Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°662 (2019-13)
mardi 26 mars 2019
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Espoir du printemps Verdier d'Europe Courvières (Haut-Doubs) samedi 2 mars 2019 <image recadrée>
Courvières (Haut-Doubs) samedi 2 mars 2019 Avec un peu plus de soleil...
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 mars 2019 dimanche 3 mars 2019 <image recadrée> Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 mars 2019 <image recadrée> Courvières
(Haut-Doubs) <image recadrée>
Détail du plumage<image recadrée> <image recadrée> Courvières
(Haut-Doubs) "On ne saurait trouver meilleur nom à ce robuste compère. Par un jour d'hiver, il est apparu devant ma fenêtre, d'abord furtif et prudent puis gagnant de l'assurance. Maintenant, il trône sur le godet garni de graines et ne se dérange plus ; les mésanges attendent qu'il ait fini. Patient et consciencieux, il épluche le tournesol entre ses mandibules, puise graine après graine et dévore la moitié de la provision. Pendant quelques jours, il reviendra aux mêmes heures, puis il s'absentera une semaine, reprendra ses habitudes, sans qu'on puisse compter sur lui. Un moineau vert, avec un galon jaune sur le bord de l'aile fermée tel est son aspect général. En effet, sa taille est peu près celle du « Pierrot » ; la teinte pâle de son fort bec conique, le beau vert olive du plumage – bronzé sur le dos, jauni au croupion, plus doré à la gorge – les marques jaune d'or qui brillent sur les ailes et aux côtés de la queue, le distinguent de tout autre oiseau indigène. Ces derniers caractères sont aussi distinctifs chez les jeunes en livrée brune et rayée, comme chez la femelle, plus terne que le mâle. La silhouette assez lourde du Verdier, sa placidité confortable et sans grâce, son avidité de gros mangeur en font pour nous un être plutôt prosaïque – surtout en hiver, quand nous le voyons de près et dans un plumage sans éclat. A la belle saison, quand ses couleurs se sont avivées, l'oiseau vert se confond si bien avec les feuillages que son intimité nous échappe..." Paul
Géroudet - Les passereaux d'Europe Courvières
(Haut-Doubs)
Courvières
(Haut-Doubs) Entre ombre
et lumière Courvières
(Haut-Doubs)
Courvières
(Haut-Doubs) Courvières
(Haut-Doubs) Courvières
(Haut-Doubs) <image recadrée>
Portrait Courvières
(Haut-Doubs) Courvières
(Haut-Doubs) Au sol... Dans le Pommier |
"Tant qu'un phénomène aussi peu enviable n'existera que chez les invertébrés mal connus et « inférieurs », les tenants de la suprématie du mâle, qui cherchent dans la nature une pseudo-confirmation de leurs thèses, ne seront pas troublés outre mesure. Mais je m'empresse de leur citer un cas analogue, cette fois chez un groupe de vertébrés extrêmement spécialisés, les baudroies d'eau profonde appartenant aux Cératioïdes (un vaste groupe qui comporte 11 familles et près de 100 espèces). Les baudroies réunissent toutes les conditions nécessaires pour transformer les mâles nains en systèmes de distribution de sperme. Elles vivent dans les profondeurs de l'océan, essentiellement entre 900 et 3000 mètres au-dessous de la surface, où la nourriture est rare et les populations clairsemées. Chez les femelles, le premier rayon de la nageoire dorsale s'est détaché et s'est rapproché de leur vaste ouverture buccale. Elles agitent un appât au bout de cette arête et s'en servent littéralement pour pêcher. En flottant, elles secouent légèrement l'appât, tandis que le reste de leur corps reste immobile. Les baudroies de la même famille qui fréquentent les eaux moins profondes et vivent sur les hauts-fonds développent souvent des structures mimétiques en guise d'appât, des fragments de tissus qui ressemblent à des vers ou même à un poisson-leurre. Les Cératioïdes vivent à des profondeurs que n'atteint pas la lumière. Leur