Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°571 (2017-22)

mardi 30 mai 2017

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Tchaïkovsky - Concerto en ré majeur

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Derrière la loge...
Chat sauvage, Renard, Lièvre

Courvières (Haut-Doubs)
avril, mai 2017



A la lisière du bois, dans l'ombre...
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 9 avril 2017


Assis
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 9 avril 2017



Au soleil
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 9 avril 2017

Face à face

Retour en forêt
Courvières (Haut-Doubs)
dimanche 9 avril 2017

Renard
Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 13 avril 2017

En chasse
Courvières (Haut-Doubs)

jeudi 13 avril 2017

Lièvre courant
Courvières (Haut-Doubs)

jeudi 13 avril 2017

Face à face
Courvières (Haut-Doubs)

jeudi 13 avril 2017

Courvières (Haut-Doubs)
jeudi 13 avril 2017
<image recadrée>

<image recadrée>

A l'arrêt
Courvières (Haut-Doubs)

jeudi 13 avril 2017



Courvières (Haut-Doubs)

samedi 22 avril 2017

Chat sauvage
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 29 avril 2017

<image recadrée>


En lisière de la forêt...
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 29 avril 2017

Chat sauvage,
en chasse
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 29 avril 2017

<image recadrée>

<image recadrée>

Renard(e),
en plein jour (11h 20 !)
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 29 avril 2017

Assis
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 29 avril 2017

En chasse
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 29 avril 2017

Baîllement
(on voit assez nettement les mamelles...)
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 29 avril 2017

En lisière de la forêt...
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 29 avril 2017

Mulotage
Courvières (Haut-Doubs)
samedi 29 avril 2017

"Z" comme "Zorro"
Courvières (Haut-Doubs)

samedi 29 avril 2017

Courvières (Haut-Doubs)
samedi 29 avril 2017

Encore le Chat sauvage...
Courvières (Haut-Doubs)

vendredi 26 mai 2017



Suggestion de lecture :

"1

Mai 1948, Moscou

L'accord final du concerto pour violon en ré majeur de Tchaïkovski se déploya au-dessus des spectateurs de l'orchestre, gagna les balcons, les galeries, avant de se dissoudre dans l'immense coupole de la salle de concert. Pendant quelques secondes, le silence fut total, puis un tonnerre d'applaudissements se déchaîna. Ilia baissa son violon et s'inclina, au côté du chef d'orchestre, devant la foule en liesse. Les musiciens se levèrent et s'inclinèrent à leur tour.

Six semaines durant, Ilia Vassilievitch Grenko avait été ovationné dans les plus grandes salles d’Europe. Mais la reconnaissance du public du conservatoire Tchaïkovski –là même où il avait été formé- et les acclamations de ses professeurs, assis aux premiers rangs, les remplissaient d’une fierté particulière. Il salua une dernière fois, s’épongea encore le front avec son mouchoir, puis quitta la scène.

L’étui du violon l’attendait à l’entrée des coulisses. Ilia ne transportait jamais son instrument sans protection dans les couloirs. Ses collègues s’amusaient de ses précautions, qui confinaient à la manie, mais Ilia Grenko chérissait son violon par-dessus tout. Il suffisait d’une maladresse d’un instrumentaliste ou de l’imprudence d’un technicien : le danger était partout. Et son succès, Ilia en était convaincu, il le devait à ce Stradivarius, qui était dans sa famille depuis quatre générations. En 1862, son arrière-grand-père, le violoniste Stanislas Sergueïevitch Grenko, l’avait reçu en cadeau du tsar Alexandre II, qui l’avait rapporté d’un voyage en Italie. Jusqu’à la révolution, on s’était transmis cette histoire avec fierté. Stanislas Sergueïevitch avait été le violoniste favori du tsar, auquel le liait une véritable amitié. Alexandre II l'avait même reçu avec sa famille dans sa résidence d'été.

