Le Trochiscanthe
nodiflore [TN]
n°663 (2019-14)
mardi 2 avril 2019
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pie Courvières (Haut-Doubs) dimanche 17 février 2019 dimanche 24 février 2019 <image recadrée>
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 24 février 2019 Etourneau
sansonnet
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Courvières (Haut-Doubs) samedi 2 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
<image recadrée>
samedi 2 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 3 mars 2019 Corneille
noire
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 3 mars 2019 Un graine de Tournesol
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<image recadrée>
<image recadrée>
Courvières (Haut-Doubs) samedi 16 mars 2019 <image recadrée>
Un grillon
(?)
<image recadrée>Courvières (Haut-Doubs) samedi 16 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 24 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 31 mars 2019 Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 31 mars 2019 <image recadrée>
Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 31 mars 2019 <image recadrée>
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"2 Le vent soufflait plein nord par rafales irrégulières. Le type qui avançait à l'autre bout de la plage gelée était obligé de se plier en deux pour pouvoir continuer. De temps en temps, il faisait une pause et tournait le dos au vent. Il restait alors immobile, la tête penchée vers le sable et les mains enfouies dans les poches. Puis il reprenait sa marche incertaine. Il finit par se confondre avec la lumière grise. Elle, qui venait là tous les jours promener son chien dans les dunes, voyait avec une inquiétude croissante cet homme qui semblait passer ses journées sur la plage, depuis le lever du jour jusqu'au crépuscule, au milieu de l'après-midi. Il s'était matérialisé d'un coup quelques semaines plus tôt, tel un débris humain rejeté par la mer. En temps normal, les personnes qu'elle croisait au cours de ses promenades la saluaient. Mais en cette saison, bientôt novembre, on croisait rarement quelqu'un. Au début, elle l'avait cru timide ; puis elle l'avait jugé mal élevé – ou peut-être d'origine étrangère. Avec le temps, elle s'était prise à croire qu'un grand chagrin l'accablait, que ces errances au bord de l'eau étaient un pélérinage loin d'une mystérieuse douleur. Il avait une façon bizarre de marcher. Parfois il allait lentement, se traînant presque, avant de se ressaisir d'un coup et de continuer au pas de course. Ce n'étaient pas ses jambes qui le portaient, pensait-elle alors, mais ses pensées inquiètes. Et elle croyait le voir serrer les poings, bien que ses mains soient toujours cachées dans ses poches. Au bout d'une semaine, il lui sembla avoir une idée assez précise de sa situation. Ce type solitaire qui avait surgi de nulle-part traversait tant bien que mal une grave crise personnelle. Elle le voyait comme un navire essayant de se frayer un chemin dans des eaux périlleuses hérissées d'écueils. De là son caractère renfermé, ses itinéraires en zigzag. Elle en discuta le soir avec son mari, que les rhumatismes avaient contraint à une retraite anticipée. Il accepta de l'accompagner jusqu'à la plage, alors que cela lui coûtait beaucoup physiquement et qu'il préférait de façon générale ne pas quitter la maison. Il tomba d'accord avec elle. Mais à ses yeux, le comportement du type était tellement anormal qu'il décida d'appeler un ami policier à Skagen et de lui communiquer en confidence leurs observations. Peut-être l'homme était-il recherché, en fuite, échappé d'un des rares hôpitaux psychiatriques encore en activité dans le pays ? Mais l'ami, un flic expérimenté qui avait vu bien des barjos faire le pélérinage jusqu'à l'extrême pointe de l'île de Jylland pour y trouver la paix, lui suggéra d'être raisonnable. Il fallait juste laisser le type tranquille. La plage comprise entre les dunes et les deux mers qui se rejoignaient à cet endroit de la côte était un no man's land aux limites mouvantes qui appartenait à ceux qui en avaient besoin. La femme au chien et l'homme au pardessus noir continuèrent donc à se croiser comme deux navires pendant une semaine encore. Mais un jour – le 24 octobre 1993 -, elle fut témoin d'un événement qu'elle mettrait par la suite en relation avec la disparition subite du promeneur solitaire. C'était par exception un jour de calme plat où le brouillard pesait immobile sur la plage et sur la mer. Les cornes de brume mugissaient au loin comme du bétail abandonné. Le singulier paysage tout entier retenait son souffle. Soudain, en apercevant le type au pardessus, elle se figea. Il n'était pas seul. Il avait été rejoint par un homme de petite taille, vêtu d'un anorak clair et coiffé d'une casquette. Elle les contempla de loin. C'était le nouveau venu qui parlait, et il semblait à toute force vouloir persuader l'homme au pardessus de quelque chose. A certains moments, il sortait les mains de ses poches et gesticulait comme pour renforcer l'effet de son discours. Elle distinguait aucune parole, mais l'attitude du nouveau venu lui donna à penser qu'il était dans tous ses états. Quelques minutes plus tard, les deux hommes reprirent leur promenade le long du rivage où le brouillard les ensevelit rapidement. Le lendemain,
l'homme au pardessus noir était à nouveau seul sur
la plage. Mais, cinq jours plus tard, il disparut.
Jusqu'à la fin du mois de novembre, elle y retourna
tous les jours avec son chien, croyant qu'il serait
à nouveau là. Mais il ne revint pas. Elle ne le
revit jamais..."
Henning
Mankell - L'homme qui souriait
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