Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°548 (2016-48)
mardi 20 décembre 2016
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
explications sur le nom de cette
lettre : [ici]
ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas
correctement, cliquez [ici]
Pour regarder et écouter, |
Génisses au repos La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016 Château de
Joux dans les nuages...
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016
Alisier blanc
Spectre du
BrockenLa Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016 La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016 Tilleul La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016 Spectre du
Brocken II
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016 Fata morgana
EtangLa Cluse et Mijoux (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Entonnoir Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Troupe de
Grandes Aigrettes
RuinesBouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Plus d'eau !
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 couvert de feuilles de Tremble Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Chapelle Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Après une semaine de
pluie...
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 29 octobre 2016 La plage
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 29 octobre 2016
Avant le lever
du soleil...
Mont d'Or (Haut-Doubs) dimanche 30 octobre 2016
Mont Blanc Modzons
Mont d'Or (Haut-Doubs) dimanche 30 octobre 2016 Lever du
soleil
Mont d'Or (Haut-Doubs) dimanche 30 octobre 2016 Mont Blanc
et Dent de Vaulion
Mont d'Or (Haut-Doubs) dimanche 30 octobre 2016 Suchet, Chasseron et Aiguilles de Baulmes
Mont d'Or (Haut-Doubs) dimanche 30 octobre 2016 Falaises du
Mont d'Or
Mont d'Or (Haut-Doubs) dimanche 30 octobre 2016 Courvières
(Haut-Doubs)
Etangmardi 1er novembre 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 Chapelle
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 Eau...
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 Glace
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 et neige...
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 Chapelle,
au soleil
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016
|
|
mardi 10 décembre
2013 |
"Et c'est ainsi que Benedikt avançait, perdu dans ses pensées, avec des moments clairs, des moments sombres ; et le jour déclinait autour de lui, et la pleine lune, derrière les nuages, se détachait sur un ciel pâle. Il n'avait pas une bien haute opinion de lui-même. Comment l'aurait-il pu ? Dans le jour qui déclinait, il n'était qu'une ombre incertaine qui glissait dans le paysage. L'idée qu'il se faisait de lui était sans doute plus floue encore et imprécise. Valet de ferme, voilà ce qu'il avait été toute sa vie. Plus précisément, homme de peine la moitié de l'année, et fermier à son compte le reste du temps. Il était toujours à mi-chemin de tout. Ni bon, ni mauvais, mi-homme, mi-bête. C'est comme ça qu'il était. L'été, il travaillait moyennant salaire dans la ferme où il vivait toute l'année ; en hiver, il s'occupait des moutons, en échange du couvert et de quelques vêtements. Il n'était son propre maître que peu de temps : au printemps, à l'automne, et pendant ces quelques jours de l'Avent, dans la montagne. Il avait une bergerie, une étable et une grange où il gardait le foin qu'il fauchait le dimanche, après l'office. Il était heureux. Homme simple, homme de peine, il n'attendait ni ne souhaitait rien d'autre, pas même au ciel – plus maintenant. Dans le passé, il avait fait des rêves de bonheur et de vie tranquille. Mais c'était fini. Dieu merci ! C'était l'époque où il avait le sentiment qu'il n'était pas libre. Depuis, il lui semblait qu'il l'était devenu. A moins que ce ne soit seulement vanité ou aveuglement. En tous cas, il avait déjà un certain âge. A cinquante-quatre ans, il était peu probable qu'il s'égare encore sur des chemins de traverse. Cinquante-quatre ans. Et c'était son vingt-septième voyage. Il connaissait le chiffre par coeur. Chaque année, il refaisait le compte. Il avait vingt-sept ans quand il avait entrepris ce voyage pour la première fois. Vingt-sept fois, il avait marché, de ferme en ferme, jusqu'à la limite du monde habité, en partant le premier dimanche de l'Avent, comme aujourd'hui. Oui, le temps passe. Vingt-sept ans... Ses rêves étaient depuis longtemps ensevelis. Lui seul les connaissait ; et Dieu ; et les montagnes à qui il les avait criés, dans son angoisse. Mais dès le premier voyage, il les y avait laissés. Enterrés en toute sécurité. A moins qu'ils n'errent encore dans ces déserts de neige et de rocs difformes, menant une vie vagabonde, solitaires comme des esprits en exil. Etaient-ce à cause d'eux qu'ils revenait ici chaque hiver ? Pour voir s'ils s'étaient dissous, si la terre les avait absorbés ? Il chassa cette pensée de son esprit. Ces divagations ne lui ressemblaient pas. Ils avaient presque atteint leur gîte pour la nuit et ils luttaient, Benedikt, Roc et Leo, pour gravir la colline qui menait à la ferme. Les bâtiments étaient situés sur un terre-plein niché dans le cirque des pentes montagneuses. Les pâturages étaient protégés du vent et recevaient le soleil dès qu'il reprenait force, au printemps. Benedikt poussa un profond soupir. C'était fini pour aujourd'hui. Il se retourna et regarda le chemin parcouru. Sa main reposait sur une des cornes du bélier et il sentait monter la chaleur de l'animal ; de l'autre côté, Leo remuait la queue. Ils se tenaient ainsi, et le temps semblait immobile ; une atmosphère de sainteté flottait autour d'eux. Le berger n'imaginait pas pour autant que les cieux allaient s'entrouvrir, mais il y avait sûrement une petite faille. Non, il n'était pas seul. Pas complétement abandonné. Il regardait autour de lui, faisant sien tout ce que son regard embrassait. L'obscurité envahissait la campagne et la lune se devinait derrière les nuages, et les nuages étaient pareils à des montagnes de glace flottante, aussi réelles que celles qui pâlissaient à l'horizon. Un soir comme celui-ci, avec le lac gelé recouvert de neige, la terre paraissait plus plate que d'habitude. Et, au milieu de cet univers livide, presque fondu dans l'obscurité, un homme se tenait avec ses amis les plus proches, Roc le bélier et le chien Leo. Cet univers était le sien. Le sien et le leur. Il était un élément de cet univers. Il pouvait le toucher de ses mains. L'atteindre avec ses yeux, sa pensée. Sans doute n'en avait-il pas conscience, pas plus qu'il n'avait remarqué qu'il s'était arrêté et qu'il restait là, immobile, à regarder au loin. D'habitude, il quittait la ferme de Botn longtemps avant l'aurore et, quand le jour se levait, il était déjà haut dans la montagne. Il ressentit tout à coup une sorte de vide intérieur, une nostalgie bizarre qu'il aurait été bien en peine de définir ou d'expliquer. Etait-ce parce qu'il abandonnait, pour quelques jours, les terres habitées ou parce que, chaque fois qu'il les quittait ainsi, il pensait au jour où il devrait s'en séparer à jamais ? L'homme s'accroche à ce qu'il est, à ce qu'il possède, jusqu'à la tombe. Il redoute de perdre la vie – réalité des réalités, fragilité des fragilités. Il craint la solitude qui est la condition même de son existence. Il a peur d'être oublié des autres et peut-être de Dieu. Maigre consolation : si tout se passe bien, il a des chances d'être enseveli dans sa terre, ancré là pour l'éternité. De l'au-delà, il espère bien avoir vue sur son coin. Impossible qu'il en soit autrement..."
Gunnar
Gunnarsson - Le Berger de l'Avent
|
|