Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°655 (2019-06)
mardi 5 février 2019
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Rougegorge
familier Nouveau
livret virtuel... qui peut prendre du temps à télécharger ! Pour le feuilleter,
cliquez sur une des images ci-dessus, ou cliquez [ici]Aube J’ai embrassé l’aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors
je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en
agitant
les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée
au coq. En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi. Arthur Rimbaud Voyelles Pour le feuilleter,
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le thème des Renards
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"JE SUIS UNE FORET
PLEINE DE TENEBRES
A la sortie, un homme en blouson brandit une feuille de papier avec deux noms écrits à la main au feutre rouge : M. Jonas en haut, au-dessous il y a un nom de femme. Nous sommes les deux passagers que l'hôtel a envoyé chercher et nous partageons la banquette arrière du taxi. La femme est assise derrière le chauffeur, elle porte des lunettes de soleil, par temps couvert. Le véhicule est vieux et poussiéreux, le tissu des sièges est déchiré, je sens les ressorts dans mon dos, les ceintures de sécurité sont tout élimées. Mariés ? Est le premier mot que prononce le chauffeur en hochant la tête vers nous. Il me jauge d'abord pour confirmation, puis regarde la femme, et je comprends que c'est une question. Elle secoue la tête en disant quelques mots dans leur langue. En tailleur bleu, un foulard autour du cou, elle se penche un peu, les mains appuyées sur le dossier du siège avant, comme si elle posait dans le studio d'un photographe. Je ne suis jamais parti si loin de mon pays que je ne puisse saisir un mot par-ci par-là, jamais si loin que je ne comprenne le garçon de café qui m'apporte une bière, et réciproquement. L'hôtel Silence est sur la côte, à une heure de route de l'aéroport, mais le chauffeur explique que le réseau routier est encore paralysé, qu'il faut faire un détour et traverser la ville, soit une demi-heure de trajet en plus. Une partie du parcours n'est même pas sur la carte, dit-il. On aperçoit des collines au loin, sur fond de plat pays. La première chose que je remarque est cette poussière grise qui recouvre tout, comme des cendres après une éruption volcanique ; mis à part le rougeoiement du ciel vespéral, nous roulons dans un décor noir et blanc. Le chauffeur confirme mon impression.
Chaque fois qu'il s'adresse à nous, l'homme bouge son rétroviseur de manière à nous avoir tous les deux dans son champ visuel. Il conduit de la main droite, la gauche reposant, immobile, sur ses genoux ; quand il veut montrer quelque chose, il lâche complètement le volant et la voiture tangue sur la route. Je repère un pan de l'ancien mur de la ville.
L'hôtel est resté fermé pendant des mois, nous apprend-il, bien étonné d'y avoir conduit trois clients dans la même semaine. Trois en tout, nous compris, souligne-t-il en levant trois doigts tandis que la voiture fait une embardée. Pas un seul bâtiment intact sur notre passage. Le conducteur pointe et énumère : le Parlement a été détruit, ainsi que le musée, l'immeuble de la télévision n'est plus que décombres, les Archives nationales et tous les manuscrits qu'elles contenaient ont été réduits à néant, le musée d'art moderne pulvérisé. Là, il y avait une école, là une bibliothèque, là l'université, ici il y avait une boulangerie, ici un cinéma, poursuit-il. Tout n'est que dévastation. De hauts immeubles d'habitation ont été éventrés par les bombes et quantité de vitres manquent aux fenêtres des façades encore debout. Je me dis : vous avez des maisons en ruines qui s'écroulent ; et nous des roches qui se fendent, déversant en torrent de la lave en fusion. Nous progressons lentement à travers la ville. Pas grand monde dans les rues ; les gens sont pâles et ont l'air fatigués. Par endroits, des engins déblayent les gravats. Çà et là, des signes indiquent qu'on vivait bien avant la guerre. Nous stoppons à un carrefour, juste à côté d'une construction de deux étages sans façade, comme une maison de poupée. Malgré l'épaisse couche de poussière qui recouvre tout, je distingue le motif d'un tapis au sol et ce qui reste d'un piano. Mon regard s'attarde sur un profond fauteuil et son repose-pieds, oeuvre d'un designer connu. A côté du siège, un lampadaire et une bibliothèque renversés. Je remarque dans la chambre à coucher que le lit est fait, quelqu'un a tiré dessus une couverture blanche juste avant de quitter les lieux, peut-être pour aller acheter des petits pains à la boulangerie, sauf qu'il s'est fait abattre en chemin. Un vase jaune, intact, sur une étagère du salon, retient particulièrement mon attention. La carcasse d'un break jonche le sol du garage et un tricycle rouge gît dans l'allée. Il y a des ordures partout, et il me semble bien que les canalisations du tout-à-l'égout sont à l'air libre. Le chauffeur s'excuse de ne pouvoir remonter la vitre de mon côté. En dehors de l'odeur extérieur et des forts effluves d'eau de toilette Fahrenheit du chauffeur, je perçois le doux parfum fleuri de la passagère, tout différent de celui de Guorun. Comment s'appelait-il déjà ? Avec une goutte de Pluton derrière l'oreille, Guorun n'était-elle pas la compagne des étoiles ? Toujours silencieuse, la femme regarde entre les dossiers des sièges avant.
