Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°588 (2017-39)
mardi 3 octobre 2017
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Dans l'ombre Courvières (Haut-Doubs) vendredi 21 juillet 2017 Femelle Courvières (Haut-Doubs) vendredi 21 juillet 2017 Courvières (Haut-Doubs) vendredi 21 juillet 2017 <image recadrée>
Femelle, sur
le muret qui entoure mon potager
Femelle
et fruit de Coquelicot Sous les fruits du Choux
Kale (de "Sibérie")
TricoflexCourvières (Haut-Doubs) vendredi 21 juillet 2017 Courvières (Haut-Doubs) vendredi 21 juillet 2017 <image recadrée>
<image recadrée>
ToiletteCourvières (Haut-Doubs) vendredi 21 juillet 2017 <image recadrée> <image recadrée>
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PortraitCourvières (Haut-Doubs) vendredi 21 juillet 2017 <image recadrée>
Lac
de Saint-Point (Haut-Doubs) A la proue Etirement Dans la mature Lac de Saint-Point (Haut-Doubs) samedi 29 juillet 2017 <image recadrée> <image recadrée>
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Au repos Lac
de Saint-Point (Haut-Doubs) Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2017 <image recadrée> Mâle à sa toilette
<image recadrée>
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 30 juillet 2017 <image recadrée> Courvières (Haut-Doubs)dimanche 30 juillet 2017 Tout près !
Courvières (Haut-Doubs) vendredi 4 août 2017 Jeune Rougequeue
à front blanc
Courvières (Haut-Doubs) samedi 12 août 2017 Toilette
Courvières (Haut-Doubs) samedi 12 août 2017 Courvières
(Haut-Doubs)
samedi 12 août 2017 Courvières
(Haut-Doubs)
samedi 19 août 2017 Courvières
(Haut-Doubs)
Pommiersamedi 19 août 2017 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 26 août 2017 La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
samedi 26 août 2017 <image recadrée> Courvières
(Haut-Doubs)
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dimanche 27 août 2017 Au bord de l'abreuvoir
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 27 août 2017 Derrière la loge
n° 5
Courvières (Haut-Doubs) dimanche 3 septembre 2017
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Courvières
(Haut-Doubs)
dimanche 3 septembre 2017 |
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"Les amants
Ils avaient donc
entre eux changé de rôles
Rémi et Caroline ? Des Parisiens de quarante ans du genre de ces héros de romans écrits par des Parisiens de quarante ans. Je les ai connus tous les deux, bien avant leur rencontre, avant que tout le monde ne prenne l'habitude de dire « Rémi et Caroline », de ne jamais dire « Rémi » sans ajouter « et Caroline » ni de prononcer le nom de « Caroline » sans y associer « Rémi ». Rémi & Caroline, ça aurait fait un bon nom de restaurant bio. Je les ai présentés l’un à l’autre. Lui, donnait de temps en temps des dessins au journal pour le supplément du week-end. Elle, était une tueuse de chez Goldman Sachs dont je n’ai jamais compris les activités parce que je ne m’intéresse pas aux moeurs des fauves dans les steppes climatisées de la finance globale. Je l’avais connue enfant, elle était la meilleure amie de ma soeur avant que ma soeur ne se ravise et que j’hérite de l’amitié. C’était au cours d’une fête chez ce petit abruti de Jimmy qui caricaturait les écrivains dans les magazines américains et essayait de refiler ses dessins politiques pourris dans la presse gauchiste. Une de ces soirées où les Parisiens se prennent pour des New-Yorkais en s’accueillant à grands sourires et tapes dans le dos et en se servant des scotchs dans des appartements trop petits pour que ça fasse illusion. On s’ennuyait à crever, mais il n’était pas question d’aller dormir. Nous avions peur de vieillir et ne voulions pas risquer d’attraper des rides en fermant l’oeil. Nous étions des veilleurs de nuit, nous surveillions nos vies. Nous mettions notre vigilance dans l’insomnie. Et tout le monde était un peu honteux de ne pas rentrer chez soi parce que rester ici, posés comme des bibelots, revenait à avouer que, chez soi, cela n’était pas beaucoup plus trépidant. À un moment j’ai dit : « Caroline, voici Rémi, il est peintre ; Rémi voici Caroline, elle vit dans une banque en attendant de se faire braquer. » Elle a dit un truc gentil du genre : « Ils doivent être réussis vos autoportraits », et, lui, il l’a regardée avec un air de flétan de l’Aral parce qu’il ne sait jamais quoi dire au moment où il le faut et qu’il était très saoul et qu’elle était très belle. Je les ai laissés parce que je sentais que j’avais été bien inspiré. Ensuite, ils ne se sont jamais plus quittés, ce qui est un mystère immense sur lequel nous émettions toutes sortes de suppositions lorsqu’on trempait des pitas dans des sauces orientales chez le maronite de la rue du Sentier, en sortant du bouclage. Le pôle Sud et le pôle Nord ont un point commun : le pivot du monde les transperce. Chez Rémi et Caroline, il n’y avait pas