Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°612 (2018-12)

mardi 20 mars 2018

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Souad Massi - Chanson
(dont je n'ai pas le titre !)

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Petits oiseaux
à la fin de l'hiver

Courvières (Haut-Doubs)
février et mars 2018



Etourneau sansonnet et Moineau domestique (femelle)
Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 9 février 2018



Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 9 février 2018
<image recadrée>

<image recadrée>

Courvières (Haut-Doubs)
vendredi 9 février 2018

Merlette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

samedi 24 février 2018

<image recadrée>

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 24 février 2018

Sittelle torchepot
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

dimanche 4 mars 2018

<image recadrée>

Chant
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 4 mars 2018

Mésange bleue
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

dimanche 4 mars 2018
<image recadrée>

La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 4 mars 2018

Pinson des arbres mâle
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 4 mars 2018



Pinson des arbres mâle
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 4 mars 2018

Etourneau sansonnet
Courvières (Haut-Doubs)

dimanche 11 mars 2018



Bergeronnette grise
Courvières (Haut-Doubs)

mercredi 14 mars 2018
<image recadrée>




Suggestion de lecture :

"1

« Las putas al poder !
(Sus hijos ya estan en él) »

[Les putes au pouvoir !
(leurs fils y sont déjà)]


Le graffiti plastonnait sur les tôles du hangar, tagué en rouge sang. Jana avait dix-neuf ans à l'époque mais la rage restait intacte. Toutes les classes dirigeantes avaient participé au hold-up : politiciens, banquiers, propriétaires du secteur tertiaire, FMI, experts financiers, syndicats. La politique néolibérale de Carlos Menem avait enfermé le pays dans une spirale infernale, un bombe à retardement : accroissement de la dette, réduction des dépenses publiques, flexibilité du travail, exclusion, récession, chômage de masse, sous-emploi, jusqu'au blocage des dépôts bancaires et à la limitation des retraits hebdomadaires à quelques centaines de pesos. L'argent fuyait, les banques fermaient les unes après les autres. Corruption, scandales, clientélisme, privatisations, « ajustements structurels », externalisation des profits, Menem, ses successeurs aux ordres des marchés, puis la débâcle financière de 2001-2002 avaient parachevé le travail de destruction du tissu social entamé par le « Processus de Réorganisation nationale » des généraux.

La crise s'était muée en banqueroute. L'Argentine, dont après guerre le PIB égalait celui de l'Angleterre, avait vu la majorité de sa population plonger en dessous du seuil de pauvreté, un tiers sous le seuil d'indigence. Une misère noire. Des enfants s'évanouissaient de faim dans les écoles, on avait dû laisser les cantines ouvertes en période de vacances pour qu'ils puissent recevoir leur seul repas de la journée. Dans les barrios, les gamins de Quilmes comparaient le goût du crapaud grillé à celui du rat, d'autres volaient les câbles de cuivre des lignes téléphoniques, les couvercles en aluminium protégeant les circuits électroniques des feux de circulation, les plaques de bronze des monuments... Jana avait vu des vieilles s'écorcher les mains aux grilles des banques, des vieux pleurer en silence dans leur costume élimé sorti pour l'occasion, et puis la colère des gens ordinaires : les premières émeutes, les pillages des supermarchés montés en épingles par les médias comme témoignages d'insécurité plutôt que de détresse, ques vatan todos ! Y que no quede ninguno ! « qu'ils s'en aillent tous, et qu'il n'en reste aucun ! », les charges des policiers à cheval pour disperser les manifestants à coup de cravaches, les coktails Molotov, les cortèges, les fumées, des femmes matraquées, leurs filles traînées sur les trottoirs, les tirs tendus sur la foule – trente-neuf morts -, leur sang dans les rues et les places de la capitale, l'état de siège décrété par le président De la Rua, la contestation qui grossit, les concerts de casseroles et les cris - « l'état de siège, on en a rien à foutre ! ». Le blocage des routes par les piqueteros, les foulards sur les visages des jeunes, leurs torses nus offerts aux balles, les pavés, les vitrines qui explosent, les jets de pierre sur les blindés, les canons à eau, les sections anti-émeutes, les boucliers, les cris des mères, les drapeaux argentins brandis en guise de défi, la peur, le feu, les déclarations à la télévision d'Etat, que se vayan todos !, les liasses d'argent liquide qui quittaient le pays par camions entiers, huit milliards de dollars par convois blindés pendant que les banques baissaient leurs rideaux, les huiles réfugiées à l'étranger dans des villas climatisées, la puanteur des gaz, les voitures renversées, les émeutes de la faim, la fumée noire du caoutchouc brûlé, le chaos, la fuite par hélicoptère du président De la Rua depuis les toits de la Casa Rosada, la liesse des majeurs tendus saluant la débandade, les responsables politiques qui un à un jetaient l'éponge, quatre présidents en treize jours : que se vayan todos, « et qu'il n'en reste aucun ! »

