Un petit texte :
"Au dessous de la cascade, sur une grosse pierre aspergée
de poussière d'eau et balayée d'écume, le Cincle
surveille le courant. Trapu, rondelet, il est à peu près
de la taille d'un Merle, auquel il ressemblerait davantage s'il n'avait
une queue aussi courte ; il paraît noir ou ardoisé, avec
une superbe bavette d'un blanc éclatant qu'on repère de
loin. S'il est aisé de le reconnaître ainsi au premier
coup d'oeil, il serait moins facile de détailler de plus près
le brun de sa tête ou le marron de son ventre, car il est prompt
à s'envoler ou à disparaître dans l'eau limpide
de la rivière. Aucune différence extérieure ne
distingue les sexes.
En été, nous remarquons des oiseaux plus pâles,
dont le dessous blanchâtre est moucheté de gris et dépourvu
de plastron : ce sont les jeunes des nichées récentes.
Sans être particulièrement adapté à la locomotion
aquatique, le "Merle d'eau" passe sa vie entière
au bord de l'élément liquide, et pour une part dans son
sein même. C'est le seul Passereau plongeur et nageur. Le voici
sur une pierre au milieu de l'eau, tout agité de tics nerveux,
de rapides courbettes sur ses pattes à ressort, abaissant sa
queue à petits coups, "clignant" des yeux
à tout instant. Soudain il descend dans l'eau, s'immerge à
demi ou en entier, sans hésitation, et sort un peu plus loin
sur une petite grève, ou bien s'envole et va se percher sur une
branche basse. Son comportement a des aspects aussi variés que
ceux de la rivière ; l'aisance extrême de ses mouvements,
l'habileté de sa technique en toute situation, nous stupéfient
lorsque nous avons l'occasion rare de les observer dans de bonnes conditions.
Tantôt le Cincle arrête son vol et se laisse choir comme
une pierre, ce qu'il fait aussi d'un perchoir, en plongeant délibérément
; tantôt, de la rive où il pataugeait, il pénètre
dans l'eau en poursuivant sa marche. Plus souvent encore, il nage en
surface, pique de-ci, de-là, quelques insectes en pivotant légèrement,
ou bien "lorgne" en immergeant la tête. Tout à
coup, il s'enfonce, puis reparaît quelques secondes plus tard
à peu de distance du point d'immersion, en aval ou en amont.
On l'a vu nager et plonger loin de la rive, sur de vaste étendue
d'eau libre, et il le fait avec autant de maestria au bord des lacs
et des étangs que dans les rivières et les ruisseaux,
ce qui implique une adaptation à des conditions physiques différentes.
Aux eaux stagnantes, il préfère les remous, les tourbillons,
les rapides écumants, et même les cascades qu'il traverse
sans hésiter..."
Paul
GEROUDET - Les Passereaux d'Europe