d’axe, seulement l’attraction des antipodes. Cette anomalie leur tenait lieu de mortier. Le Fandango du Padre Soler plongeait Rémi dans des ravissements, elle était prise de convulsions en écoutant David Bowie. Il prétendait que le clavecin était un instrument démonique. Elle montait le son de la chaîne et les coulées en fusion de Pin Ups échappées de la gorge du zombie vif-argent faisaient vibrer les vitres de l’appartement de la rue Beaugrenelle, couvrant la fin de la phrase de Rémi sur « la préfiguration électrique des transes de la techno dans le pincement de l’épinette… ». Elle disait que la littérature mondiale avait été destinée à faire patienter les lecteurs avant l’arrivée de Stendhal, il vénérait Ramuz. Elle incarnait le cristal, il semblait moulé dans la glèbe. Elle : un visage de louve aux yeux verts, taillé dans une chair céramique. Lui : une face cireuse, couleur de lune, et cet air d’épagneul qui s’en revient bredouille d’une battue en Sologne. Pour elle, la phrase parfaite s’apparentait à un flacon de Murano explosé d’un coup de knout dans les rafales sèches d’une nuit italienne. Lui ânonnait Péguy : des alexandrins où la boue suintait par la pliure de l’hémistiche. Parfois, il infligeait à Caroline des récitations des Tapisseries sur fond de musique tibétaine, prétendant que le bourdonnement des mantras himalayens s’accordait aux radotages de Péguy sur « la race ensanglantée » et « le sillon fertile ». Il théorisait sur tout, elle observait. Quand il se passait quelque chose, il cherchait à se souvenir ce que cela lui rappelait. Elle, ne tentait que de trouver des façons inédites de nommer les hasards de la vie. Lui, citait les auteurs. Elle, ne se souvenait de rien sauf de cette phrase de Jules Renard piquée dans le Journal : « Parole d’un homme qui explique bien mais qui n’a pas trouvé lui-même ce qu’il explique. » Il retenait tout, elle s’efforçait d’oublier. Il savait relier, elle savait regarder. Il cherchait des références, elle ne croyait qu’à l’inédit. Il était myope. Elle haïssait les taupes, vivait dans la lumière et pouvait subitement s’arrêter dans la rue pour tourner son visage vers le soleil, accueillant, les yeux fermés, l’offrande de la lumière sur l’autel de sa peau. Il buvait de la Jupiler, elle n’aimait que les vins de Loire, ce filet clair de sable et de brouillard, qui monte aux tempes en rosissant les joues. Il mâchait lentement d’énormes steaks très cuits, elle picorait dans des woks avec des gestes de lémurien anémique. Rêves, souvenirs, citations : il archivait tout dans des petits calepins noirs. Elle répugnait à ce greffe de l’existence. « On met sa vie dans un herbier pour qu’elle sèche », disait-elle quand elle le surprenait, penché sur ses cahiers. Il notait tout, elle ne gardait rien. Il vivait dans le mâchement, elle glissait. Il était fait pour labourer, elle, pour le patin à glace sur des plaines de mercure. La baise confirme les penchants. Caroline me confiait tout, comme si nous avions fait nos classes au 27e régiment d’infanterie de Brive-la- Gaillarde. Au lit, elle voulait rafler son dû. Elle pillait l’autre, appelant cela « une descente de lit ». Lui ? Il adorait les retards à l’allumage. Je me souviens des dîners chez Rezzori, boulevard Saint-Germain. Caroline y allait souvent, traînée par les petits mecs des « fusions acquisitions » de la branche new-yorkaise, en mission à Paris. Il ne serait jamais venu à ces types hors sol l’idée de faire saigner une entrecôte dans un troquet. Ils voulaient voir mousser des émulsions d’antennes d’écrevisses sur des gaspachos de concombre. D’ailleurs, ils ne mangeaient rien. Ils buvaient du Roederer glacé en détaillant les bariolages que des garçons à hanches étroites, très gominés, apportaient dans des assiettes noires. Rémi détestait l’endroit et quittait son atelier à contrecoeur quand Caroline le suppliait de les rejoindre. Il arrivait une demi-heure après le coup de téléphone, son casque de scooter à la main, d’un pas pesant, l’air blafard, la joue hostile. Caroline agitait une main bronzée en le voyant entrer et son poignet veiné ressemblait en tintant aux chevilles des danseuses rajputs. Il disait qu’il aurait préféré une viande et du vin, et les Américains le dévisageaient par-dessus leurs montures laquées comme s’il avait commandé un ragoût de couilles de phacochère. Il avait l’obsession du temps. Il souffrait physiquement de l’accroissement des heures. Les crépuscules étaient des défaites. L’aube sonnait l’annonce du sacrifice de la journée. Seul répit : à midi, quand on se piétinait l’ombre. Il avait banni de son atelier les horloges et ne portait jamais de montre à mécanisme. Tout juste acceptait-il les sabliers, les appareils à cristaux liquides, les montres à quartz qui décomptent le temps dans le silence des froissements de silice. À Beaugrenelle, de longues toiles