Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°646 (2018-46)
mardi 27 novembre 2018
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Rougegorge Astugue (Hautes-Pyrénées) vendredi 9 novembre 2018
Astugue (Hautes-Pyrénées) vendredi 9 novembre 2018 <image recadrée> Astugue
(Hautes-Pyrénées)
dimanche 11 novembre 2018 Pour regarder, ou cliquez [ici] <pas de son !> Astugue (Hautes-Pyrénées) mercredi 14 novembre 2018 Toilette
Astugue (Hautes-Pyrénées) jeudi 15 novembre 2018 <image recadrée>
<image recadrée>
Astugue
(Hautes-Pyrénées) Astugue (Hautes-Pyrénées) jeudi 15 novembre 2018 Pour regarder, ou cliquez [ici] <pas de son !> <image recadrée>
Astugue
(Hautes-Pyrénées)jeudi 15 novembre 2018 Pour regarder, ou cliquez [ici] <pas de son !> Astugue
(Hautes-Pyrénées) Héron garde-boeufs Astugue (Hautes-Pyrénées) jeudi 15 novembre 2018 Un peu plus haut dans la prairie au dessus de mon affût, quelques individus sont venus se nourrir, parmi les vaches (du voisin de mon frère...). Astugue (Hautes-Pyrénées) jeudi 15 novembre 2018
Envol Astugue (Hautes-Pyrénées) jeudi 15 novembre 2018 Vue (au 40 mm) sur le perchoir
utilisé par le Rougegorge
Astugue
(Hautes-Pyrénées)Astugue (Hautes-Pyrénées) vendredi 16 novembre 2018 vendredi 16 novembre 2018 <image recadrée>
Pour regarder et écouter, ou cliquez [ici] <pas de son !> Astugue
(Hautes-Pyrénées)
samedi 17 novembre 2018 Astugue
(Hautes-Pyrénées)
samedi 17 novembre 2018 Astugue
(Hautes-Pyrénées)
<image recadrée>samedi 17 novembre 2018 |
"Les porcs
UNE LETTRE POSTEE DE KENTBURY ETAIT PARVENUE CE MATIN-LA AU TRIBUNAL DE SHIPBURDEN, A L'ATTENTION SPECIALE DE L'ATTORNEY DU CHEF-LIEU.
« Cher Monsieur, Ce n'était pas pour en arriver là ! De père en fils, nous vivons ici, comme nos grands-parents et comme les parents de nos grands-parents et même plus loin dans le passé, comme les fondateurs de notre famille. Dans notre sang, la vigueur des fermiers. Ceux qui ont dépierré les champs, levé les murets, préservés les carrés de forêts et prospéré sur ce calcaire. La question du destin ne se posait jamais : les gosses reprenaient la ferme des pères. Ils travaillaient dur et se montraient dignes. J'ai hérité de la mienne en 1969. Le Dorset était un paradis, la vie était douce. Qu'avons-nous fait et qui est coupable ? Comment avons-nous pu laisser l'enfer s'inviter sur ce carré de terre ? Je ne veux plus entendre leurs cris. Je ne peux plus les supporter. Ils vivent dans l'obscurité en permanence. Lorsqu'on fait coulisser la porte à glissière, ils entendent le grincement et commencent à geindre. Leur plainte gonfle dans le noir. Elle fait comme un rempart qu'il faut forcer pour entrer. Quand ils sentent qu'on pénètre sur les rampes de grillages, ils ruent dans les cages, se cognent aux barres. Le fracas du métal se mêle aux hurlements. La clameur monte en intensité. Je ne veux plus de ces cris : c'est un bruit monstrueux, absurde, un son que la loi de la nature interdit. La nuit, les cris sont dans ma tête. Ils me réveillent, vers une heure, après le premier sommeil. Mes cauchemars sont l'écho de ce mal. Les choses ont commencé il y a quarante ans. Il y a eu la première ferme intensive et les autres éleveurs ont emboîté le pas. Ensemble, cela n'aurait pas été difficile de résister. On serait resté un peu à la traîne. On aurait continué comme avant et les tendances du monde auraient glissé sur nous. La difficulté n'est pas de rester à quai, mais de voir son voisin monter dans le train du progrès sans vous. C'est le mimétisme qui a couvert le Dorset de hangars à cochons. La campagne s'étaient trouvé de nouveaux chefs, des types qui la réorganisaient dans leurs bureaux. De Londres, de Bristol, ils sont venus nous convaincre que l'avenir était dans la production en batterie. Ils disaient qu'aujourd'hui un éleveur doit nourrir des centaines, des milliers de gens entassés dans les villes. La planète n'a plus la place pour le bétail, les hommes n'ont plus le temps de le mener au pré. Sur la même surface, désormais, la technique permettait d'augmenter les rendements ! Il suffisait de ne plus exiger de la terre qu'elle fournisse sa force aux bêtes, mais de leur apporter l'énergie nous-mêmes, sur un plateau ! C'était une révolution. Car nous avions été élevés par des gens qui croyaient à la réalité du sang. Jusqu'ici, les bêtes que nous mangions se nourrissaient d'une herbe engraissée dans le terreau du Dorset, chauffée au soleil du Dorset, battue par les vents du Dorset. L'énergie puisée dans le sol, plusée dans les fibres de