Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°666 (2019-17)
mardi 23 avril 2019
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Moineau domestique mâle Courvières (Haut-Doubs) samedi 2 mars 2019 Moineau domestique femelle Courvières (Haut-Doubs) samedi 2 mars 2019 Moineau domestique mâle Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 mars 2019 dimanche 3 mars 2019
Courvières
(Haut-Doubs)
Courvières
(Haut-Doubs)dimanche 3 mars 2019 samedi 16 mars 2019 <image recadrée>
<image recadrée>
Dans le Pommier
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<image recadrée>
dimanche 17 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
Courvières
(Haut-Doubs)mercredi 20 mars 2019 jeudi 21 mars 2019 <image recadrée>
Courvières
(Haut-Doubs)
vendredi 22 mars 2019
Azur
Courvières
(Haut-Doubs)
vendredi 22 mars 2019 <image recadrée>
Courvières
(Haut-Doubs)
samedi 23 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 24 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 24 mars 2019 Femelle
et Verdier
(mâle ?)
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 31 mars 2019 <image recadrée>
<image recadrée>
Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 31 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
jeudi 4 avril 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
jeudi 4 avril 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
<image recadrée>
samedi 6 avril 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
samedi 6 avril 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
Courvières
(Haut-Doubs)samedi 6 avril 2019 samedi 13 avril 2019 |
"C'est peu de jours après qu'il m'est arrivé un coup heureux. J'avais une course à faire dans un grand magasin à l'Opéra où il y avait un cirque en vitrine pour que les parents viennent avec leurs mômes sans aucune obligation de leur part. J'y étais déjà allé dix fois mais ce jour-là j'étais arrivé trop tôt, il y avait encore le rideau et j'ai discuté le bout de gras avec un balayeur africain que je ne connaissais pas mais qui était noir. Il venait d'Aubervilliers car ils en ont là-bas aussi. Nous avons fumé une cigarette et je l'ai regardé balayer le trottoir un moment parce que c'était la meilleure chose à faire. Après, je suis revenu au magasin et je me suis régalé. La vitrine était entourée d’étoiles plus grandes que nature qui s’allumaient et s’éteignaient comme on cligne de l’œil. Au milieu, il y avait le cirque avec les clowns et les cosmonautes qui allaient à la lune et revenaient en faisant des signes aux passants et les acrobates qui volaient dans les airs avec des facilités que leur métier leur conférait, des danseuses blanches sur le dos de chevaux en tutu et des forts des halles bourrés de muscles qui soulevaient des poids incroyables sans aucun effort, car ils n’étaient pas humains et avaient des mécanismes. Il y avait même un chameau qui dansait et un magicien avec un chapeau d’où sortaient en file indienne des lapins qui faisaient un tour de piste et remontaient dans le chapeau pour recommencer encore une fois et encore, c’était un spectacle continu et il ne pouvait pas s’arrêter, c’était plus fort que lui. Les clowns étaient de toutes les couleurs et habillés comme c’est la loi chez eux, des clowns bleus, blancs et en arc-en-ciel et qui avaient un nez avec une ampoule rouge qui s’allumait. Derrière il y avait la foule de spectateurs qui n’étaient pas des vrais mais pour rire et qui applaudissaient sans arrêt, ils étaient faits pour ça. Le cosmonaute se levait pour saluer quand il touchait la lune et son engin patientait pour lui permettre de prendre son temps. Alors que l’on croyait avoir déjà tout vu, des éléphants marrants sortaient de leur garage en se tenant par la queue et faisaient des tours de piste, le dernier était encore un môme et tout rose, comme s’il venait d’être né. Mais pour moi c’étaient les clowns qui étaient les rois. Ils ressemblaient à rien et à personne. Ils