Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°547 (2016-47)
mardi 13 décembre 2016
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Héron cendré Pontarlier (Haut-Doubs) dimanche 16 octobre 2016 Pour regarder, ou cliquez [ici] dimanche 16 octobre 2016 Canard
colvert dans la brume
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Jeune Cygne
tuberculé
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Pour regarder, ou cliquez [ici]
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 <image recadrée> Jeune Cygne
tuberculé s'étirant
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Jeune Cygne
tuberculé
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Troupe de Grandes
Aigrettes
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Troupe de Grandes
Aigrettes
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 <image recadrée> Grandes
Aigrettes en vol
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016 Cygnes
tuberculés en vol
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 22 octobre 2016
Pipit
sp.
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 29 octobre 2016 Cygne
tuberculé (au lever du soleil)
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 29 octobre 2016
Dans la
brume
Entonnoir de Bouverans (Haut-Doubs) samedi 29 octobre 2016 Cygne
tuberculé adulte
Grand CormoranLa Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 Etirement La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 Pour regarder, ou cliquez [ici] Etirement
EtirementLa Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016 <image recadrée> La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 12 novembre 2016
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Suggestion de
lecture :
p.28/29 "Le bruit d'une cascade m'est brutalement parvenu en passant un mur. Enfoncée dans la montagne comme un grand clou vibrant, à la verticale absolue, elle sautait d'une hauteur que je n'avais pas assez de recul pour distinguer, rebondissait à mi-pente sur un bloc rouge qui la contrariait sans la ralentir, et se lançait durement sur une plaque lisse, brillante, laquée comme une patinoire. J'ai abordé ce profond repli avec attention, en cherchant du regard un endroit où traverser la chute d'eau vers l'aval. Au creux de cet immense ourlet de pierre, le bruit qui frappait l'air et la roche était assourdissant. J'ai dû me servir de mon bâton pour descendre. Au pied de la plaque, la cascade avait creusé une vasque profonde qu'elle avait élargie au cours des millénaires, la roche alentour avait pris des formes rondes de glissière et de galet. (...) La pente était raide, j'ai fait plusieurs virages pour l'aborder sans brutalité et changer de main au bâton. L'air était doux, odorant. Le silence baignait mon effort. Il devenait mental, aérien. La ligne claire s'élargissait au fur et à mesure de ma progression. Elle était bleue. Un ruisseau a croisé mon chemin, j'ai décidé d'en remonter le cours. Il m'a conduite à la lisière de la forêt, dans un val tendre, ouvert de tous côtés. p.42/43 (...) Quand le sol chez moi a été sec, j'ai sorti mon torchon pour les vitres, et j'ai nettoyé au vinaigre d'alcool le grand carreau divisé en quatre de l'oeil-de-boeuf. A l'extérieur, je me tenais sur le rebord de cinquante centimètres qui protège la vitre du vent direct, au-dessus du vide, et j'ai eu tout à coup l'impression d'être un de ces cordistes laveurs de carreaux pendus à un gratte-ciel en pleine ville - sans prise de main. Perdue au milieu de la paroi courbe d'un building sur une passerelle étroite accrochée par des ventouses glissantes à la surface lisse du verre, loin au-dessus des fourmis, des taxis jaunes, des avenues frémissantes, des bouchons, en plein air. L'Empire State devant moi et la masse des constructions humaines, nombreuses et ordonnées, trouées d'yeux carrés, pleines de vide, agencées. Loin au-dessus de la plaine de Central Park, rase et nue comme la main, loin au-dessus du miroir des eaux, nez à nez avec la couronne du Chrysler, le dos contre l'espace creusé dans le ciel par les millions de pierres, de briques, d'efforts, de vies brûlées à reconstruire des montagnes effacées depuis le pliocène, fichée debout, fragile, au coeur d'une géologie humaine, les oreilles pleines de bruit, les jambes secouées de tremblements, le souffle coupé. J'ai fermé les yeux. (...) p.116/117 (...) Je ne peux pas, personne ne le peut, ne pas prêter attention à la présence humaine. D'une coccinelle, d'un geai, d'un