Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°518 (2016-18)
mardi 3 mai 2016
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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lettre : [ici]
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De face
Reflet I Essorage
Nette rousse mâle
Canard colvert
mâle
Grèbe
castagneux
Foulque
macroule
Des matériaux, pour la construction du nid... Pour regarder la parade, ou cliquez [ici] <pas de son !>
Attitude du "chat" Portrait Repos Etirement Cygne
couvant sur son nid
et un couple de Grèbe à la construction de son nid Cygne au
repos, sur la plage
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mardi 16
juin 2015 |
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mardi 21
avril 2015 |
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mardi 10
juin 2014 |
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mardi 15 avril 2014
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mardi 21 mai 2013
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"On m'appelle David. Comme mon grand-père. Sauf que lui, sur les photos, avait une barbe blanche et soignée, tandis que la mienne est noire et hirsute, du moins je le pense. David : comme le roi conquérant. Sauf que lui aimait se battre et chanter ; moi je ne sais que rêver. Mais comme lui, j'aime les nuages, les montagnes en feu, surtout à l'heure du crépuscule, ou de l'aube, lorsque pris d'inquiétude, les êtres s'agitent, se fuient et se retrouvent dans le noir ou la lumière. L'heure est la même, l'appel est le même ; il n'y a que l'homme qui change. C'est pourquoi il a peur ; l'étranger en lui l'effraie. En moi, il m'amuse : je suis hors de son atteinte. Il ne veut pas de moi. Il se peut que je sois son jouet, non sa proie. Est-ce que je fais plus jeune ou plus vieux que mon âge ? Plus jeune ou plus vieux que Katriel ? Ne vous fiez pas aux apparences. Moi-même je m'en méfie ; pourtant je m'en nourris. Tenez : je vous observe, je vous parle, mais je ne suis sûr de rien. Pas même du moment qui nous réunit, vous et moi. Projeté dans l'avenir, je me sens déborder de pitié. Egaré dans le présent, je ne cherche qu'à m'en sortir. Je m'accroche aux autres pour disparaître avec eux. Mais je remonte toujours à la surface : expulsé du temps, non de l'histoire. Une image : mille cavaliers, sabre au clair, déferlent sur moi en hurlant leur haine et leur soif de vengeance. Pour leur échapper, je fais le mort. Qui sont-ils ? Des Croisés, des Cosaques, des paysans fanatisés, avides d'aventure et de sang ? Vivant, je suis leur ennemi ; mort, je deviens leur dieu. C'est donc pour le salut de mon âme, pour l'éternité de ma gloire, qu'ils s'acharnent à vouloir me supprimer. Mais ils n'y réussissent point. Ma mémoire est autrement plus forte qu'eux, et cela, ils devraient le savoir déjà. Plus ils frappent et plus elle leur résiste. Ils la disent encombrante et ils ont raison. Ils redoutent ses sursauts, ses accès de fièvre ; je les comprends. Ils jouent, et c'est elle qui leur dicte les règles du jeu. Ils se croient chasseurs et ils le sont ; mais ils sont aussi le gibier. Approchez donc. Le mendiant ne vous prendra que ce qui lui appartient. D'ailleurs, ce n'est pas un vrai mendiant. Il ne quémande pas, ne demande rien, ni aux hommes ni au ciel. Les signes qu'il leur arrache, il les leur rend. Comment il s'arrange pour vivre et survivre ? Drôle de question. La nuit, je vis avec les fous, les illuminés, les vagabonds en tout genre. On ne les voit guère pendant la journée. Trop occupés. Trop timides aussi. Les gens se moquent d'eux ou les prennent en pitié. Quiconque éprouve le besoin de rire ou d'accomplir une action charitable, les choisit comme cible. Certes, ce rôle leur convient et ils l'acceptent de bonne grâce, mais jamais en groupe. Car ils semblent beaucoup tenir à l'opinion, au respect de leurs semblables. Je n'en connais pas de plus fiers ni de plus