avaient tous des têtes pas possibles, avec des yeux en points d’interrogation et ils étaient tous tellement cons qu’ils étaient toujours de bonne humeur. Je les regardais et je pensais que Madame Rosa aurait été très drôle si elle était un clown mais elle ne l’était pas et c’était ça qui était dégueulasse. Ils avaient des pantalons qui tombaient et remontaient parce qu’ils étaient désopilants et ils avaient des instruments de musique qui émettaient des étincelles et des jets d’eau au lieu de ce que ces instruments produisent dans la vie ordinaire. Les clowns étaient quatre et le roi c’était un Blanc en chapeau pointu avec un pantalon bouffé et au visage encore plus blanc que tout le reste. Les autres lui faisaient des courbettes et des saluts militaires et il leur donnait des coups de pied au cul, il ne faisait que ça toute sa vie et ne pouvait pas s’arrêter même s’il voulait, il était réglé dans ce but. Il ne le faisait pas méchamment, c’était chez lui mécanique. Il y avait un clown jaune avec des taches vertes et un visage toujours heureux même lorsqu’il se cassait la gueule, il faisait un numéro sur fil qu’il ratait toujours mais il trouvait ça plutôt marrant car il était philosophe. Il avait une perruque rousse qui se dressait d’horreur sur sa tête quand il mettait le premier pied sur le fil puis l’autre et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les pieds étaient sur le fil et il ne pouvait plus avancer ni reculer et il se mettait à trembler pour faire rire de peur, car il n’y avait rien de plus comique qu’un clown qui a peur. Son copain était tout bleu et gentil qui tenait une mini-guitare et chantait à la lune et on voyait qu’il avait très bon cœur mais n’y pouvait rien. Le dernier était en réalité deux, car il avait un double et ce que l’un faisait, l’autre aussi était obligé de le faire et ils essayaient d’y couper mais il n’y avait pas moyen, ils avaient partie liée. Ce qu’il y avait de meilleur c’est que c’était mécanique et bon enfant et on savait d’avance qu’ils ne souffraient pas, ne vieillissaient pas, et qu’il n’y avait pas de cas de malheur. C’était complètement différent de tout et sous aucun rapport. Même le chameau vous voulait du bien, contrairement que son nom l’indique. Il avait le sourire plein la gueule et se dandinait comme une rombière. Tout le monde était heureux dans ce cirque qui n’avait rien de naturel. Le clown sur le fil de fer jouissait d’une totale sécurité et en dix jours je ne l’ai pas vu tomber une fois, et s’il tombait je savais qu’il ne pouvait pas se faire mal. C’était vraiment autre chose, quoi. J’étais tellement heureux que je voulais mourir parce que le bonheur il faut le saisir pendant qu’il est là. Je regardais le cirque et j’étais bien lorsque j’ai senti une main sur mon épaule. Je me suis vite retourné car j’ai tout de suite cru à un flic mais c’était une môme plutôt jeune, vingt-cinq ans à tout casser. Elle était vachement pas mal, blonde, avec des grands cheveux et elle sentait bon et frais. – Pourquoi pleures-tu ? – Je ne pleure pas. Elle m’a touché la joue. – Et ça, qu’est-ce que c’est ? Ce ne sont pas des larmes ? – Non. Je ne sais pas du tout d’où ça vient. – Bon, je vois que je me suis trompée. Qu’est-ce qu’il est beau, ce cirque ! – C’est ce que j’ai vu de mieux dans le genre. – Tu habites par ici ? – Non, je ne suis pas français. Je suis probablement algérien, on est à Belleville. – Tu t’appelles comment ? – Momo. Je ne comprenais pas du tout pourquoi elle me draguait. A dix ans j’étais encore bon à rien, même comme arabe. Elle gardait sa main sur ma joue et j’ai reculé un peu. Il faut se méfier. Vous ne le savez peut-être pas, mais il y a des Assistances sociales qui ont l’air de rien et qui vous foutent une contravention avec enquête administrative. L’enquête administrative, il n’y a rien de pire. Madame Rosa ne vivait plus, quand elle y pensait. J’ai reculé encore un peu mais pas trop, juste pour