Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°545 (2016-45)
mardi 29 novembre 2016
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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mardi 10 décembre 2013
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mardi 2
décembre 2014 |
"La pêche au homard avait connu des jours meilleurs. Autrefois, les pêcheurs professionnels travaillaient dur pour capturer les crustacés noirs. Aujourd’hui, les estivants passaient une semaine de vacances à pêcher pour leur plaisir personnel. Sans rien respecter. Au fil des ans, il avait constaté bien des entorses au règlement. Des gens sortaient discrètement des brosses pour éliminer les œufs bien visibles sur les femelles et ainsi faire croire qu’elles étaient licites. Certains relevaient des casiers qui ne leur appartenaient pas, et on voyait même des plongeurs cueillir les homards directement avec les mains. Il se demandait où cela s’arrêterait, si l’on ne pouvait même plus compter sur un code d’honneur entre pêcheurs. Une fois, dans la nasse qu’il remontait il avait trouvé une bouteille de cognac à la place des crustacés disparus, c’était déjà ça. Ce voleur-là avait malgré tout fait preuve d’une certaine classe, sinon d’humour. Frans Bengtsson trouva deux homards magnifiques dès le premier casier, et il sentit sa mauvaise humeur s’évaporer. Il avait l'œil pour repérer leurs passages et il connaissait quelques véritables mines d’or où les nasses se rem plissaient avec la même abondance d’année en année. Trois paniers plus tard, il avait amassé un tas non négligeable de ces précieuses bêtes. Il ne comprenait pas pourquoi le homard se vendait à des prix aussi éhontés. Certes, ce n’était pas mauvais, mais à choisir il préférait le hareng pour son dîner. C’était bien meilleur et d’un prix plus raisonnable. Mais les revenus qu’il en tirait augmentaient avantageusement sa retraite à cette époque de l’année. La dernière nasse était particulièrement lourde et il cala son pied sur le plat-bord pour la dégager sans se déséquilibrer. Lentement il la sentit céder et il espérait ne pas l’avoir esquintée. Il jeta un coup d'œil par-dessus bord mais ce qu’il vit n’était pas le casier. C’était une main blanche qui fendit la surface agitée de l’eau et sembla montrer le ciel l’espace d’un instant. Son premier réflexe fut de lâcher la corde et de laisser cette chose disparaître dans les profondeurs avec le casier. Mais il se reprit et tira à nouveau sur la corde. Il dut mobiliser toute ses forces pour réussir à hisser sa trouvaille macabre dans la snipa en bois. Le corps mouillé, livide et inanimé roula sur le fond du bateau et lui fit immédiatement perdre son sang-froid. C'était un enfant qu'il avait sorti de l'eau. Une petite fille, les cheveux longs collés sur le visage et les lèvres aussi bleues que les yeux qui fixaient le ciel sans rien voir. Frans Bengtsson se précipita pour vomir par-dessus bord. Jamais
Patrik n’avait pu imaginer qu’on puisse être aussi
fatigué.
Toutes ses illusions sur le sommeil des nourrissons
avaient été
systématiquement brisées ces deux derniers mois. Il
passa les mains dans ses cheveux châtains coupés
court
pour les démêler, sans grand résultat. Si lui
était crevé, il n’arrivait même pas à
imaginer l’état d’Erica. Lui au moins était
dispensé des fréquentes tétées nocturnes.
Patrik se faisait du souci pour elle. Il n’arrivait
pas à se
rappeler l’avoir vue sourire depuis son retour de la
maternité,
et elle avait de grands cernes noirs. Le désespoir
se lisait
dans ses yeux le matin et il avait du mal à les
laisser, Maja
et elle. Pourtant il devait avouer qu’il était
franchement
soulagé de pouvoir s’échapper vers son monde
professionnel rempli d’adultes. Il adorait Maja
par-dessus tout,
mais se retrouver avec un bébé était comme
entrer dans un univers inconnu, avec sans cesse de
nouvelles raisons
d’être aux aguets et stressé. Pourquoi ne dort-elle
pas ? Pourquoi crie-t-elle ? A-t-elle trop chaud ?
trop froid ?
Est-ce qu’elle n’a pas des boutons bizarres ? Alors
que les
voyous adultes, il les pratiquait depuis longtemps
et il savait
comment les gérer..."
Camilla
Läckberg - Le tailleur de pierres
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