épaisses, stratifiées, couvraient les murs de l’atelier. Elles illustraient sa tentative de fixation de la durée dans l’intensité des paysages. C’est du moins ce qu’il expliquait aux visiteurs. S’y éployaient de lentes coulées blanches au-dessus de tourbes gelées, quelque chose qui figurait des matinées de février sur des plaines de cauchemar. L’oeuvre, couleur d’humus, sentait le whisky. Pendant des heures, il fumait des cigares en surchargeant ses toundras acryliques. Caroline ne rêvait que de voyages. L’avion était son pays, son rêve climatisé. Elle aurait passé sa vie dans les terminaux. Il fallait déployer des trésors d’énergie pour convaincre Rémi de quitter Paris. Il acceptait un voyage en Hollande ou en Écosse, dans un de ces pays où les efforts du ciel à vous repousser au fond des pubs confortaient son désir de s’enfouir. Elle aimait sillonner, à fond, des villes ocre et brûlantes, toscanes ou marocaines, striées de ruelles nerveuses qui explosent sur des placettes aveuglantes. Il voulait hiberner, elle sautait comme une puce. Elle avait trouvé son ours, elle ne le parasitait pas. Le temps ? Elle s’en foutait, elle l’avait semé. Elle regardait les chaînes d’information continue, les écrans divisés en carrés animés. Des débatteurs écoeurants se harponnaient dans des cases, le nombre de morts d’une émeute arabe défilait dans un bandeau et les cours du Nasdaq clignotaient dans le coin gauche. Tout le fatras du monde se résorbait en chiffres. Elle partageait avec les journalistes de l’« information continue » l’idée qu’une phrase de plus de douze mots est trop longue pour l’attention du téléspectateur. Elle racontait à Rémi que son cerveau pouvait analyser des dizaines d’informations en même temps. Son regard très mobile opérait par coups de sonde et elle savait apprécier simultanément toutes les facettes de la réalité. Elle avait le regard cubique. Elle avait l’oeil des mouches, lui, un front de cyclope. Elle vivait en mosaïque quand lui s’écartelait sur le plan euclidien. Quand il ne peignait pas, il lisait les penseurs marxistes de l’École de Francfort. Hartmut Rosa avait publié Une critique sociale du temps. Rémi appelait Caroline au bureau pour lui lire des passages : « Le temps s’avère au fond l’instrument principal de la société disciplinaire. » Elle l’écoutait, le Blackberry coincé entre l’oreille et l’épaule, continuant à taper son e-mail au chief executive officer de l’agence en envoyant des Post-it de couleur rose dans sa corbeille d’acajou, l’oeil sur le terminal de Bloomberg. Et quand il ajoutait : « Tu t’es soumise, ma chérie, moi je suis libre parce que je ne fous rien d’autre que de me lever parfois pour mettre un coup de pinceau », elle riait en lui répliquant qu’on l’appelait sur l’autre ligne. Pendant des semaines, il avait retourné l’équation d’Hartmut Rosa : « En général, un temps rempli d’expériences variées et originales semble passer rapidement, mais il semble avoir été long lorsque l’on se le rappelle. Inversement, un laps de temps vide d’expériences semble passer lentement mais paraît rétrospectivement très bref. » Il était arrivé à la conclusion que seuls l’artiste et l’amant nourrissaient le sentiment de vivre dans le temps long tout en s’adonnant à une activité variée et originale. Il moulinait le sujet sans se lasser jamais, cherchait partout les réponses à la question du temps, furetait dans saint Augustin et se tapait Plotin. Elle usait les idées comme les chats des souris. Prendre un concept, le retourner, en tirer quelques réflexions, s’amuser des paradoxes et le jeter une fois vidé… Pour lui, un rendez-vous était une agression, un coup de téléphone, une fêlure dans le déploiement du silence. Elle aimait le travail en équipe, la frénésie qui s’emparait des salles des marchés au moment des transactions périlleuses. Elle butinait les gens, menait trois conversations, sans compter les débats intérieurs et le soir, en fermant les yeux, elle laissait le train des visions de la journée, la chasse des visages et la caravane des silhouettes passer sous ses paupières avant que le convoi des souvenirs ne s’abîme dans des oubliettes sur lesquelles elle ne se pencherait plus jamais. Ils s’aimaient, éberlués par ce qui les séparait. Leur amour procédait de la fascination des gouffres. Ils s’aimaient à travers une plaine ou, plutôt, d’une rive à l’autre. Au milieu coulait leur vie. Avant-hier soir, ils sont partis à moto dîner chez les parents de Caroline à Barbizon. Ils ont percuté de plein fouet le cul d’un camion tombé en panne dans la montée de Savigny-sur-Orge. Dans l’accident, ils se sont rendu un ultime hommage. Caroline a survécu. D’après les médecins qui surveillent son coma, elle peut encore tenir quarante ans. Elle ne se réveillera pas. Lui, est mort sur le coup..."
Sylvain
Tesson - S'abandonner à vivre
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