qui sont à l'intérieur des yeux. Des lanternes japonaises flottant sur le noir, épelant le nom des morts. A cette vue je connus l'inquiétude apaisante que donne un premier amour. Au matin, poussant les volets, je fus accueilli par une brume de peinture chinoise errant sur la colline. Je m'étais couché au vingt et unième siècle. Je me réveillais au septième. Une fumée de nuages traînait au ciel. Une rouille verte réjouissait les toits. La mousse est le manteau de Dieu, dont il déchire des pièces pour les jeter sur les épaules frileuses des morts. Cette floraison timide qui ne va pas jusqu'aux fleurs, cette échine vert-de-gris d'un muret, la flatter de la main, c'est faire entrer dans son coeur la pensée qui délivre de toutes pensées, le consentement à vivre donc à perdre. Un mois a passé. Les vitraux brûlent toujours sous mes paupières, dans l'abbatiale de mon corps. 2 Les voitures à Conques s'arrêtent au pied d'un calvaire comme des vaches de fer au bord d'une rivière. On les y laissera pour la nuit. Elles boiront la douleur qui suinte des plaies de l'écartelé, du rejeté des étoiles. Un calvaire n'est qu'une image – mais nous aussi nous sommes des images, des buées sur la vitre du temps et par grâce, quelquefois, une apparition dans un coeur qui nous reconnaît et se tait. Les pélerins vont au ciel à pied. L'inégale conversation des pierres durcit leur voûte plantaire, leur invente un fer à cheval en corne. J'ai vu des tout petits enfants se dresser sur le globe terrestre : une église de cartilage et de nerfs en marche vers ses croyants, le père enorgueilli, la mère sanctifiée. Ce torse qui par fierté et crainte se bombe, ces courtes jambes qui tassent la tête des diables – ce tout petit corps trapu qui va bientôt tomber du haut de sa gloire, c'est le corps de l'écriture. Est-ce qu'un nuage travaille ? Est-ce que le rouge-gorge, quand il bombe son petit gilet rouge, travaille ? Est-ce que le chat, quand il dort enroulé en mandala sur lui-même, travaille ? Peut-être. Ecrire est un travail de ce genre-là. Comme tous les bébés, ces très antiques dieux, un jour j'ai fait mes premiers pas et j'ai couru vers l'infini. Cela se passait dans la cour de la rue du 4-Septembre. J'imaginais dans ma précipitation rendre impossible la chute. Ce sont des erreurs d'apprenti qui durent toute la vie. Je sais bien vers quoi je me ruais : non pas vers les bras en forme de courbe de rivière de ma mère. Je me précipitais vers ma mort, si fort que je la traversais sans m'étonner. Les siècles et les étoiles étaient des moucherons que, bouche ouverte, je gobais. La joie archaïque des pavés, la traîtrise de leur pente douce : profitant de l'élan donné, m'arrachant à la mort de la vie, je suis entré dans l'abbatiale jusque dans l'ombre qui est de l'or. 3 Les jouets de notre enfance sont des petits bossus qui s'essoufflent à nous suivre. Un jour ils s'effacent, nous regardent nous éloigner, continuer une vie plus belle de ne s'appuyer sur rien. Sur rien, vraiment ? Nos livres savants et nos musiques profondes sont des poupées adultes. J'écoute le bruit que fait l'araignée d'eau courant sur l'étang. Je frissonne au passage d'un ange pressé de rentrer chez lui. A six cents kilomètres de l'abbatiale j'entends le chuchotement des vitraux. Les enfants sont les vrais moines : ils adorent l'invisible dont ils perçoivent chaque respiration. Regarder attentivement chaque escargot qui s'en va en carrosse à Versailles, c'est leur ascèse. Et puis ils renoncent. On dit qu'ils grandissent. En vérité, ils lâchent leur dieu. Quelques-uns poursuivent, traversent le monde en tenant dans le creux de leurs mains une pensée scintillante d'être puisée à la source du coeur. Toute la sainteté de la vie consiste à garder intacte cette chose qui n'a pas de nom, devant quoi même notre mort recule. Une pensée, mais non exprimable. Un amour, mais non sentimental. Comme tous les saints, mon père n'était pas un saint. Son silence devant un ciel que le vent décoiffait disait son accord avec la vie incompréhensible aux yeux d'acacia. Il n'y a pas d'autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore. 4 Conques est un village introuvable. Les routes qui y mène imposent une lenteur dont le monde n'a plus goût. C'est un village-oreille où, je le percevais par la fenêtre laissée entrouverte, les bruits de la vie domestique bondissent en cascade par-dessus les toits enchevêtrés. L'opéra des voix familières, un cliquetis d'assiettes dans une cuisine : le parfait accompagnement pour la vie éternelle. Quelques cubes de pierre du onzième siècle montés comme un jeu d'enfant, avec des vitraux crayonnés de gris. Les pèlerins agglutinés aux pierres chaudes comme des abeilles à une plaque. Un peu de naïveté mais rien de cette modernité dont nous feignons de ne pas savoir qu'elle est la haine de l'intériorité. Le corps cherche le repos, et l'âme l'aventure. Quand un lieu satisfait ces deux demandes, on peut le qualifier de paradisiaque : une caravane de gitan. Une maison de thé japonaise. La chambre 14, j'aurais pu y passer ma vie. Pour le vide qu'elle abritait. Pour le bois qui faisait sa chair. Pour cette fenêtre ouverte sur les siècles. Pour les vitraux au souffle jaune. D'ailleurs j'y suis resté. Je t'écris à partir de mon absence au monde, à moi et à tout. Je t'écris, logé dans l'abbatiale de ton coeur. C'est toi qui parles. 5 Au matin, j'ai bu le lait de la lumière. On voit dans les vitraux de petites bulles, comme si un nageur avait plongé dans un océan et que l'air, échappé de ses poumons, remontait en surface jusqu'à nous. Ce verre au matin à un gris douanier. Le soleil déclare ce qu'il transporte. Un tri est fait. Ne passera la frontière que l'élément spirituel de la lumière. Un jeune moine virevoltant de blanc me parla de la foi de ses frères avec tant d'assurance qu'il devenait difficile de le croire. Le bredouillement des vitraux, cette buée de lumière aux lèvres du plomb, m'avait déjà dit ce qui ne peut se dire. Si lire et écrire épuisent ma vie, c'est parce que je veux voir dès maintenant ce que voient les morts. C'est possible, il suffit de regarder un pré au printemps : les couleurs y sont en suspension au-dessus des fleurs. Elles sont leur âme qui commence à nous quitter et s'élève, déjà sanctifiée. Quelque chose nous
parle, et nous n'entendons rien. C'est trop loin.
Cela vient de trop haut ou de trop bas. Les couleurs
des fleurs, les yeux des rivières, les allusions des
vitraux de Conques : autant de postillons d'une
salive divine..."
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