loyaux. Membres d'une confrérie secrète, tenus par un règlement rigoureux, ils s'entraident et font front commun. N'essayer pas de les duper ; ils savent se défendre. Leur code est indéchiffrable aux non-initiés ; ils s'en servent pour se transmettre renseignements et consignes d'ordre pratique : éviter untel, il est de mauvaise humeur ce matin ; amadouer tel autre, il vient de faire fortune. Ils ont des yeux et des oreilles partout : rien ne leur échappe. Les replis cachés de la société leur sont ouverts ; ils n'en abusent point. Ils pourraient s'enrichir en s'adonnant au chantage ou au commerce ; ils n'y tiennent pas. La gloire et la richesse ? Trop faciles à acquérir. Recevoir est plus difficile. Les pauvres de Jérusalem resteront pauvres juqu'à la fin de leurs jours. Vous aimeriez les rencontrer ? Soit. Tout de suite ? Il est encore tôt. Le soir les amènera. Vous les rencontrerez accroupis en demi-cercle, à même le sol, non loin du Mur incrusté dans la nuit. Revêtus de leurs masques, ils évoqueront les hostilités à peine terminées. A les croire, c'est à eux que reviendrait l'honneur de la victoire. Vous les entendrez, vous jugerez. Mais vous n'entendrez pas Katriel. Vous ne le verrez pas. Je regrette. Je vous parlerai de lui, mais vous ne ferez pas sa connaissance. Disparu en pleine bataille, on l'a cherché pendant des semaines dans les hôpitaux et les fosses communes. Puis on a abandonné les recherches. On rouvrira un jour son dossier. On s'étonnera : toujours pas de trace de Katriel ? Je répondrai : sa trace, c'est moi. C'était mon ami. Nous avons fait la guerre ensemble. Lui n'est pas revenu. Il s'agit maintenant de l'imaginer présent. Quoique les autres ici ne l'aient pas connu, ils déposeront pour lui et à sa place. Il ne leur ressemblait pas ? Et après ? Chacun d'eux a traversé bien des existences et des tourmentes, visité nombre de pays, accepté beaucoup de lois et transgressé pas mal d'autres. Chacun d'eux sait que le secret est éternel, intransmissible Les chemins ne mènent nulle part, ils convergent en mille points plutôt qu'en un seul. Qui dit moi, a tout dit. De même que chaque homme contient tous les hommes, ce mot contient tous les mots. C'est le seul que, sur le mont Sinaï, Dieu ait laissé échapper de ses lèvres. Seulement, il faut savoir le dire comme Lui. Lui dit moi et cela signifie : vous qui êtes en moi, avec moi. Nous disons moi et cela signifie : vous qui êtes opposé à moi. Son moi désigne le plénitude, le nôtre le déchirement. Dans sa bouche, moi veut dire amour, dans la nôtre aussi, mais il ne s'agit plus du même amour. C'est qu'il est facile de s'aimer les uns les autres, il est même facile d'aimer nos ennemis : plus facile que de s'aimer soi-même. Shlomo, un hassid que vous verrez bientôt, s'exclama un jour avec désespoir : qu'ai-je gagné en devenant aveugle, puisque je continue à me voir ? Le pauvre ! Eût-il cessé de se voir qu'il n'eût pas gagné. Les jeux sont truqués ; il n'y a rien à gagner. Ni à perdre, ce qui est plus grave. Vaincre la mort, la vaincre à contrecoeur, n'est pas une victoire, ni une grâce ; je suis bien placé pour le savoir. En Orient, il m'arriva de parler du suicide devant un sage qui, d'un oeil clair et doux, suivait un éternel coucher de soleil. Mourir n'est pas une solution, m'affirma-t-il. Et vivre ? Demandai-je. Vivre non plus, répondit-il, mais qui dit qu'il existe une solution ? Vous n'arriverez pas à me convaincre qu'il n'avait pas raison. Les solutions, on peut facilement s'en passer. Seules comptent les questions ; libre à nous de les partager ou de les réfuter. Chacune d'elles renferme non pas une réponse, mais un secret. On prétend que, pour sauvegarder le sien, Shlomo s'est fait arracher les yeux. C'est faux. Son secret, il ne l'a acquis que par la suite. Un jour, il le dévoilera. Et la terre tremblera..."
Elie
Wiesel - Le mendiant de Jérusalem
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