Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°625 (2018-25)
mardi 19 juin 2018
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Héron cendré Pontarlier (Haut-Doubs) lundi 7 mai 2018 Pontarlier (Haut-Doubs) lundi 7 mai 2018
Toilette Pontarlier (Haut-Doubs) lundi 7 mai 2018 Héron cendré
au repos
EtirementPontarlier (Haut-Doubs) lundi 7 mai 2018 Pontarlier (Haut-Doubs) lundi 7 mai 2018 <image recadrée>
Héron cendré baîllantPontarlier (Haut-Doubs) lundi 7 mai 2018 Foulque macroule La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 mai 2018 La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
<image recadrée>
samedi 12 mai 2018
Cygnes
en vol
La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 mai 2018 samedi 12 mai 2018 Contorsions
!
La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 mai 2018 samedi 12 mai 2018 Equilibre
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 mai 2018 Etirement
<image recadrée>
Dans la brumeLa Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 mai 2018 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 2 juin 2018 Foulque macroule à sa toilette La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 2 juin 2018 La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 2 juin 2018 |
"Liz et Arthur habitent un petit appartement au sixième étage d'une tour, en banlieue de Londres. Ils sont vieux et rient souvent ensemble, et chacun de leur côté. Liz aiment les poissons. Elle collectionne les aquariums, disposés partout, pêle-mêle, dans la maison. Arthur aime chanter. Inscrit dans la chorale du quartier, il prend la chose très au sérieux et passe de cinq à six heures par jour à répéter ses passages. Ils sont heureux de retrouver leur fils, et ravis de te rencontrer. Tu partages le thé avec Liz, et l'aides à faire frire les morceaux de viande qu'elle vous sert à chaque repas. Vous dormez dans la chambre d'enfant de Peter. De nombreuses bédés y traînent encore. Il replonge dedans, d'abord du bout des yeux, puis avec un plaisir non dissimulé. Tu éprouves rapidement le besoin de t'extraire de cette famille qui voudrait devenir la tienne. Tu t'achètes une carte d'autobus et découvres Londres. Tu t'y perds quelques fois, avant d'y établir ton point de chute, qui deviendra ta deuxième maison : la National Gallery. Le musée est immense et baigné de lumière. On dirait qu'on y respire mieux qu'ailleurs dans la ville. Tu y passes tes journées entières. L'homme filiforme qui garde l'entrée te connaît maintenant. Il te salue par ton nom : Hello, Suze. Tu ne déposes rien au vestiaire parce que tu es mainteant comme ça fugitive. Tu ne laisses pas de traces.
Alors que les premières fois, tu accordais à chaque oeuvre la même importance, t'attardant sur le nom et les idées de l'artiste, tu fais maintenant ton chemin de façon libre et anarchique. Tu traverses le musée pour te rendre à son extrémité, où tu passes plusieurs heures devant The Tempest, 1862. Un ciel bas. Gorgé de nuages menaçants, une tempête imminente en leur sein. La promesse d'un cyclone te repose. Que quelqu'un, le peintre Peder Balke dans ce cas-ci, ait été disposé à l'attendre, patiemment posté dessous, te fait adorer l'être humain.Tu l'aurais volontiers espérée à ses côtés, cette tempête-là. Tu aurais collé ton dos à celui de l'artiste, et nuque contre nuque, vous auriez affronté le ciel. Parfois aussi tu t'apportes un livre, que tu feuillettes distraitement, assise sur un banc, où des fois tu t'endors. Le jour suivant, rien. Tu restes simplement là dans l'espace écho et vaste, où tu te sens presque chez toi. Tu t'apportes des fruits et du pain. Tu te postes sous Cognoscenti in a Room Hung with Pictures pour manger lentement. Des jeunes, un pinceau à la main, dispersés dans un atelier. Leur corps figé dans un mouvement tendu vers la toile. Des tableaux suspendus partout, de façon désorganisée, vivante. L'espace foisonnant te rappelle le salon de Borduas. Tu penses à Marcel. Pas trop longtemps. Tu penses à ce que tu aurais peint, toi, si tu avais vraiment voulu. Pas trop longtemps non plus. Un après-midi, Peter te rejoint. Il est midi. Il sait qu'il te retrouvera sous la toile de Flemish, devant cet atelier vibrant qui te rappelle ton autre vie. Il a apporté du nougat. Il te dit que tu devrais peindre. Tu grimaces. Il rit. Le soir même, il te rapporte une pièce de toile vierge. Une vraie. Sans traces d'huile à moteur. Pendant que son père chante et que sa mère fait frire le souper, tu t'enfermes dans la chambre d'enfant de cet homme qui prend soin de toi, et tu peins pour la première fois depuis longtemps. Tu peins pendant des heures et on te laisse faire. Tu n'ouvres la porte que pour aller faire pipi, vers minuit. Peter s'est endormi sur le canapé. Tu passes à côté de lui sans le regarder. Puis interromps ton élan et t'étends sur lui. Tu passes ta main tachée de peinture sur sa joue fraîchement rasée. Tu as envie de lui faire l'amour parce que tu ne sais pas dire merci. Tu as envie de lui faire l'amour ici, au milieu du salon familial, entre les aquariums et les bégonias. Dans la chambre d'enfant de Peter repose une toile que tu nommeras plus tard Le pont Mirabeau, et qui sera exposée au Musée d'art contemporain de Montréal.
Un matin de 1956, tu cours te réfugier au musée. Peter te retrouvera à la nuit tombée, sous la toile de Cranash, Charity. Celle devant laquelle tu passais presque en courant. Celle que tu prenais bien soin d'éviter. Maintenant, sous l'image de cette jeune mère prospère, un enfant au sein, les deux autres fleurissant à ses pieds, tu trembles. Tu ne prends pas la peine de lever les yeux vers Peter quand il se penche vers toi. Tu lui dit d'une voix étonnament claire qu'il faut trouver de l'argent. Tu as 30 ans. Tu es enceinte..."
Anaïs
Barbeau - Lavalette - Une femme qui fuit
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