l'herbe, diffusée dans les tissus musculaires des bêtes irriguaient nos propres corps. L'énergie se transférait verticalement, des profondeurs vers l'homme, via l'herbe puis la bête. C'était cela être de quelque part : porter dans ses veines les principes chimiques d'un sol. Et voilà qu'on nous annonçait que le sol était devenu inutile. Ils nous serinaient leur slogan préféré : « Il faut transformer le fourrage en viande. » J'y ai cru. Nous y avons tous cru. Nos yeux ont changé. Lorsqu'on me livrait les sacs de granulés, je voyais des jambons. Nous avions du respect pour ces sacs : ils représentaient de la viande. Nous avions de la considération pour la viande : elle représentait de l'argent. Nous avons oublié qu'au milieu il y avait les bêtes. Nous les avons annulées. Et c'est pour cela que nous les avons privées de lumière. Nous les avons parquées dans des cages où elles ne pouvaient ni avancer, ni reculer, ni se retourner, ni se coucher sur le flanc. L'objectif était qu'elles se tiennent parfaitement immobiles car le mouvement gaspille l'énergie. Pour que le processus de fabrication des protéines fonctionne à bon rendement, il faut éviter les déperditions. Déplace-t-on les usines à tout bout de champ ? Les cochons étaient des usines. Solidement implantées. Chaque innovation a son inconvénient, mais chaque inconvénient sa réponse. L'immobilité rendait fous les cochons ? Je les shootais aux autidépresseurs. L'ommoniaque du lisier leur infectait les poumons ? Je mélangeais des antibiotiques à leur rations. Il n'y avait rien qui n'eût sa solution. Et ce qui n'avait pas de solution n'était pas vraiment un problème. Les porcs étaient engraissés pendant vingt semaines. Les pelletées de granulés moulus que je balançais dans les stalles pleuvaient sur les dos roses. La poudre se prenait dans les soies. Ils avaient pris l'habitude de se secouer pour faire retomber la farine alimentaire. Il paraît que l'homme s'habitue à tout. Le cochon, non. Même après vingt semaines, ils continuaient de mordre leurs barreaux. Comme pour les couper. La question est de savoir si un homme a déjà enduré pareille souffrance. Il y a un écrivain juif qui prétend que oui. Les plus angoissés étaient les porcelets. On les sevrait au bout de trois semaines pour inséminer à nouveau les mères. En deux ans, une truie donnait cinq portées. A la dernière, c'était l'abattoir. Pour la tétée, la femelle se couchait sous une herse mécanique. Les petits avaient accès aux mammelles à travers les barreaux. C'était leur seul contact avec leur mère. Ils se battaient et, pour qu'ils ne se mutilent pas à mort, je leur arrachait à vif la queue et les incisives. Le problème lorsqu'on transforme les granulés en viande, c'est qu'on métamorphose les porcelets en loups. L'immobilité avait une autre conséquence. Les membres s'atrophiaient. Les muscles des pattes fondaient. Certaines truies, gonflées à craquer de lait et de viande se soutenaient à peine sur leurs membres débiles. Parfois, lors des inspections, je me demandais si nous n'étions pas en train de fabriquer une nouvelle race. J'avais lu dans le Daily Observer que l'homme moderne n'avait pas terminé son évolution. Assis devant ses ordinateurs dans des pièces surchauffées, il continue à grandir. Ses bras s'allongent, ses os s'affinent et son cerveau grossit. Qui sait si nos descendants ne ressembleront pas à des êtres aux corps mous avec des cortex surdéveloppés, des yeux énormes et une main unique tapant sur des claviers ? En se débattant, les cochons se cognaient, certains s'éborgnaient. Les plaies s'infectaient et le pus ruisselait. Des chancres couvraient l'intérieur des membres. Les hémorroïdes couronnaient les anus d'une pulpe pareille à celle des grenades. Tant que les infections ne gâtaient pas la chair, elle m'importaient peu. Sous couennes couvertes de bubons, la viande reste saine. Dans la pénombre, on ne distinguait pas grand-chose. Sous la voûte du
hangar, la charge magnétique de la violence
s'accumulait. La bulle gonflait mais n'éclatait
jamais. La souffrance extrême ne rend pas docile.
Elle rend dingue. Nos usines étaient des asiles.
Certains porcs devenaient dangereux, ils attaquaient
leurs congénères. Les cages avaient été conçues pour
les immobiliser, elles servaient à présent à les
protéger les uns des autres. Seuls les porcelets
vivaient ensemble. Quand l'un d'eux mourait, on se
hâtait de retirer le cadavre. Les autres l'auraient
dévoré..."
Sylvain
Tesson - Une vie à coucher dehors
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