univers est donc entièrement obscur, ce qui les oblige à produire eux-mêmes la lumière qui attirera une proie. Leur appât diffuse une luminescence due à des glandes photo-émettrices, et devient ainsi un piège mortel pour les proies en même temps que, peut-être, un phare pour les mâles nains. En 1922, B. Saemundsson, un biologiste des pêcheries islandaises, remonta à la surface une femelle Ceratias Holbolli, de 66,43 cm de long. A sa grande surprise, il découvrit deux mini-cératias de 5,15 et 5,33 cm de long, fixés à la peau de la femelle. Il pensa, bien sûr, que c'étaient ses petits, mais leur forme dégénérée l'intrigua. « Je crus d'abord, écrit-il, que ces rejetons étaient des lambeaux de chair qui pendaient. » Un autre élément bizarre l'intrigua encore davantage : ces petits poissons étaient si solidement fixés que leurs lèvres s'étaient développées autour d'un cordon de tissu femelle qui avançait profondément dans leur bouche et leur gorge. Pour décrire ce phénomène, Saemundsson dut recourir à une comparaison avec les mammifères, visiblement inappropriée : « Les lèvres sont soudées et fixées à une papille molle ou « téton », saillant pour autant que je puisse en juger du ventre de la mère. » Trois ans plus tard, le grand ichtyologiste britannique C. Tate Regan, alors conservateur du département des poissons, et qui devint plus tard le grand patron de la section d'Histoire naturelle du British Museum, résolut l'énigme. Les « petits » n'étaient pas la progéniture de la femelle, mais des mâles nains ayant atteint leur maturité sexuelle et qui s'étaient attachés définitevement à elle. En étudiant de plus près les mécanismes de cette union, Regan constata l'ahurissante réalité, considérée depuis lors comme la plus grande bizarrerie de toute l'histoire naturelle : « Au point de la jonction entre le poisson mâle et le poisson femelle, la fusion est totale (...), leurs systèmes vasculaires ne font qu'un. » Autrement dit, le mâle a cessé d'être un organisme indépendant. Il ne se nourrit plus, car sa bouche est soudée à la surface externe de la peau de la femelle. Les systèmes vasculaires du mâle et de la femelle ont fusionné, et pour se nourrir le minuscule mâle dépend entièrement du sange de la femelle. Regan écrit à propos d'une autre espèce douée de moeurs semblables : « Il est impossible de dire où commence un des poissons et ou finit l'autre. » Le mâle est devenu un appendice sexuel de la femelle, une sorte de pénis incorporé. (La littérature technique, comme celle de vulgarisation, qualifie souvent le mâle de « parasite ». Mais je m'insurge : les parasites vivent aux dépens de leur hôte. Les mâles fusionnés dépendent des femelles pour se nourrir, mais ils fournissent en échange le plus précieux des dons biologiques : la possibilité d'accèder à la génération suivante et de se prolonger sur le plan évolutif.) Les textes de vulgarisation ont pour la plupart exagéré le degré d'« intégration » du mâle. Bien qu'ils renoncent à leur indépendance vasculaire et perdent ou réduisent la dimension des organes dont ils n'ont plus besoin (les yeux, par exemple), ces mâles fusionnés sont plus qu'un simple pénis. Leur coeur doit continuer à faire circuler le sang désormais fourni par les femelles ; ils respirent toujours avec leurs ouïes et évacuent les déchets avec leurs reins. Regan décrit ainsi un de ces mâles solidement attaché : Le poisson mâle, même s'il n'est plus, dans une grande mesure, qu'un appendice de la femelle et s'il dépend entièrement d'elle pour se nourrir, conserve pourtant une certaine autonomie. Il est sans doute capable, par des mouvements de la queue et des nageoires, de plus ou moins changer de position. Il repire, ses reins conservent peut-être leurs fonctions, et il épure son sang de certains produits de son propre métabolisme, qu'il conserve comme