Il lâche le volant pour ajuster une fois de plus le rétroviseur. C'est à mon tour d'être dans la ligne de mire. L'homme veut savoir ce que je suis venu faire ici.
Lui et ma passagère me considèrent. Ils échangent un regard dans le miroir. Il lui marmonne quelques mots, et tous deux hochent la tête, les yeux fixés sur moi. Je les observe moi aussi. Le chauffeur reformule sa question. Il me demande si je suis en mission, comme l'homme qu'il a conduit à l'hôtel en début de semaine. Je répète que je suis en vacances et il cesse de m'interroger. Nous nous éloignons de la ville et roulons maintenant sur une route de campagne sinueuse à travers la forêt. Je remarque que les troncs sont gris ; la plupart des arbres semblent d'avoir jamais eu de feuillage. Parvenu à hauteur d'un champ en lisière de forêt, le chauffeur cesse d'appuyer sur l'accélérateur et, la main tendue, délaisse à nouveau le volant. La voiture se met à zigzaguer sur la route.
La passagère lui répond et je sens que le chauffeur s'agite sur son siège. Il secoue la tête. La femme m'adresse la parole pour la première fois.
Elle se tait et regarde par la vitre. Je me demande ce que le chauffeur de taxi a pu faire pour survivre. Pourquoi n'est-il pas enterré à l'orée de la forêt ? Etait-il bourreau ou victime ? Porte-t-il la responsabilité de quelques-unes de ces tombes de pères et de fils fraîchement creusées ? Silencieux, il semble concentrer toute son attention sur la conduite. Peu après, il reprend la parole en changeant de sujet et dit avoir transporté avant la guerre plusieurs grandes stars à l'hôtel de santé, comme il l'appelle.
Il réfléchit un instant.
Il reprend le fil après un silence :
Ils me regardent tous deux et l'homme hoche la tête.
En y repensant, le chauffeur admet que ça devait être There's a starman waitin in the sky que son client et lui avaient entendu.
Ce qui, du reste, ne l'avait pas surpris parce qu'il a souvent conduit des célébrités et entendu dire que les gens célèbres sont plus petits qu'on ne l'imagine.
Dans son souvenir, pendant qu'il observait Mick Jagger ou David Bowie dans le rétroviseur, il le voyait remuer les lèvres en suivant la mélodie.
Il opine du bonnet.
La femme sourit. Est-ce à moi qu'elle sourit ? Au crépuscule, nous entrons dans la bourgade sous un ciel ensanglanté. La voiture avance au ralenti sur le pavement d'étroites rues. Mon regard s'enfonce dans un passage dallé, un peu partout de profondes écorchures dénudent ou crèvent les canalisations. Au moment où le chauffeur sort les valises du coffre, je constate que la manche gauche de sa veste, qui reposait inerte sur sa cuisse, est vide.
Sourd d'une oreille, le bras amputé, il estime s'en être bien tiré.
Puis il écarte ses cheveux de sa main sauve sur une demi-oreille et une cicatrice qui va de l'oeil à la tempe.
Et moi je pense : j'entends et je vois. Alors que je pénètre dans l'Hôtel Silence avec ma caisse à outils, je l'entends marmonner derrière moi :
Mais on dirait
qu'il se parle à lui-même..."
Audur
Ava Olafsdottir - Ör
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