Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°511 (2016-11)
mardi 15 mars 2016
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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Canard
colvert, Fuligule milouin, Foulque macroule,
Pour finir, voici d'autres images prises à proximité de La Rivière-Drugeon et Bouverans... Pour regarder et écouter, ou cliquez [ici] Pour en savoir plus sur la réalisation de ce film sur les "Tourbières de la montagne jurassienne", cliquez [ici]
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"De Juliet à Sidney
28 janvier 1946
Cher Sidney, Dînons, oui, avec plaisir. Je porterai ma nouvelle robe et je me goinfrerai comme un porc. Je suis si contente de n'avoir causé aucun tort à S&S avec cette histoire de théière, j'étais préoccupée à ce sujet. Susan m'a suggéré de faire une « déclaration pleine de dignité » à la presse, pour leur parler de Rob Dartry et leur donner la raison pour laquelle le mariage a été annulé. Je ne m'y suis pas résolue. En toute honnêteté, je ne craindrais pas de passer pour une folle, si je ne risquais de faire passer Rob pour plus fou encore. Ce qui ne manquerait pas de se produire. Or il n'avait rien d'un fou. C'est juste l'impression qu'il donnerait. Je préfère de loin me taire et passer pour une garce irresponsable et volage. Toutefois, j'aimerais que toi, tu connaisses la vérité. Je voulais t'en parler plus tôt, mais tu étais dans la marine en 1942, et tu n'as jamais rencontré Rob. Pas plus que Sophie, d'ailleurs, qui était montée à Bedford cet automne-là. Je lui ai fait jurer le secret à son retour. Je pensais que, plus je repousserais le moment de t'en parler, moins cela revêtirait d'importance à tes yeux de savoir ; surtout quand on considère l'éclairage que cela jette sur ma personne – c'était stupide et peu dingue de m'être fiancée ainsi. Je croyais être amoureuse (c'est le plus pathétique dans l'histoire). Prête à partager ma demeure avec un époux, je lui ai fait de la place dans l'appartement afin qu'il n'ait pas le sentiment d'être une tante en visite. J'ai vidé la moitié des tiroirs de ma commode, la moitié de mon placard, la moitié de mon armoire à pharmacie et la moitié de mon bureau. J'ai donné mes cintres rembourrés et j'ai acheté un lot de ces lourds cintres en bois. J'ai retiré ma poupée de chiffon du lit et je l'ai rangée au grenier. Et voilà, j'avais un appartement pour deux personnes au lieu d'une. L'après-midi précédant le mariage, Rob devait déposer ses dernières affaires pendant que je rendais un article signé Izzy au Spectator. L'article déposé, je me suis ruée àla maison, j'ai monté l'escalier en courant, j'ai ouvert la porte à la volée, et j'ai découvert Rob assis sur un tabouret bas, devant ma bibliothèque, entouré de cartons. Il scellait le dernier avec du ruban adhésif et de la corde. Il y avait huit cartons au total. Huit cartons entiers de mes livres, attachés, prêts à être descendus à la cave ! Il a levé la tête et il s'est exclamé : « Bonjour, ma chérie. Ne t'inquiète pas pour le désordre, le portier a dit qu'il m'aiderait à tout descendre. » Il a désigné ma bibliothèque du menton et il a lancé : « Magnifique, n'est-ce-pas ? » J'avais le souffle coupé ! J'étais trop horrifié pour parler. Toutes les étagères, Sidney, toutes mes étagères de livres étaient couvertes de trophées de sport : coupes d'argent, coupes d'or, rosettes bleues, rubans rouges. Des récompenses pour tous les sports qui se jouent avec un instrument en bois : batte de cricket, raquettes de squash, raquettes de tennis, rames, clubs de golf, raquettes de ping-pong, arcs et flèches, queues de billard, crosses de Lacrosse, crosses de hoquet et maillets de polo. Il y avait des statuettes illustrant tout ce qu'un homme peut sauter, seul ou à cheval. Et, à côté, des certificats encadrés – a tué le plus grand nombre d'oiseaux tel et tel jour, vainqueur de diverses courses à pied, dernier homme à être resté debout dans un infâme corps à corps contre l'Ecosse. Je n'ai pas pu m'empêcher de crier : « Comment oses-tu ? Qu'as-tu FAIT ?! Remets mes livres à leur place ! » Et c'est ce qui a tout déclenché. J'ai fini par prononcer des paroles suggèrant que je ne pourrais jamais épouser un homme dont l'idée de la félicité se résumait à frapper des petites balles et à tirer sur des petits oiseaux. Rob a riposté par une remarque acerbe sur les bas-bleus et les mégères, et les choses ont dégénéré. Notre seul point d'accord était sans doute : De quoi diable avons-nous pu parler durant les quatre derniers mois ? De quoi, en effet ? Il a soupiré, soufflé, reniflé et il est parti. J'ai remis mes livres à leur place. Tu te souviens de cette nuit, l'année dernière, où tu es venu me chercher au train pour m'annoncer que ma maison avait été bombardée ? Tu croyais mon fou rire hystérique ? Eh bien non, il était ironique. Si j'avais laissé Rob entreposer mes livres dans la cave, je les aurais encore, jusqu'au dernier..."
Mary Ann
Shaffer & Annie Barrows - Le cercle
littéraire des amateurs d'épluchures de patates
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