pigment (...). Mais cette union conjugale est si parfaite et totale qu'on pourrait presque affirmer avec certitude que leurs glandes génitales parviennent simultanément à maturité ; et il n'est peut-être pas trop déraisonnable de penser que la femelle puisse être capable de contrôler la décharge séminale du mâle pour garantir qu'elle se déclenche au moment voulu pour féconder ses oeufs. Toutefois, aussi autonomes soient-ils, les mâles ne se sont guère souciés d'optimum darwinien, car ils n'ont mis en place aucun mécanisme destiné à exclure les autres mâles de toute fusion ultérieure. Plusieurs mâles sont souvent incrustés dans une même femelle. [...] Les mâles cératioïdes s'embarquent très tôt dans leur étrange aventure. Au stade larvaire, ils s'alimentent normalement et vivent de manière indépendante. Après une brève période de transformation, ou métamorphose, le tube digestif cesse de se développer chez les mâles des espèces où s'opère la fusion, et ceux-ci ne se nourriront jamais plus. Leurs dents normales disparaissent et ils conservent seulement quelques dents excessivement développées et soudées à l'extrémité de leur bouche, qui ne leur seront d'aucune utilité pour se nourrir, mais parfaitement adaptées pour agripper solidement une femelle. Leur forme s'affine, ils prennent une forme plus fuselée, avec une tête pointue, un corps comprimé et une nageoire caudale capable d'une vigoureuse propulsion : bref, ils deviennent une sorte de torpille sexuelle. Mais comment ces minuscules particules de matière conjugale perdues dans l'infinité de l'océan vont-elles trouver les femelles ? La plupart des espèces doivent se servir d'indices olfatics, modalité souvent extrêmement raffinée chez les poissons, comme on le voit chez le saumon capable de retrouver par l'odorat son cours d'eau d'origine. Les orifices olfactifs de ces mâles ceratioïdes s'hypertrophient après la métamorphose ; relativement à leurs dimensions, certains ont les plus organes nasaux de tous les vertébrés. Dans une autre famille, ils ne se développent pas, mais les mâles ont des yeux énormes qui leur permettent sans doute de chercher la lumière fantomatique émise par les femelles en train de chasser (chaque espèce a son propre type d'émissions lumineuses, et les mâles reconnaissent probablement ainsi les « bonnes » femelles). Le système n'est pas absolument garanti contre les erreurs ; c'est ainsi que l'ichtyologiste Ted Pietsch a trouvé récemment un mâle d'une espèce fixé à une femelle d'une autre espèce – méprise fatale en matière d'évolution (bien que les deux poissons n'aient pas fusionné et qu'ils se fussent sans doute séparés par la suite si la science, toujours zélée, ne les avait pas pris en flagrant délit). Tandis que je plie
et déplie mes doigts et manoeuvre mes orteils en
savourant mon autonomie (et avec deux bons
centimètres d'avantage sur ma femme), je suis tenté
(mais je résiste) d'évaluer le sort de ce malheureux
mâle fusionné à l'aune de ma chère indépendance, et
de m'apitoyer sur son sort. D'accord, ce n'est pas
une vie, du moins comme nous l'entendons, mais ce
système permet à plusieurs espèces de baudroies de
se perpétuer au sein d'un environnement peu
ordinaire et hostile. Et puis, qui peut juger ? En
un certain sens freudien, quel mâle resisterait au
fantasme de vivre en tant que pénis doté d'un coeur,
fiché en profondeur et en permanence dans une
femelle attentive et nourricière ? Je prendrai donc congé des baudroies fusionnées avec un certain respect admiratif. N'ont-ils pas, ces mâles, découvert et irrévocablement défini quant à eux ce qui, selon Shakespeare, « fut toujours connu des vrais sages, que la seule fin possible aux voyages est la rencontre des amants » ?"
Stephen
Jay Gould - Quand les poules auront des
dents
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