Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°515 (2016-15)
mardi 12 avril 2016
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Foulque macroule La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) vendredi 11 mars 2016 Canard colvert mâle sur la neige La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) vendredi 11 mars 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) vendredi 11 mars 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) vendredi 11 mars 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2016
Grande
Aigrette
La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2016
Héron
cendré, au sommet d'un Sapin
Bouverans (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2016 Grande
Aigrette, en vol
Bouverans
(Haut-Doubs)Bouverans (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2016 dimanche 20 mars 2016 Harle bièvre
Bouverans (Haut-Doubs) dimanche 20 mars 2016 Bouverans
(Haut-Doubs)
Bouverans
(Haut-Doubs)dimanche 20 mars 2016 dimanche 20 mars 2016 Grande
Aigrette
La
Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 26 mars 2016 samedi 26 mars 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 26 mars 2016 La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs) samedi 26 mars 2016 <image recadrée>
samedi 26 mars 2016 au dessus du Clocher de Frasne Bouverans (Haut-Doubs) samedi 26 mars 2016
Milan royal
Bouverans (Haut-Doubs) samedi 26 mars 2016 <image recadrée>
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mardi 17
mars 2015 |
"MARIUS Son cri... Impossible... Je me suis trompé... Aucun obus ne peut le tuer... Son cri... Plus fort que moi... Il court encore... Les fils barbelés ont retrouvé leur papa... Le cri de l'homme cochon... Fils de la guerre... Plus fort que moi... LE MEDECIN Je n'ai pas eu de mal à l'emmener avec moi. Il était immobile et silencieux. Le regard vide. Il ne dira plus un mot. Plus jamais. Je le sens. Une vie de silence. A rester des heures entières assis sur son lit. Secoué de tics. Pleurant parfois. Il ne saura plus dormir. Ses lèvres trembleront jusqu'à sa mort. Comme s'il prolongeait, en son esprit, le dialogue animal avec l'homme des tranchées. Je tendrai l'oreille parfois, mais tout ce que j'entendrai alors sera le souffle creux d'un homme vaincu. M'BOSSOLO Je te porterai
jusqu'au bout. Tu n'as pas de crainte à avoir. Mon
corps a mis du temps à s'habituer à ton poids mais
il n'y a plus de fatigue maintenant. Tu es avec moi.
Je t'emmène à l'abri. Au-delà des tranchées et du
champ de bataille. Il n'y a pas de pays qui soit
trop vaste pour moi. Il n'y a pas de fleuve que je
ne puisse enjamber ni d'océan où je n'aie pied. Je
te porterai jusqu'à chez moi. Bien au-delà de la
guerre. je ne te poserai que lorsque nous aurons
atteint la terre de mes ancêtres. Tu connaîtras
alors des paysages que tu ne peux imaginer. Je
connais des lieux sûrs où aucun ennemi ne pourra
t'atteindre. La guerre, une fois là-bas, te semblera
une douce rumeur. Je te confierai aux montagnes qui
m'ont vu naître. Tu seras bercé par le cri des
singes hurleurs de mon enfance. Tu n'as pas de
crainte à avoir. Aucun poids ne peut plus entamer
mes forces. Nous y serons bientôt. Et lorsque je
t'aurai confié à mon vieux continent, lorsque je
t'aurai confié à mon vieux continent, lorsque je me
serai assuré que tu es sain et sauf, je reviendrai
sur mes pas et je finirai ce qui doit être achevé.
Le combat m'attend. Il nous reste encore à vaincre.
T'avoir mis en lieu sûr me rendra indestructible. Je
retrouvai sans trembler la pluie des tranchées et
l'horreur des mêlées. Je me fraierai un passage
parmi nos ennemis. Plus rien, alors, ne pourra me
stopper dans ma charge. Je ne dormirai plus. Je ne
mangerai plus. Je ne m'arrêterai que lorsque la
guerre sera gagnée. Je dévorerai la terre du front.