La tradition familiale voulait que Stanislas Sergueïevitch ait écrit à son protecteur : « Je n’ai jamais possédé un violon doté d’une pareille sonorité. Il me semble que mon âme suit les sons de l’ombre la plus profonde à la lumière la plus vive. »

Après sa mort, ses héritiers avaient jalousement gardé le cadeau et veillé à entretenir la légende. Les choses avaient radicalement changé avec la révolution de 1917. Les circonstances dans lesquelles le violon était entré en possession des Grenko devinrent un secret de famille honteux. On se mit à craindre que les nouveaux dirigeants ne le confisquent ou même ne détruisent ce symbole du pouvoir tsariste. Aucun descendant de Stanislas Sergueïevitch n’était devenu un grand musicien, aucun n’avait su tirer de lui des accents aussi sublimes. Ilia était le premier, quatre générations plus tard, à jouer du violon avec la légèreté qui avait rendu célèbre son aïeul.

Quand il regagna sa loge, en sueur, l’étui à la main, il fut accueilli par deux hommes vêtus de costumes mal coupés. L’un prenait ses aises dans le vieux siège pivotant devant la coiffeuse. L’autre était installé dans le petit canapé plaqué contre le mur du fond, le buste en avant, les coudes sur les genoux. Il se leva pesamment, attrapa le pardessus d’Ilia au porte-manteau et lança : « Ilia Vassilievitch Grenko, suivez-nous ! »

Ilia resta pétrifié ; les pensées se bousculaient dans sa tête.

Ce doit être un malentendu, parvint-il à articuler d’une voix rauque.

Alors seulement, il remarqua que les tiroirs de la coiffeuse étaient ouverts et que le deuxième type, qui s’était campé devant lui, tenait sous le bras la sacoche contenant ses partitions.

S’il s’agit vraiment d’un malentendu, vous serez de retour dans peu de temps, dit l’homme.

Il poussa Ilia hors de la pièce, en direction de la sortie de secours.

Ilia se mit à transpirer violemment.

Ma femme…, bredouilla-t il tandis que les autres l’entraînaient sans ménagement le long de

l’étroit corridor. Ma femme est dans le public. S’il vous plaît, laissez-moi la prévenir !

Les types ne ralentirent pas.

Ne faites pas de difficultés, Grenko. Suivez-nous gentiment !

Toutes les portes des loges devant lesquelles ils passaient étaient fermées. Pourquoi fallait-il qu’aujourd’hui les couloirs soient déserts ? Ils croisèrent un machiniste. Ilia lui lança : « Pourriez-vous avertir ma femme que j’ai été arrêté ? » Il sentit un coup dans les côtes. L’employé s’arrêta. Il lui jeta un regard étonné, aperçut les deux hommes, et s’éloigna précipitamment, baissant la tête.

Arrivés à la sortie des artistes, ils passèrent devant la loge du portier. Dans sa petite cage de verre, vêtu de son uniforme élimé, Vassili Ivanovitch Iaroch lisait le journal. Il leva des yeux effarés.

« On vient de m’arrêter, Vassili Ivanovitch. Je vous en prie, dites-le à ma femme ! » lui jeta Ilia.

L’un des individus ouvrit la porte et l’entraîna dans la petite rue qui longeait l’arrière du bâtiment, jusqu’à une voiture noire.

En se retournant, il vit Vassili qui s’était levé et les suivait du regard.

Ils le poussèrent brutalement à l’intérieur du véhicule. Ilia se rendit compte qu’il tenait encore son étui à la main.

Mon violon, dit-il d’une voix étranglée par la peur. S’il vous plaît, permettez-moi de déposer mon violon chez le portier.

Celui qui avait pris place dans le fond se tourna vers lui avec un sourire ironique :

Qu’est-ce que tu crains, Ilia Vassilievitch Grenko ? Si tout ça n’est qu’un malentendu, tu seras rentré chez toi, avec ton violon, d’ici une heure ou deux. Il se pencha vers Ilia, lui soufflant son haleine aigre au visage :

Ou as-tu des raisons d’en douter ?

