Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°661 (2019-12)
mardi 19 mars 2019
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Foulque macroule La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 16 février 2019 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 16 février 2019
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 16 février 2019 <image recadrée> Sur la glace La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 16 février 2019 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 16 février 2019 Poursuite
La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 17 février 2019 dimanche 17 février 2019 <image recadrée> devant le Cormoran samedi 23 février 2019 Envol
<image recadrée>
La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 23 février 2019 samedi 23 février 2019 Avec les Harles La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 23 février 2019 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 3 mars 2019 dimanche 3 mars 2019 Toilette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 17 mars 2019 Reflet
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La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 17 mars 2019 Toilette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 17 mars 2019 Pour regarder, ou cliquez [ici] Contre-jour
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 17 mars 2019 Pour un futur nid (?)
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 17 mars 2019 <image recadrée> Pain
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 17 mars 2019 |
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Suggestion de
lecture : "La scène qui suit, avec des variantes, s'est répétée cent fois. Les infirmières entraient comme les ballerines de la Bayadère dans la scène du Royaume des Ombres, au ralenti. Gabriela m'avait souvent parlé du ballet, qu'elle avait répété comme doublure sans jamais le jouer. Si je n'avais pas pris d'opium, contrairement à Solor, j'étais dans un état semblable au prince malheureux, dans un rêve : c'était la manière la plus réaliste d'assimiler mes sensations. Avant leur entrée, j'ai vérifié l'état du sol. Je me suis levé, j'ai nettoyé jusqu'à l'étourdissement la moindre tache avec les mouchoirs en papier marron, puis j'ai entrouvert la fenêtre qui ne pouvait s'ouvrir davantage, et j'ai parfumé l'atmosphère avec une eau de toilette à dominante d'agrume qu'une amie m'avait apportée. Comme Solor, j'avais fait tomber les murs de la chambre. Elles sont arrivées l'une derrière l'autre avec le chariot, souriantes, à deux. Une troisième les suivait. Elle a regardé, au pied du lit, comment les autres faisaient. - Vous voulez de la musique ? J'en voulais, mais pas n'importe laquelle. Sur le ghetto-blaster de mon neveu, j'ai mis du Bach : soit Le Clavier bien tempéré, par Sviatoskav Richter : soit les Variations Goldberg par Glenn Gould ou Wilhelm Kempf : soit l'Art de la fugue, pas Zhu Xiao-Mei. La musique de Bach, comme la morphine, me soulageait. Elle faisait plus que me soulager : elle liquidait toute tentation de plainte, tout sentiment d'injustice, tout étrangeté du corps. Bach descendait sur la chambre et le lit et ma vie, sur les infirmières et leur chariot. Il nous a tous enveloppés. Dans sa lumière sonore chaque geste s'est détaché et la paix, une certaine paix, s'est installée. Un poème de John Donne, lu bien des années avant, prenait sens : "Il n'y aura ni nuage ni soleil, ni obscurité ni éblouissement - mais une seule lumière. Ni bruit ni silence - mais une seule musique. Ni peurs ni espoirs - mais une seule possession. Ni ennemis ni amis - mais une seule communion. Ni début ni fin - mais une seule éternité." Le changement du pansement pouvait commencer. [...] Dans l'après-midi,
Gabriel, un ami violoniste, membre du quatuor
Thymos, vient jouer dans la chambre la Chaconne
de Bach. Je me suis installé dans le fauteuil. Il
étale la partition, immense, sur le lit. J'ai
prévenu Hossein, le jeune chirurgien de garde le 7
janvier, qui n'est pas encore un ami, mais qui n'est
plus seulement un soignant. Il vient écouter. Il en
profite pour m'offrir un receuil de poèmes persans,
Oasis d'émeraude,
de Sohrab Sepehri. Des infirmières sont là. Chloé
n'a pas pu venir. Gabriel suit la partition en
remontant lentement jusqu'à la tête du lit. Les
cordes grincent, j'entends sa respiration, son
souffle, ses pieds sur le sol. Rien n'est physique
comme le violon. Son corps paraît souffrir toute la
beauté qu'il répand. Bach résonne presque
sauvagement dans le silence de la chambre et du
service. Je me mets à saliver sous le pansement. Les
nerfs se tendent et se détendent, les cordes du
violon grincent. J'ai mal aux mains. Je regarde les
pâtés cicatriciels qui les encombrent. Le corps
entier est occupé, comme celui du violon, par la
difficulté et la musique. Tous les sentiments,
toutes les émotions défilent dans la Chaconne
: Gabriel les communique tantôt un par un, tantôt
ensemble. Il se bat jusqu'à l'oreiller et finit la
main presque paralysée. Pendant quelques minutes,
j'ai l'impression que je n'ai survécu que pour être
là. JS Bach - Chaconne de la
Partita n° 2 - BWV 1004
Pour regarder et écouter,
