Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°673 (2019-24)
mardi 11 juin 2019
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pie
Courvières (Haut-Doubs) samedi 20 avril 2019 Mésange charbonnière mâle Courvières (Haut-Doubs) lundi 22 avril 2019 <image recadrée> <image recadrée> lundi 22 avril 2019 dimanche 28 avril 2019
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Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 avril 2019 Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 avril 2019 Sous la pluie
!
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Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 avril 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 28 avril 2019 Dans l'herbe
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Courvières
(Haut-Doubs)Courvières (Haut-Doubs) dimanche 28 avril 2019 dimanche 28 avril 2019 Pie Courvières (Haut-Doubs) dimanche 12 mai 2019
Courvières
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Courvières
(Haut-Doubs)dimanche 12 mai 2019 <image recadrée> dimanche 12 mai 2019
Courvières (Haut-Doubs) jeudi 16 mai 2019 <image recadrée> Courvières
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Courvières
(Haut-Doubs)jeudi 16 mai 2019 <image recadrée> vendredi 17 mai 2019 Chenille Courvières (Haut-Doubs) vendredi 17 mai 2019 Courvières
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(Haut-Doubs)jeudi 23 mai 2019 jeudi 23 mai 2019 La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) La
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Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) <image recadrée>
Nourrissage La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) |
"Impossible de savoir quelle vie aurait eue la fillette. Qui elle serait devenue. Quel aurait été son travail, qui elle aurait aimé, pleuré, perdu et gagné. Si elle aurait eu des enfants, et lesquels. On ne pouvait même pas imaginer à quoi elle aurait ressemblé adulte. À quatre ans, rien n’était encore terminé chez elle. Ses yeux hésitaient entre bleu et vert, ses cheveux, bruns à sa naissance, étaient à présent blonds, avec des reflets roux, et leur couleur aurait sûrement pu encore changer. C’était particulièrement difficile à dire pour le moment. Son visage était tourné vers le fond de l’étang. L’arrière de sa tête recouvert d’épais sang séché. Seules les mèches qui flottaient au-dessus de son crâne montraient leurs nuances claires. On ne pouvait pas dire que cette scène était sinistre. Pas plus sinistre que si la fillette n’avait pas été dans l’eau. Le bruit de la forêt était toujours le même. La lumière filtrait à travers les arbres comme d’habitude à cette heure du jour. L’eau se mouvait doucement autour d’elle, sa surface seulement troublée de temps à autre par les petits ronds concentriques d’une libellule qui s’y posait. La métamorphose avait commencé et, peu à peu, elle ne ferait plus qu’un avec la forêt et l’eau. Si personne ne la trouvait, la nature suivrait son cours et l’assimilerait. Personne ne savait encore qu’elle avait disparu.
“Tu crois que ta mère mettra une robe blanche ? demanda Erica en se tournant vers Patrik dans le lit. —Très drôle, vraiment”, dit-il. Erica rit et lui titilla le flanc. “Pourquoi as-tu tant de mal avec le mariage de ta mère ? Ton père s’est remarié depuis longtemps, et ça n’a rien de bizarre, non ? — Je sais, je suis ridicule, dit Patrik en secouant la tête tandis qu’il sortait les jambes du lit pour commencer à enfiler ses chaussettes. J’aime bien Gunnar, et je trouve ça bien que maman n’ait plus à être seule…” Il se leva et enfila son jean. “Je suppose que je n’ai pas l’habitude, c’est tout. Maman a été seule aussi loin que je me souvienne et, à y regarder de près, c’est sûrement une histoire de relation mère-fils qui remonte à la surface. C’est juste que ça me fait… bizarre… que maman ait… une vie de couple. — Tu veux dire que ça te fait bizarre que Gunnar et elle couchent ensemble ?” Patrik se boucha les oreilles. “Arrête !” Erica lui jeta un oreiller en riant. Il lui revint bientôt à la figure, et la guerre totale éclata. Patrik se jeta sur elle dans le lit, mais leur lutte se transforma vite en caresses et soupirs. Elle approcha la main de la braguette de son jean et commença à ouvrir le premier bouton. “Qu’est-ce que vous faites ?” La voix claire de Maja les fit s’interrompre et se tourner vers la porte. Maja n’y était pas