[...]

Elena, comme les autres femmes ou mères de disparus, avait dû se résigner à l'arbitraire : les militaires frappaient quand et où ils le désiraient, rejetant les demandes d'habeas corpus comme autant de sarcasmes au visage humilié des plaignants.

Elles étaient des dizaines, tous les jours, devant chaque commissariat de quartier, à demander des nouvelles de leurs proches ; Elena Calderon s'était mêlée à ces femmes rongées d'angoisse, des femmes d'ouvriers pour la plupart, dont les enfants avaient été enlevés par des forces de police roulant sans plaque ni identité. A leur contact, Elena découvrit avec effarement la condition de ses compatriotes, dont certaines sortaient seules dehors pour la première fois de leur vie. Réduites à l'entretien des maisons et des enfants, ces femmes ne savaient rien. La politique ne les concernait pas – du moins avaient-elles fini par le croire -, toutes notions de droit leur étaient étrangères, peu lisaient ou alors elles tombaient par hasard sur La Nacion, porte-parole du Processus. Des femmes qui surtout ne comprenaient pas ce qui leur arrivait : « ils » avaient dû faire une erreur...

Ces mères restaient des heures prostrées, impuissantes, l'insomnie au bout du désespoir. Les autorités leur riaient au nez : « Votre fils a du fuguer avec une nana ! », « Encore un règlement de comptes entre terroristes ! ». Les plus chanceuses recevaient un cercueil renfermant la dépouille de leur fils ou de leur mari, avec des militaires armés pour en interdire l'ouverture – on aurait alors vu les traces de tortures, ou que le cerceuil était vide...

Les femmes décidèrent d'entrer en résistance.

Elles n'étaient que quatorze lors de la première réunion autour de l'obélisque, Plaza de Mayo, le 30 avril 1977. Il n'existait pas de lieu plus surveillé en Argentine : la place de Mai était le centre du pouvoir militaire, le lieu symbolique de la mémoire politique du pays, situé entre le Cabildo, siège de l'ancien gouvernement colonial espagnol, et la Casa Rosada qui avait vu passer tous les gouvernements depuis l'éviction du dernier vice-roi d'Espagne en 1810 et la proclamation de la République.

Les femmes s'étaient réunies devant l'obélisque, un lange de bébé sur la tête, le panuelo, comme symbole de leurs enfants volés. Défiant ouvertement le pouvoir, les Mères réclamaient l'« apparition en vie » de leurs proches, refusant le deuil sur le principe : les enfants étaient partis vivants et, aussi longtemps que les tortionnaires n'auraient pas avoué leurs crimes, ces « disparus » resteraient vivants. La police avait vite menacé, puis ordonné la dispersion, mais les Mères, se tenant par les coudes, s'étaient mises à circuler autour de la place, au sens propre et inverse des aiguilles d'une montre, par ultime défi. Des « folles », avait raillé le pouvoir.