isard, d'une souris, oui, mais pas d'un humain. C'est un fait. Dès que je vois un humain, j'ai l'idée d'une relation entre lui et moi. Je m'en rends compte. Je ne peux pas faire comme s'il n'existait pas. Encore moins dans la position isolée dans laquelle je me trouve. Que j'ai choisie. Dans laquelle je m'exerce et cherche à savoir si on peut vivre hors jeu, en ayant supposé qu'on le peut et que c'est une des conditions requises pour obtenir la paix de l'âme. C'est une hypothèse que j'ai faite et que je m'efforce de vérifier. Et tout à coup il y a un moine, enfin une nonne, disons. Qui ne ressent pas la menace. Qui plonge son regard dans le mien comme elle le plonge dans le lac. Est-ce un contact visuel ? Est-ce qu'elle a un contact visuel avec le lac aussi ? Tout à coup, il y a une nonne qui vous chie au nez. Chacun chez soi et les poules seront bien gardées, c'est le début d'une société, d'une règle sociale. Il n'y a pas de non-relation entre humains. Le type qui siffle dans le jardin à côté du vôtre en faisant cuire ses saucisses vous signale qu'il existe, que vous respirez tous les deux le même air et qu'il est chez lui dans votre espace sonore. Vous êtes sur le même plan. C'est très archaïque. Les comportements humains pour la plupart sont passablement archaïques, et très agressifs. p. 158/159 (...) Boire,
jouter sur un nombre restreint de syllabes, exécuter
des ronds de manche étudiés, boire, attraper la
lune, boire. Ils ne sont pas causants, c'est
agréable. Hier quand elle a été visible, blafarde,
une pointe de vent s'est levée pour l'accueillir,
les bambous ont pris du volume et j'ai participé à
leur réception silencieuse, pleine de monde, de
mouvements d'étoffe, de paroles essentielles
prononcées légèrement. On m'a frôlée, j'ai senti la
poudre de riz passer dans l'air, l'odeur blanche du
saké. La soie portée en société ne fait pas d'autre
bruit que les bambous froissés par un soir d'été. Je
ne vois rien parmi eux, je ne vois pas la vallée, ni
la pelouse, ni le jardin, j'entends à peine le lac,
je suis tranquille. Mon regard ne porte pas, je n'ai
aucune perspective, je suis là, posée à côté d'une
caisse de rhum, au milieu de leurs corps durs,
élancés, élégants, sans profondeur, pourvus de mille
bras flottants. Je m'allège avec eux. Leur
conversation de papier, leur droiture télescopique,
leur coeur creux infusent dans mon quart d'alu et
passent dans mes pensées. «Ivres, nous prenons chacun notre chemin, Avec des non-humains, je me suis liée d'amitié ; Rendez-vous au loin dans la Voie lactée !» Tout à coup il faudrait devenir une flûte, laisser passer la colonne d'air par la bouche sans décider du chant, être jouée comme ils le sont et produire le son impersonnel et fade qui ne prouve que l'être. L'alcool m'aide à ça, à m'éclaircir, à l'entendre autour de moi, à le laisser se former dans mon oreille et dans ma voix. p.177/178 (...) Peu à peu, je compris que ces jeux de répons n'avaient d'autre but que d'écrire dans l'eau un seul et grand poème. Chacun sa touche, le ruisseau pour fond et pour voix. A la fin, ils écrivaient directement dans les flots, je ne lisais plus, le son et l'image s'étaient confondus, le sens était sans importance, tout était clair, le support était inclus dans les vers. L'eau n'avait même plus besoin de couler, elle coulait. Le poème coulait au-dessus d'elle, avec elle, en elle, hors d'elle. C'était ainsi. Très simple. Quand je suis sortie de ma lecture, un des petits échansons du ponte de l'aval me tendait la coupe vide de son maître. Il restait une goutte d'eau-de-vie dans le fond, je l'ai mise d'un coup sec dans ma bouche et elle a pris ses aises. Mon palais s'est développé dans des proportions de hall de gare, les murs étaient tapissés de lianes et de joyaux tressés, le plafond en coupole était peint à fresque, blanc l'instant suivant, taillé dans un bloc de marbre finement veiné, le sol était comme un tapis, un trampoline, un matelas de duvet, le ventre d'un escargot. Les parfums circulaient dans la grotte palace dans des flacons de porcelaine accordée aux teintes changeantes du plafond. Ils entraient par la porte de service, envahissaient la coupole et sortaient par la cheminée. Avant de disparaître, ils laissaient flotter derrière eux comme une traîne de cerf-volant. Et puis l'alcool est descendu dans mon corps et j'ai fait de la spéléologie sur une planche de surf à toute épreuve..."
Céline
Minard - Le Grand Jeu
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