La voiture démarra. Ilia regardait par la fenêtre. Les lumières de Moscou défilaient, les flâneurs profitaient de la douceur du soir. S’il était rentré chez lui avec sa femme, comme d’habitude, le spectacle de la nuit moscovite aurait été le même. Et pourtant tout aurait été différent ; il aurait fait partie du tableau. Selon toute vraisemblance, il n’y aurait même pas prêté attention, ne relevant ni la légèreté des pas des promeneurs, ni le baiser d’un couple sous un lampadaire.

Il savait que la berline les conduisait à la Loubianka. La visite du professeur Mechenov, quelques heures plus tôt, lui revint à l’esprit.

Celui qui avait été son mentor et son père adoptif pendant ses années d’études au conservatoire lui avait téléphoné le matin même pour s’inviter à déjeuner. À table, bizarrement, la conversation s’était cantonnée à des banalités, Mechenov faisant diversion chaque fois qu’Ilia tentait d’évoquer

ses voyages et ses rencontres avec d’autres musiciens de renommée internationale. Plus tard, dans l’après-midi, le vieux monsieur l’avait pressé de lui montrer le jardin.

Ilioucha, je me réjouis de ton succès, mais toutes ces tournées à l’étranger… Ce n’est pas bon pour toi, tu comprends ?

Cher maître, vous savez à quel point je m’intéresse peu à la politique. Tout ce qui compte pour moi, c’est la musique et ma petite famille.

Le professeur caressait ses favoris grisonnants, évitant le regard d’Ilia :

Promets-moi de rester ici pendant les prochains mois. Annule tes voyages, avait-il chuchoté d’un ton insistant, ses petits yeux marron courant nerveusement sur la façade de la maison. Alexeï Ribaltchenko se trouve à Zurich. Il serait resté à l’étranger parce qu’il craignait d’être arrêté à son retour. Il y a des rumeurs… Il paraît que les musiciens qui se rendent souvent à l’étranger sont suspectés de contacts avec l’ennemi ou d’agitation antisoviétique.

Il parlait d’une voix à peine audible, presque suppliante. Ilia était choqué. Bien sûr qu’on l’avait interpellé, lui aussi, à Paris et à Londres, au sujet de ces prétendues vagues d’arrestations dans son pays. Il coupait court dès que la discussion s’aventurait sur ce terrain. Il s’agissait de propagande ennemie, c’était bien connu.

Voilà ce qu’il avait prudemment expliqué à Mechenov. Il avait nommé quelques-uns des collègues étrangers qui l’avaient questionné, et s’était empressé d’ajouter qu’on savait bien que ces soupçons étaient dénués de fondement.

Mechenov avait gardé le silence pendant un long moment avant de reprendre :

Tu as été en Europe, n’est-ce pas ? Où est-ce qu’ils jouent ? À Paris ? À Londres ? À Amsterdam ? Tu as entendu parler d’eux, de leurs concerts, de leurs succès, non ? Tu as eu des contacts avec eux ?

Le vieux l’avait regardé droit dans les yeux, d’un air inquisiteur. Ilia n’avait pu réprimer un sursaut.

Est-ce qu’il avait bien entendu : Mechenov lui demandait s’il avait été en contact avec des traîtres à la patrie ? Ou cherchait-il à attirer son attention sur autre chose ?

De fait, il n’avait jamais rencontré ces collègues russes. Il ne savait rien d’eux et n’avait lu aucun article à leur sujet. Il creuserait la question plus tard. Pour l’instant, il préférait penser à sa tournée à Vienne et à la demande officielle qu’il avait déposée pour emmener sa famille. Galina, sa femme, n’était pas au courant. Quand l’autorisation arriverait, il lui ferait la surprise.

Il n’avait pas répondu à la question de Mechenov.

Lorsqu’ils avaient regagné la maison, le vieux l’avait de nouveau exhorté :

Ilioucha, je te demande d’annuler ton voyage à Vienne.

Après son départ, Ilia avait rejoint sa famille au salon. Galina, installée dans un fauteuil, tenait dans ses bras leur bébé d’un an, le petit Ossip, tandis que Pavel, l’aîné, s’amusait sur le tapis, concentré sur son jeu de construction.