Mais elles revenaient. Chaque jeudi...

On leur avait envoyé les chiens, les charges de la police montée, on avait procédé à des arrestations en bande : les Mères de la place de Mai revenaient après chaque dispersion, reformaient les rangs, bientôt gonflés par leurs soeurs, leurs filles, leurs amis. Elles se mirent à ficher les agresseurs, à interroger les rares détenus libérés, glanant quantité d'informations payées au prix fort : lâchées par le haut clergé de l'Eglise, infiltrées puis trahies par Astiz (un militaire si féroce que ses collègues l'avaient surnommé par antiphrase l'« ange blond »), accablées par l'enlévement et la disparition de trois Mères fondatrices et des deux soeurs françaises qui les soutenaient, les vieilles femmes continuaient de tourner, chaque jeudi, devant la Casa Rosada, pour réclamer justice.

La chute de la dictature n'avait pas calmé longtemps leur ardeur. Aux lois de « pacification nationale » établies par les militaires, Alfonsin, le nouveau président élu au suffrage universel, avait d'abord répondu en abrogeant l'amnistie, provoquant l'inculpation des principaux généraux et la mise en retraite anticipée d'une moitié des officiers, tout en condamnant les violences de l'armée révolutionnaire du peuple et des Montoneros, dont le chef fut arrêté. Une théorie « des deux démons » qui s'avéra fatale : l'armée menaçant de soulever les casernes, Alfonsin se rétracta, annonça que les délits de violation des Droits de l'Homme seraient jugés par les tribuneaux militaires, abrogeant la clause de « devoir d'obéissance » qui, hormis les « cas d'atrocités avérées », déchargeait de facto les exécutants.

Une commission pour les disparus, la CONADEP, fut mise en place mais celle-ci avait davantage pour vocation de donner un certificat de décès pour les personnes enlevées que de juger les coupables. La loi du « Point final » ne donna bientôt plus que soixante jours aux plaignants pour inculper les membres des forces armées incriminés, avant que Menem n'enfonçât le clou en décrétant l'indulto, le pardon... Après quinze ans de procédures, Videla, Galtieri, Viola, Massera, les principaux généraux, s'en tiraient avec quelques années de détention dans des prisons aménagées, les pilleurs, les tortionnaires et leurs complices, tous ceux qui n'avaient pas le grade de colonel, étaient blanchis.

Une insulte pour les Mères et les Grands-Mères de la place de Mai, plus que jamais inflexibles. Pas d'exhumations des ossements sans enquête ni jugement des coupables, pas d'hommage posthume ou d'indemnités pour effacer l'ardoise, pas de réconciliation avec l'Eglise.

Iglesia ! Bassura !

Vos sos la dictatura !

[Eglise ! Ordure ! Tu es la dictature !]

Les Grands-Mères se battraient jusqu'à leur dernier souffle, sans esprit de vengeance mais sans pardon, ni oubli. « Ils ont peut-être réussi à tuer nos maris et nos enfants, mais ils n'ont pas réussi à tuer notre amour », répétaient-elles.

Plus de trente ans étaient passés, Elena Calderon n'était plus la femme altière et distinguée qui distribuait des daiquiris aux réfugiés chiliens de passage à la maison, mais sa détermination n'avait pas pris une ride...

Un vent de bataille soufflait Plaza de Mayo ; Elena préparait l'étalage où elle distribuerait les derniers bulletins d'informations de l'association quand son fils apparut parmi les touristes en short écrasés de moiteur. Ruben portait une chemise prune faussement négligée sur un pantalon noir à la coupe impeccable, sa démarche était souple, alerte, comme si quelque chose en lui non plus ne vieillissait pas. Elena sourit de sa partialité : elle n'avait plus que son fils, qui lui rappelait tellement Daniel..."


Caryl Férey - Mapuche



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