Faisant reculer l'ennemi. Semant la panique dans ses
rangs. Je serai un ogre. Je broierai le métal des
batteries, les fils barbelés et les morceaux d'obus
qui éclateront à mes pieds. Je serai un ogre et rien
ne pourra rassasier ma faim. Lorsque je t'aurai mis
en lieu sûr, là-bas, dans ces terres brûlées de
soleil, je reviendrai ici en courant. Prenant un
élan de plusieurs continents. Je plongerai dans la
tourmente, embrassant la boue des tranchées,
laissant glisser sur mon visage la pluie et siffler
le vent dans mes oreilles, et je planterai mes dents
dans l'ennemi. Je reviendrai. Et j'achèverai la
guerre d'un coup de poing plongé au plus profond de
la terre. JULES Je cours maintenant. Je sais où je vais. J'ai compris ce que voulait le gazé. Je voudrais lui dire qu'il peut se rassurer. J'ai enfin compris ce qu'ils veulent, tous ceux qui me parlent à voix basse. Je vais me mettre à l'oeuvre. Arrivé à l'entrée du village, je me suis arrêté. Je ne ferai pas deux fois la même erreur. Je n'entrerai pas. Je ne dirai pas un mot. Je veux juste leur laisser une trace de mon passage. Qu'ils sachent à leur tour qui est le gazé. Je me suis agenouillé par terre et j'ai commencé mon travail. Je ne ménage pas ma peine. La nuit tombe doucement. Personne ne viendra me déranger. Je travaille sans relâche. Prenant à pleines mains la terre. Je dois avoir fini avant que le jour se lève. J'ai toute la nuit pour moi. Toute la nuit pour lui donner corps. Je ne sens pas le froid. J'ai fait un gros tas de terre. D'un mètre, presque. Je le modèle maintenant. La terre me glisse entre les doigts. Je la lisse. Je l'enfonce. Je lui donne le visage du gazé. Mes mains ne s'arrêtent pas de glisser d'un bout à l'autre de ce grand corps de boue informe. Je ne pousserai plus aucun cri. Les hommes du village sont sourds et je n'ai pas la force qu'il faudrait. Mais lorsqu'ils se réveilleront demain, ils verront, là, à la sortie du village, sur le bord de la route, mon golem de terre qui les regarde sans parler. Je le finis maintenant. C'est un tronc qui sort de terre. S'appuyant de toute la force de ses bras sans que l'on sache si c'est pour s'extraire de la boue ou pour ne pas y être absorbé. Il a la tête dressée vers le ciel. Bouche grande ouverte pour laisser sortir son cri de noyé. Calme-toi, le gazé, je te fais une stèle à ta taille. Pour que tu ne sois pas oublié. Tu peux te taire maintenant et mourir car, par cette statue embourbée dans la terre, tu cries à jamais. J'ai travaillé toute la nuit. Lorsque le soleil s'est levé, la statue a commencé à se réchauffer lentement. Je l'ai regardée un peu sécher. Je l'ai vue durcir et changer de couleur. Mais je ne me suis pas attardé. Je ne voulais pas risquer que l'on me voie. Je la laisse derrière moi, témoin de mon passage. Témoin du grand incendie des tranchées. Je n'entends plus le gazé. Sa voix s'est tue en mon esprit. Comme s'il avait accepté de glisser en terre et de ne plus respirer. Mais j'en entends d'autres. Oui. Une autre voix a pris la place de la sienne. Je l'écoute. Je la laisse parler. Il me faut chercher un autre village. Pour y planter une autre statue. Je ne rentre pas à Paris. Je couvrirai le pays de mes pas. Tous les
carrefours. Toutes les places. Le long des routes. A
l'entrée des villages. Partout. Je ferai naître des
statues immobiles. Elles montreront leurs
silhouettes décharnées. Le dos voûté. Les mains
nouées. Ouvrant de grands yeux sur le monde qu'elles
quittent. Pleurant de toute leur bouche leurs années
de vie et leurs souvenir passés. Je ne parlerai
plus. La pluie de pierres m'a fait taire à jamais.
Mais un à un, je vais modeler cette longue colonne
d'ombres. Je les disperse dans les campagnes. C'est
mon armée. L'armée qui revient du front et demande
où est la vie passée. Je ne parlerai plus. Je vais
travailler. J'ai des routes entière à peupler. A
chaque statue que je finis, la voix qui me hante se
tait. Ils savent maintenant que je suis les mains de
la terre et qu'ils ne mourront pas sans que je leur
donne un visage. Ils savent maintenant qu'ils n'ont
pas de cri pour être entendus. Une à une les voix
s'apaisent. Mais il en revient toujours. C'est une
vague immense que rien ne peut endiguer. Je leur
ferai à tous une stèle vagabonde. Je donne vie, un
par un, à un peuple pétrifié. J'offre aux regards
ces visages de cratère et ces corps tailladés. Les
hommes découvrent au coin des rues ces grands amas
venus d'une terre où l'on meurt. Ils déposent à leur
pied des couronnes de fleurs ou des larmes de pitié.
Et mes frères de tranchées savent qu'il est ici des
statues qui fixent le monde de toute leur douleur.
Bouche bée."
Laurent
Gaudé - Cris
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