[...] Nous échangions depuis quelque temps des disques avec Hossein, et, une fois installé sous la couverture chauffante, je l’ai vu s’approcher et me montrer un CD d’un pianiste américain, Richard Buhlig : c’était l'Art de la fugue, que j’écoutais de plus en plus souvent dans la chambre et dans une version de la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei. Hossein m’a dit : « J’ai pensé que vous ne la connaissiez peut-être pas cette interprétation », et il avait raison. Puis il m’a expliqué ce qu’il allait faire en m’indiquant une sorte de râpe perfectionnée, le dermatome. Grâce à elle, il allait prélever une fine tranche d’épiderme sur la cuisse droite, pas plus épaisse que la plus fine des tranches de mortadelle, juste à côté de celle qui avait été prélevée pour la grande greffe : « Comme ça, m’a-t-il dit, on laisse l’autre cuisse intacte. » L’idée que certaines parties de mon corps puissent échapper aux cicatrices me paraissait maintenant presque incongrue, et j’ai eu un bref moment de soulagement. Une partie de la tranche de peau serait ensuite plaquée et cousue sur la zone de greffe, sous la lèvre. C’était une greffe dite de peau mince. Il en existe en profondeur, mais cela, c’était pour plus tard, quand celle-ci aurait échoué. Les explications étaient données, L’opération pouvait commencer. Hossein a installé le CD dans un lecteur. Tandis qu’on désinfectait et anesthésiait la cuisse droite, les premières notes, si lentes, du premier contrepoint sont passées entre les bonnets des infirmières pour entrer une à une, comme les gouttes d’un début de pluie, dans l’oreille. Ré, la, fa, ré, do dièse, ré, mi, fa, fa, sol, fa, mi, ré. C’était une musique d’hiver, c’était l’hiver, ma vie était en hiver. Le son du vieil enregistrement se déposait sur la salle et sur mon corps. J’ai senti les piqûres et me suis concentré sur la musique de cet homme, Bach, dont j’avais chaque jour un peu plus l’impression qu’il m’avait sauvé la vie. Comme chez Kafka, la puissance rejoignait la modestie, mais ce n’était pas la culpabilité qui l’animait : c’était la confiance en un dieu qui donnait à ce caractère coléreux le génie et la paix. Hossein a approché le dermatome de la cuisse, j’ai fermé les yeux et cherché à entrer dans la fugue qui développait maintenant ses différentes lignes en obtenant ce miracle : plus c’était complexe, plus ça me simplifiait. J’ai senti une légère brûlure. Le paysage se dégageait. Les contrepoints se succédaient et Hossein s’est mis à travailler sur le visage qu’il avait anesthésié. L’anesthésie locale, sur le visage, est un paradoxe encore plus affirmé qu’ailleurs. Je sentais violemment tout ce dont je ne souffrais pas encore. La peau qu’on plaque et qu’on tire, la lèvre qu’on étire, le mouvement des tissus et pour finir l’aiguille plantée et replantée par Hossein pour effectuer la suture. Comme la sensation ne correspondait à aucune douleur, la perception de mon visage était une fois de plus désorientée. L’imagination prenait le relais des nerfs endormis, comme pour tirer les conclusions les plus folles d’une phrase inachevée. Le moindre geste ressemblait à la secousse d’un glissement de terrain, mais sans morts ni blessés, juste avec le tremblement et la panique. Je me suis alors reconcentré sur la fugue. Je cherchais à entrer dedans, à devenir cette fugue, pour échapper aux variations de mon imagination. Pas question de m’agiter ou de me plaindre en présence de Bach ni, d’ailleurs, en celle d’Hossein. Au contraire, maintenant que le second semblait me déchirer la lèvre pour l’amener vers la droite jusqu’au-delà du bloc, comme on tire l’oreille d’un garnement, je devais mettre des sensations aussi aveugles qu’intenses au service de l’écoute du premier, et c’est ce que je fis tandis que, faute d’anesthésie suffisante, la douleur pointait le bout du nez : j’ai fait signe à Hossein et une nouvelle piqûre l’a éloignée. Je suis reparti dans la fugue et je n’en suis sorti que pour remonter. Une fois dans la chambre, je l’ai réécoutée. Pendant que j’étais au bloc, Gabriela m’avait de nouveau écrit. Son mail était si violent que je n’ai pas répondu. J’étais fatigué. J’en ai parlé à mon frère, qui m’a proposé de lui écrire pour lui rappeler que je n’avais pas été victime d’un « petit accident de voiture », puisqu’elle semblait l’avoir oublié. Je lui ai répondu de n’en rien faire, que c’était sans importance et qu’elle s’était déjà probablement calmée. Elle était seule, déstabilisée, étouffée par la culpabilité : sur qui d’autre que moi aurait-elle pu décharger sa peine et sa colère ? Qu’elle le fasse au moment même où je remontais d’un bloc ne pouvait que m’éloigner de ce bloc, du moins pour quelques instants, et Gabriela et son mail et l’idée d’y répondre ont disparu tandis que Bach refaisait le vide, puis le plein. Sur ma peau, les pansements ne tenaient plus. Hossein m’avait conseillé, au moment où le brancardier m’emportait, de la dégraisser avec du benjoin. J’ai demandé à mon frère d’en trouver et je me suis endormi, jusqu’à ce que me réveille l’une de ces toux pénibles et récurrentes, dues à la trach’. Deux infirmières sont entrées et ont fini par expulser deux bouchons. J’étais en sueur, liquidé, une fois encore j ’ai remis l’Art de la fugue..."
Philippe
Lançon - Le Lambeau
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