seule, mais accompagnée de ses petits frères jumeaux qui observaient gaiement leurs parents dans le lit. “On se faisait juste des chatouilles, dit Patrik en se levant, essoufflé. — Il faut vraiment que tu installes ce loquet !” siffla Erica en remontant la couette sur sa poitrine. Elle se redressa et réussit à sourire aux enfants. “Descendez préparer le petit-déjeuner, on arrive.” Patrik, qui avait réussi à enfiler le reste de ses vêtements, poussa les enfants devant lui. “Si tu n’es pas capable de visser ce loquet, tu peux sûrement demander à Gunnar. Il a l’air toujours prêt, avec sa boîte à outils. À moins qu’il ne soit occupé à autre chose avec ta mère… — Arrête ton char !” rit Patrik en quittant la chambre. Un sourire aux lèvres, Erica se recoucha. Elle pouvait bien s’offrir le luxe de rester un peu à s’étirer avant de se lever. Ne pas avoir d’horaires à respecter était un des avantages à être son propre chef, mais on pouvait aussi considérer ça comme un inconvénient : le métier d’écrivain exigeait du caractère et de l’autodiscipline, et pouvait parfois sembler un peu solitaire. Pourtant, elle aimait son travail, elle aimait écrire, donner vie aux récits et aux destins qu’elle décidait de retracer, fouiner, enquêter et essayer de savoir ce qui s’était vraiment passé et pourquoi. L’affaire sur laquelle elle travaillait l’attirait depuis longtemps. L’histoire de la petite Stella enlevée et tuée par Helen Persson et Marie Wall avait ému et émouvait encore tout Fjällbacka. Et voilà que Marie Wall était de retour. La star célébrée d’Hollywood était de retour à Fjällbacka pour le tournage d’un film sur Ingrid Bergman. Toute la localité bruissait de rumeurs. Tout le monde connaissait l’une d’elles, ou leurs familles, et tous avaient été également choqués, cet après-midi de juillet 1985, quand le corps de Stella avait été retrouvé dans l’étang. Erica se tourna sur le côté en se demandant si le soleil avait chauffé autant ce jour-là qu’aujourd’hui. Quand le moment serait venu de parcourir les quelques mètres qui la séparaient de son bureau, elle vérifierait ça. Mais ça pouvait bien attendre encore un moment. Elle ferma les yeux et s’assoupit au son des voix de Patrik et des enfants dans la cuisine, un étage au-dessous.
Helen, penchée en avant, laissa errer son regard. Elle appuyait ses mains en sueur sur ses genoux. Record personnel aujourd’hui, alors qu’elle avait couru plus tard que d’habitude. La mer s’étendait sous ses yeux, bleue et paisible, mais en elle grondait une tempête. Helen s’étira puis entoura son corps de ses bras, sans pouvoir s’arrêter de trembler. “On a marché sur ma tombe”, disait sa mère. Et c’était peut-être un peu ça. Non que quelqu’un ait marché sursa tombe. Mais sur une tombe, oui. Le temps avait jeté un voile sur le passé, ses souvenirs étaient si vagues. Ce dont elle se souvenait, c’était les voix, qui voulaient savoir ce qui s’était passé. Elles répétaient sans arrêt la même chose, jusqu’à ce qu’elle ne sache plus distinguer leur vérité de la sienne. À l’époque, il lui semblait impossible de revenir, de faire sa vie ici. Mais les cris et chuchotements s’étaient atténués avec les années, se transformant en un murmure sourd, pour finalement se taire complètement. Elle s’était alors à nouveau sentie à sa place dans l’existence. Mais à présent, on allait à nouveau jaser. Tout allait ressortir. Et comme souvent dans la vie, les événements se chevauchaient. Helen n’avait pas dormi pendant plusieurs semaines après avoir reçu cette lettre d’Erica Falck qui lui annonçait qu’elle écrivait un livre et souhaitait la rencontrer. Elle avait dû renouveler l’ordonnance des cachets sans lesquels elle avait réussi à vivre tant d’années. Sans eux, elle n’aurait jamais supporté la nouvelle : Marie était de retour. Trente ans avaient passé. James et elle avaient mené une vie paisible et discrète, et elle savait que c’était ce que voulait James. “Ils finiront par arrêter de jaser”, disait-il. Et il avait raison. Leurs heures sombres étaient rapidement passées, il avait suffi qu’elle sache mener sa barque. Quant aux souvenirs, elle avait su les refouler. Jusqu’à aujourd’hui. Les images comme des flashs. Le visage de Marie devant elle. Et le sourire de Stella. Helen tourna à nouveau le regard vers la mer, essaya de suivre des yeux les rares vagues. Mais les images refusaient de lâcher prise. Marie était de retour, et avec elle la catastrophe.
