Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°579 (2017-30)
mardi 1er août 2017
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Pour regarder et écouter, |
Rhubarbe Pissenlit
Geranium des bois
Orchis Pissenlit (en fruit) Feuilles de Frêne
Pommier
Pervenche
Consoude
Fleur de Choux
sibérien (Choux "kale")
Pivoine
Ancolie
Aubépine
Colombine panachée
Iris
faux-acore
Salsifis
Rhinanthe
Raiponce
Joubarbe (en
fruit)
Ail "rocambole" Silène enflé Sureau
Eglantier
Raiponce
orbiculaire
Camomille
Pomme de
terre
Rhinanthe
Phacélie à
feuilles de Tanaisie
(plante utilisée en "engrais vert" et appréciée des abeilles...)
Marguerite
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"CINQUANTE-TROIS
Un ballon gonflable s'envole dans le ciel et un enfant pousse un cri perçant, comme un cochonnet qu'on égorge. Il me semble que ce sont des oreilles de lapin qui planent vers les hauts plateaux.
C'est ainsi que la marchande de bonbons explique les choses tout en entortillant un bâtonnet de barbe à papa rose pour le petit. Il est prévu d'utiliser une grue gigantesque, qui sert à agrandir et approfondir le port, pour faire du saut à l'élastique. Il fait un calme plat et une température de dix degrés. Il y a peu de bruine, mais les jeunes filles, très maquillées, sont en sandales à talons, dans leurs plus beaux atours. Elles vont par groupes de six ou sept – places-fortes imprenables secouées de fous rires. On a revêtu les néons de la classe de papier crépon de couleur et décoré le tableau à la craie multicolore : Marie, Joseph, une vache et quelques moutons à queues courtes, il ne manque que l'enfant Jésus. Le petit veut être un ange comme les fillettes et jouer de la harpe en carton. Les bonshommes en pain d'épice attendent dans leurs assiettes en carton sur les tables. C'est le dentiste qui animera le bal en jouant du synthétiseur, ce soir dans les locaux de l'école. Les invités de marque devront se déplacer par la voie des airs ou de la mer. Il était prévu que les ministres de l'Industrie et de l'Environnement viennent ensemble inspecter l'usine de congélation et la nouvelle table translucide qui sert au repérage des vers dans les filets de poisson, avant de faire une excursion d'une journée jusqu'au bassin de retenue, où des bâteaux amphibies pour les touristes devraient stationner dans l'avenir. Mais le ministre de l'Industrie a une mauvaise grippe et le ministre de l'Environnement ne survole jamais le pays ; « trop de turbulences dans l'atmosphère pour un claustrophobe », dira le bulletin régional. De plus, il est en villégiature aux Canaries. Cette double excuse paraît d'ailleurs bien suspecte. Le premier député de la circonscription, lui, s'est laissé convaincre et jouera les doublures. Sa grand-mère est tout de même originaire de la région et c'est à elle qu'il doit les nombreux et précieux suffrages qui lui ont valu son siège parlementaire. Le député est campé, jambes écartées, à l'entrée de la tente à l'intérieur de laquelle les représentantes de la Société des femmes sont installées avec une grosse marmite de cacao Swiss Miss. Il prétend n'avoir plus la paix dans son propre foyer : ses deux ados font toute une histoire à cause du bassin de retenue. Son seul espoir est que leurs jeux sur ordinateur les absorbent tellement qu'ils en oublient de descendre pour le dîner. Le député souhaite être le premier à se hisser en haut du tremplin, mais quand le moment arrive, il est bien trop ivre et il s'agit plutôt de trouver un endroit convenable où le déposer. Il continue pourtant à saluer de son mieux de vieux camarades, des parents éloignés du côté maternel et autres confrères de son parti. A sa place, c'est le secrétaire de mairie qu'on hisse sur la grue à l'aide d'une poulie, premier habitant du bourg à sauter dans le vide et à faire le yo-yo plusieurs fois, le nez juste au-dessus de la surface de la mer. Je me trouve au milieu d'un petit groupe compact sur le port et je regarde le ciel. Je me sens bien dans la foule, serrée de près par des inconnus, à écouter la fanfare sous la pluie, pourtant je n'ai pas l'esprit grégaire. Je vois toutefois les avantages à ne pas se risquer en dehors : on ne se mouille pas, à l'abri du parapluie des autres. Ce qu'il y a de bien à se serrer au sein du groupe, c'est qu'on devient quasiment invisible. J'ai quelquefois dormi au centre du grand matelas sur le plancher. Cela ne signifie pas que je ne puisse sortir du rang un jour ou l'autre. Je préfère certes être choisie à devoir choisir, mais je peux tout de même en prendre le risque. Je regarde le secrétaire de mairie tomber de la grue la tête la première, s'arrêter juste au-dessus des ronds de mazout multicolores et des glaires de poisson à la surface de l'eau, s'ébrouer ensuite de haut en bas de la corde élastique avant d'être conduit à l'écart sur des jambes flageolantes. Pendant ce temps, on hisse le suivant dans la corbeille. Le saut à l'élastique est l'un des choses qui m'épouvantent le plus, la toute dernière qu'il me viendrait à l'idée d'essayer ; c'est au antipodes de moi, d'abord à cause du vertige, ensuite à cause du saut lui-même, tête en bas dans le vide, sans compter la pendaison du haut d'une potence, les montées et les descentes d'une épave à la dérive.
Audur
Ava Olafsdottir – L'Embellie
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