Caressant les cheveux blonds du garçon de trois ans, il avait décidé de se renseigner discrètement sur les musiciens en exil quand il séjournerait à Vienne.

Ils firent le tour de la place déserte devant la Loubianka. Ici, personne ne flânait. Personne ne s’attardait à proximité de ce lieu, secrètement surnommé l’« antichambre de l’enfer ».

Le bâtiment dominait la place de sa masse ocre imposante. En comparaison, l’entrée principale paraissait ridiculement petite et insignifiante. Il y avait de la lumière à plusieurs fenêtres, bien qu’il ne soit pas loin de minuit. Il respira profondément pour se calmer. La situation allait s’éclaircir. Quels que soient les griefs à son endroit, il mettrait les choses au point et serait bientôt de retour à la maison.

La voiture longea la façade ouest du bâtiment, franchit une barrière, passa sous un porche et s’immobilisa dans une cour. La conscience de son isolement s’abattit sur lui comme une chape. Il avait peine à se croire encore à Moscou. Il serra son étui contre lui comme pour le protéger.

Ils le poussèrent hors de la berline, lui firent descendre quelques marches et le guidèrent le long d’un couloir faiblement éclairé, jusqu’à une sorte de comptoir, derrière lequel attendait un homme en uniforme. Attrapant une boîte en carton, le fonctionnaire lui ordonna d’y déposer l’étui, son manteau, son noeud papillon, sa ceinture et ses lacets.

Derrière lui, des murs d’étagères en bois remplies de cartons similaires se dressaient dans la pénombre.

« Mais… » Ilia suffoquait. « C’est une erreur. Conduisez-moi à un responsable qui me dira ce

qu’on me reproche ! Vous ne pouvez pas…, sans m’avoir entendu, vous ne pouvez pas me… »

L’indignation poussait sa voix dans les aigus.

L’un des types s’empara de l’instrument d’une main. De l’autre, il lui arracha le noeud papillon et aboya : « Le manteau, la ceinture, la montre et les lacets ! » Lentement, sans parvenir à réprimer le tremblement de ses mains, Ilia s’exécuta. Pour finir, ils vidèrent ses poches de pantalon et gardèrent même son mouchoir. À présent, il était obligé de tenir son pantalon pour l’empêcher

de tomber sur ses chevilles. L’empoignant par le bras de chaque côté, les hommes en costume l’entraînèrent au-delà d’une lourde porte métallique.

On lui fit dégringoler trois marches et franchir une nouvelle porte. L’odeur douceâtre des murs humides mêlée aux relents d’urine et de transpiration lui sauta au visage. Il suffoqua. Des plaintes et des gémissements parvenaient à ses oreilles. Son coeur s’affola, et, durant quelques secondes, il crut étouffer. Sur sa gauche, il perçut le grincement métallique d’un verrou, puis une porte de bois massive s’ouvrit. Ilia sentit des mains dans son dos, il trébucha et tomba par terre. Puis de nouveau le grincement métallique.

Quand il reprit ses esprits, il était étalé sur le sol en ciment d’une cellule. Elle était exiguë et sans fenêtre, éclairée par une ampoule nue grillagée.

Le sol et les murs étaient maculés de larges auréoles. Dans un coin, un seau grossièrement rincé dégageait une odeur d’excréments. Une couverture grise crasseuse était roulée en boule à côté. Ni lit, ni chaise. Allait-il passer la nuit ici ?

Instinctivement il jeta un coup d’oeil à son poignet gauche nu. Il songea qu’il avait mis ses affaires dans le carton et qu’il n’avait pas de reçu.

Quelle heure pouvait-il être, minuit ? Peut-être minuit et demi ? Pas de reçu pour son violon !

Il attrapa la couverture, sans oser la déplier, et la jeta par terre contre le mur du fond avant de s’asseoir dessus. Il se forçait à respirer régulièrement par la bouche et luttait contre la nausée qui montait dès que l’odeur pestilentielle s’insinuait dans ses narines..."


Mechtild Borrmann - Le Violoniste



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