Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°565 (2017-16)

mardi 18 avril 2017

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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JS Bach - Cantate de Pâques
BWV 12
"Weinen Klagen Sorgen Sagen"

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Ballet de
Grèbe huppé

Champ-Pittet, Yverdon (Suisse)
samedi 8 avril 2017 (matin)




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Suggestion de lecture :

"En plein coeur de la mer orientale, à peu près à égale distance des trois continents, la Crète, une terre étirée d'ouest en est et portant comme des mâts trois sommets symétriques de plus de deux mille mètres d'altitude : Lefka au septentrion, Ida au centre, Dikté vers l'orient. Environ deux cent soixante kilomètres de longueur et pas plus de soixante kilomètres du pont à la quille. Car puisque nous en sommes à consulter l'oracle oublié des géographies (que ne négligeaient peut-être pas les Anciens), nous déchiffrerons aisément le destin de l'île dans le tracé de se propres contours. Elle est tout entière un vaisseau, proue virée vers l'Asie, poupe surélevée, ornée déjà des fameuses cornes de consécration protectrices que plus tard les architectes multiplieront aux corniches des palais minoens. Et c'est vrai que tout viendra de la mer en Crète, le meilleur et le pire, les hommes et les dieux, les richesses, les idées et les images, et que tout pour finir s'en ira de nouveau sur la mer.

Et c'est de la mer qu'arrivèrent naturellement les premiers habitants de l'île, il y a huit ou neuf mille ans, peut-être bien davantage. On navigue encore ici dans les ténèbres presque aussi compactes que celles des cavernes qu'ils habitèrent d'abord. Ils appartenaient sans doute à la même race méditerranéenne primitive que les Egyptiens et les Ligures, vivaient de chasse et de pêche, utilisaient outils et armes de pierre polie, serpentine, hématite et obsidienne qui joua dans ces régions le rôle du silex. Comme l'obsidienne ne se trouve qu'à Mélos et à Naxos, il faut en déduire déjà l'existence de relations maritimes avec d'autres îles, et sans doute l'Asie Mineure. On a retrouvé des poteries grossières, des idoles féminines apparemment à l'image de cette Déesse Terre-Mère, la grande Fécondatrice universellement honorée dans tout l'Orient méditerranéen. Mais les os de ces très anciens Crétois se sont entièrement dissous dans le temps. Ils sont représentés dans le sous-sol de Knossos par une couche sédimentaire de plus de six mètres d'épaisseur. Six mètres !

Aux environs de 3000 avant Jésus-Christ – par comparaison, la marge d'incertitude de notre ère oscillerait, suivant les auteurs, entre les premières croisades et l'invention des « aéroplanes » -, le cuivre fait son apparition dans l'Ile avec plusieurs siècles d'avance sur le continent. Et vers la fin du IIIè millénaire les oreilles des hommes apprennent un nouveau bruit : c'est le grincement du tour des potiers. Il en sortira une brillante et pittoresque floraison de formes et de couleurs qui constituera sans doute, avec les fresques des futurs palais, l'apport essentiel de la Crète au trésor des arts. Les hommes ont depuis longtemps abandonné les antres primitifs où les confinaient les périls et l'innocence technique des anciens jours.

Il s'installent vers les rivages et dans les plaines fertiles, découvrent l'architecture, élèvent des maisons de pierre, parfois même à étages. Ils cultivent et, surtout, naviguent. Le bruissement magique des eaux sur les flancs du navire, c'est l'hymne de la prospérité crétoise. Sans doute ils ne furent pas longs à mettre le vent dans leur jeu, tissant un réseau de plus en plus serré de « lignes » maritimes avec les Iles, l'Asie mineure et Troie, peut-être déjà l'Egypte.

Puis ils vont dormir par centaines dans la nuit des tholoi, vastes tombes circulaires à demi voûtées. Leurs dimensions interdisaient l'achèvement complet de l'espèce d'igloo en pierres sèches partout répandu dans le bassin méditerranéen, et qui sert encore d'abri aux bergers, en Provence comme en Corse et dans les montagnes crétoise. Il faudra attendre les Achéens pour résoudre, à force d'énormes blocs, le problème d'une coupole aussi vaste. Mais les Crétois n'ont jamais été de grands remueurs de cailloux.

D'autres tombes marquent des influences diverses, toutes révèlent l'existence de rites mortuaires, la croyance – tellement nécessaire au coeur de l'homme que, malgré les réticences scientifiques, on peut la considérer comme aussi vieille que l'invention du feu – en une survie. Vases de pierre et d'argile, armes, bijoux, accompagnent les morts dans l'autre monde. L'îlot de Mochlos a livré un vrai trésor qui témoigne à la fois d'une prospérité grandissante et d'une fraîche admiration pour les formes naturelles. Ce sont des feuilles ou des fleurs découpées dans de minces lamelles d'or ; un charmant caneton de cristal ; des colliers de la même matière, aussi d'agates et d'améthystes.