“Excusez-moi, où sont les toilettes ?” Sture, de la paroisse, encouragea du regard Karim et les autres, qui s’étaient réunis pour un cours de suédois au camp de réfugiés de Tanumshede. Tous répétèrent la phrase de leur mieux. “Excusez-moi, où sont les toilettes ?” “Combien ça coûte ?” continua Sture. Tous en chœur, à nouveau : “Combien ça coûte ?” Karim peinait à relier les sons que Sture prononçait près du tableau avec le texte qu’il avait sous les yeux. Tout était tellement différent. Les lettres à déchiffrer, les sons à produire. Autour de lui, une courageuse bande de six personnes. Les autres jouaient au foot au soleil ou se reposaient dans les baraquements. Certains essayaient de dormir pour passer le temps et chasser les souvenirs, d’autres envoyaient des mails aux amis et aux proches encore joignables, ou surfaient sur les sites d’informations. Non qu’il y ait beaucoup d’informations disponibles. Le régime ne diffusait que de la propagande, et les organes de presse dans le monde entier avaient du mal à y envoyer des correspondants. Karim avait lui-même été journaliste dans sa vie d’avant, et il comprenait parfaitement les difficultés à assurer une couverture correcte et à jour d’un pays en guerre aussi ravagé de l’intérieur et de l’extérieur que la Syrie. “Merci de nous avoir invités.” Karim pouffa. Voilà bien une phrase dont il n’aurait jamais usage. S’il avait vite appris quelque chose, c’était que les Suédois étaient réservés. Ils n’avaient aucun contact avec des Suédois, à part Sture et ceux qui travaillaient au camp de réfugiés. C’était comme s’ils avaient échoué dans un petit pays dans le pays, isolé du reste du monde. Avec eux-mêmes pour seule compagnie. Et les souvenirs de Syrie. Les bons, mais surtout les mauvais. Ceux que beaucoup revivaient encore et encore. Karim, lui, s’efforçait de les refouler. La guerre devenue quotidienne. Le long voyage vers la terre promise du Nord. Il s’en était tiré. Comme son Amina bien-aimée et leurs joyaux Hassan et Samia. C’était tout ce qui comptait. Il avait réussi à les conduire en sécurité, à leur donner la possibilité d’un avenir. Les corps flottant dans l’eau hantaient ses rêves, mais, dès qu’il ouvrait les yeux, ils avaient disparu. Il était là, avec sa famille. En Suède. Rien d’autre ne comptait. “Qu’est-ce qu’on dit pour sexe avec quelqu’un ?” Adnan rit à ses propres mots. Avec Khalil, ils étaient les plus jeunes garçons, ici. Assis côte à côte, ils faisaient la paire. “Un peu de respect !” dit Karim en arabe, leur lançant un regard noir. Il s’excusa d’un haussement d’épaules auprès de Sture, qui hocha légèrement la tête. Khalil et Adnan étaient arrivés par leurs propres moyens, sans famille, sans amis. Ils avaient réussi à quitter Alep avant que fuir ne soit trop dangereux. Fuir ou rester. Les deux représentaient un danger mortel. Karim n’arrivait pas à se fâcher, malgré leur évident manque de respect. C’étaient des enfants. Apeurés et seuls dans un pays inconnu. Ils n’avaient que leur grande gueule. Tout leur était étranger. Karim avait un peu parlé avec eux après les cours. Leurs familles avaient collecté jusqu’à leur dernier sou pour leur permettre d’arriver ici. Ça pesait sur les épaules de ces garçons. Ils n’étaient pas simplement jetés dans un monde inconnu, on exigeait d’eux qu’ils s’y fassent au plus vite une situation qui leur permette de sauver leurs familles de la guerre. Mais même s’il les comprenait, manquer de respect à son pays d’accueil était inacceptable. Les Suédois avaient beau avoir peur d’eux, ils les avaient accueillis. Leur avaient offert un toit et de quoi manger. Et Sture consacrait son temps libre à leur apprendre laborieusement comment demander ce que coûtaient les choses et où étaient les toilettes. Karim ne comprenait peut-être pas les Suédois, mais il leur était éternellement reconnaissant pour ce qu’ils avaient fait pour sa famille. Tous n’adoptaient pas cette attitude, et ceux qui ne respectaient pas leur nouveau pays gâchaient tout en amenant les Suédois à les considérer tous avec méfiance. “Quel beau temps, aujourd’hui”, articula clairement Sture devant le tableau. “Quel beau temps, aujourd’hui”, répéta Karim en lui souriant.
Après
deux mois en Suède, il comprenait la gratitude des
Suédois
quand le soleil brillait. “Quel temps de chiotte
!” avait été
une des premières phrases qu’il avait apprises en
suédois.
Même s’il avait encore du mal à prononcer le ch..."
Camilla
Läckberg - La sorcière
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