avoir le temps de filer si elle me cherchait. Mais elle était vachement jolie et elle aurait pu se faire une fortune si elle voulait, avec un mec sérieux qui s’occuperait d’elle. Elle s’est mise à rire. – Il ne faut pas avoir peur. Tu parles. « Il ne faut pas avoir peur », c’est un truc débile. Monsieur Hamil dit toujours que la peur est notre plus sûre alliée et que sans elle Dieu sait ce qui nous arriverait, croyez-en ma vieille expérience. Monsieur Hamil est même allé à La Mecque, tellement il avait peur. – Tu ne devrais pas traîner tout seul dans les rues à ton âge. Là, je me suis marré. Je me suis marré royalement. Mais j’ai rien dit parce que j’étais pas là pour lui apprendre. – Tu es le plus beau petit garçon que j’aie jamais vu. – Vous n’êtes pas mal vous-même. Elle a ri. – Merci. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai eu un coup d’espoir. C’est pas que je cherchais à me caser, je n’allais pas plaquer Madame Rosa tant qu’elle était encore capable. Seulement il fallait quand même penser à l’avenir, qui vous arrive toujours sur la gueule tôt ou tard et j’en rêvais la nuit, des fois. Quelqu’un avec des vacances à la mer et qui ne me ferait rien sentir. Bon, je trompais Madame Rosa un peu mais c’était seulement dans ma tête, quand j’avais envie de crever. Je l’ai regardée avec espoir et j’avais le cœur qui battait. L’espoir, c’est un truc qui est toujours le plus fort, même chez les vieux comme Madame Rosa ou Monsieur Hamil. Dingue. Mais elle n’a plus rien dit. Ça s’est arrêté là. Les gens sont gratuits. Elle m’a parlé, elle m’a fait une fleur, elle m’a souri gentiment et puis elle a soupiré et elle est partie. Une pute. Elle portait un imper et un pantalon. On voyait ses cheveux blonds même derrière. Elle était mince et à la façon qu’elle marchait, on voyait qu’elle aurait pu monter les six étages en courant et plusieurs fois par jour avec des paquets. J’ai traîné derrière elle parce que je n’avais pas mieux à faire. Une fois, elle s’est arrêtée, elle m’a vu et on a rigolé tous les deux. Une fois je me suis caché dans une porte mais elle ne s’est pas retournée et elle n’est pas revenue. J’ai failli la perdre. Elle marchait vite et je pense qu’elle m’avait oublié parce qu’elle avait des chats à fouetter. Elle est entrée dans une porte cochère et je l’ai vue s’arrêter au rez-de-chaussée et sonner. Ça n’a pas raté. La porte s’est ouverte et il y a eu deux mômes qui lui ont sauté au cou. Sept ou huit ans, quoi. Ah là là, je vous jure. Je me suis assis
sous la porte cochère et je suis resté un moment
sans avoir tellement envie d’être là ou ailleurs.
J’avais deux ou trois choses que j’aurais pu faire,
il y avait le drug à l’Étoile avec des bandes
dessinées et on peut se foutre de tout avec des
bandes dessinées. Ou j’aurais pu aller à Pigalle
chez les filles qui m’aimaient bien et me faire des
sous. Mais j’en avais brusquement ma claque et ça
m’était égal. Je voulais plus être là du tout. J’ai
fermé les yeux mais il faut plus que ça et j’étais
toujours là, c’est automatique quand on vit. Je ne
comprenais pas du tout pourquoi elle m’avait fait
des avances, cette pute. Il faut bien dire que je
suis un peu con, lorsqu’il s’agit de comprendre, je
fais tout le temps des recherches, alors que c’est
Monsieur Hamil qui a raison lorsqu’il dit que ça
fait un bout de temps que personne n’y comprend rien
et qu’on ne peut que s’étonner. Je suis allé revoir
le cirque et j’ai gagné encore une heure ou deux
mais c’est rien, dans une journée. Je suis entré
dans un salon de thé pour dames, j’ai bouffé deux
gâteaux, des éclairs au chocolat, c’est ce que je
préfère, j’ai demandé où on peut pisser et en
remontant j’ai filé tout droit vers la porte, et
salut. Après ça, j’ai fauché des gants à un étalage
au Printemps et je suis allé les jeter dans une
poubelle. Ça m’a fait du bien..."
Romain
Gary (Emile Ajar) - La vie devant soi
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