Dans les entrailles de la Terre-Mère, les Crétois s'en iront d'abord honorer les Puissances obscures qui lèvent les moissons, gonflent le sein des femmes, règlent le destin des peuples. Ils sont et resteront sur le plan religieux des « hommes des cavernes » ; et le souvenir de ces cavernes primordiales et matrices les hantera jusque dans l'architecture de leurs futurs palais, imprégnera bien plus tard les mythes de la Grèce classique et se reflétera pour finir dans la légende énigmatique du Labyrinthe et du Minotaure. Les cavernes de l'Ile, avec leurs dédales, leurs échos (?), leur étrange végétation de pierre, sont les portes d'un monde transcendant et redoutable. C'est là qu'affleurent les sèves et les sources. Là que les formes commencent à se dégager du chaos. Ils s'aventurent de quelques mètres dans les profondeurs, édifieront des enclos rudimentaires autour de stalagmites aux silhouettes plus ou moins évocatrices, déposeront pieusement parmi les blocs effondrés ou dans les plis des draperies calcaires des vases, des armes, des statuettes de terre cuite ou de bronze, des figurines animales, chevaux, taureaux, vaches, béliers, bouquetins, d'une synthèse expressive et remarquable qui les classe excellents animaliers. Enfin, dressée sur sa hampe, le Double Hache, l'arme rituelle mystérieusement associée à toute la civilisation minoenne, partout reproduite, bronze, pierre, or, peinte sur les sarcophages, engravée sur les dalles et piliers des palais. Peut-être symbole d'un principe mâle (tauriforme ? Orageux ? Céleste ?), complémentaire de la Grande Fécondatrice chthonienne. On a repéré encore les traces d'un culte des hauts lieux, d'un culte des arbres. Mais on en est réduit aux conjectures.

Vers l'an deux mille furent construites les premières demeures royales. Leur apparition témoigne d'une prospérité accrue, de la centralisation des richesses et des pouvoirs entre les mains d'une ou plusieurs lignées de sang divin, et aussi de la sécurité qui régnait dans l'Ile, car leurs portiques s'ouvrent largement sur les campagnes environnantes et il n'y a pas trace de défenses extérieures. Ces édifices groupaient de nombreux bâtiments autour d'une cour centrale rectangulaire. Après diverses vicissitudes et plusieurs destructions par incendies ou tremblement de terre, ils s'effondrèrent vers 1750 avant le Christ dans une catastrophe généralisée, séisme encore plus brutal que tous ceux qui l'avaient précédé. Ce sont leurs restes que les archéologues ont repérés immédiatement sous la couche actuelle à Mallia, Phaestos, Knossos.

Car cette épreuve, loin de décourager les habitants, produit juste l'effet d'un élagage. Moins de cinquante années plus tard, tout a rejailli de terre plus vaste et plus somptueux. La dynastie de Knossos entre-temps a pris définitivement le pas sur les autres lignées. Le nom du roi légendaire Minos en symbolisera la grandeur aux yeux des Grecs et de la postérité, d'où la désignation de « minoenne » inventée par Evans, le découvreur de Knossos, pour désigner l'ensemble de la civilisation crétoise. Elle parvient alors à son apogée.

Sa puissance maritime n'a fait que s'accroître au cours des derniers siècles. La flotte de haute mer, qui, dès 1850, comporte des vaisseaux à voile et trente paires de rames, se livre à un trafic intensif avec les principaux ports de la mer Egée, de l'Asie Mineure et va jusqu'en Egypte et en Sicile.

Elle ira chercher par exemple des épices en Cyrénaïque, livrera à Byblos des vases en argent, au Delta de l'argent brut et d'opulents vases de Kamarès à volutes blanches sur fond noirâtre. Elle diffusera enfin en Grèce continentale où viennent d'arriver les Achéens (1700) les produits de l'art crétois dont ces guerriers barbus et leurs épouses se trouveront également subjugués. Ils ont fleuri de nouveau pour nous grâce aux modernes explorateurs de ce monde perdu, perdu corps et biens pendant plus de trente siècles.

Fabuleux et séduisant, tel nous le restituent quelques débris de fresques miraculeusement échappés à la grande débâcle parmi les centaines de mètres qui couraient le long des murs, à l'intérieur des villas et palais. Une époque gaie, mondaine, brillamment colorée avec ses rouges colonnades, ses parcs, ses jets d'eau, ses parterres fleuris, ses rocailles peuplées de bêtes et d'oiseaux, ses courtils ombreux où bavardent des ribambelles de jeunes femmes. Leurs charmes rétrospectifs ont tant ému nos sages archéologues, évidemment peu accoutumés à dégager des oeillades de la « poussière des siècles », que, d'un commun accord, ils ont surnommé la plus pimpante : la « Parisienne ». Une Parisienne dans la pure tradition d'Offenbach, bien entendu. Au surplus, les modes de cette autre belle époque évoquent étrangement la nôtre, de belle époque. A quelques décennies près, 1900 avant ou après Jésus-Christ, on ne sait plus. Tailles de guêpe, moulées par une robe qui s'évase ensuite en cloche, et déroule jusqu'à terre les anneaux de volants successifs ; poitrines provocantes, boucles à l'anglaise... Tout semble ici s'organiser autour de ces aimables silhouettes. On les devine libres, indépendantes, sans complexes – à supposer que les complexes fussent inventés en ce temps-là -, les égales des hommes assurément, et peut-être les vraies maîtresses du pays..."


Samivel - Le soleil se lève en Grèce



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