Un
petit texte :
LES PERLES DE GENEVRIER
"
On disait qu’elles étaient musiciennes. Souvent, de la
baume profonde, on entendait en effet sourdre une étrange mélopée.
En cette envoûtante musique, elle mêlaient, semble-t-il,
leurs voix de cristal et celles, inconnues, d’instruments mystérieux.
On appelait, on appelle encore toujours leur repère, la Baume
aux Fées, la grotte des fées, même si justement,
depuis cette histoire, elles semblent avoir déserté et
la baume et le pays même.
Ce jeune homme, beau comme un jour d’été, était
forgeron à Vallorbe*. Souvent, presque toujours
maintenant, ses pas le menaient vers la Baume aux Fées, frayant
son chemin à travers les saules et les genévriers, il
venait s’asseoir là, et écoutait sortir de la baume
l’étrange mélopée.
Puis un jour, alors que le chant même était à son
plein, il osa pénétrer dans la grotte. S’avançant
toujours dans couloir profond, se guidant à la voix de cristal,
il parvint jusqu’à une superbe salle. Le vent semblait
jouer sa douce musique dans d’immenses et subtiles draperies de
pierre, accompagnant le chant si pur de la demoiselle assise là
sur un fauteuil de pierre, sa longue robe blanche courant jusqu’au
sol.
La demoiselle, interdite, brisa son chant et contempla l’intrus.
La belle était si belle, le jeune forgeron si hardi qu’ils
tombèrent aussitôt les yeux dans les yeux. Longtemps, ils
parlèrent ainsi sous les voûtes de la grande salle puis
ils devinrent amants. La belle, qui était fée, lui dressa
les conditions de son séjour avec elle et ses compagnes au cœur
de la Baume aux Fées.
- Voici deux petits sacs de cuir. Chaque jour que Dieu fait, je glisserai
dans l’un une perle de la mer et dans l’autre un beau louis
d’or fin. Mais attention, de tout ton séjour jamais tu
ne devras me suivre en d’autres chambres de la Baume qu’en
cette salle où nous nous sommes aimés et où je
te rejoindrai quand bon me semblera. Jamais tu ne chercheras à
voir ce qui doit rester caché.
Il va sans dire que le jeune forgeron promit tout ce que lui demandait
la belle. Quinze jours passèrent. Ils s’aimaient. Et chaque
jour que Dieu fait une nouvelle perle de la mer, un nouveau louis d’or
fin venaient gonfler les deux petits sacs du forgeron.
Le seizième jour, la belle se retira après midi pour s’en
aller dormir. N’y tenant plus d’impatience et de curiosité,
le jeune homme la suivit sans se faire voir dans des couloirs de pierre
jusqu’à une petite chambre où la fée entra.
N’entendant plus bientôt au travers de la porte que le souffle
paisible de la belle endormie, il ouvrit en grand silence et se glissa
dans la chambre. La belle était étendue, belle plus qu’on
eût su dire, sur son lit de repos. Mais sa robe blanche avait
légèrement glissé sur le côté et le
beau forgeron aperçut qu’elle avait en guise de pieds…
des pattes d’oie délicatement palmées. Lors, un
petit chien qui veillait sous le lit se mit à japper et à
réveiller la belle.
- Va t’en, va-t’en fourbe, fuis cette baume, malheureux
parjure ! Mais attention, surtout jamais ne révèle rien
de ton séjour avec moi.
Le forgeron s’enfuit piteusement, non sans avoir pris ses deux
petits sacs lourds de perles et de louis. Il sortit de la Baume aux
Fées sans se retourner et dévalant la pente, se griffant
aux saules et aux genévriers, il revint à Vallorbe et
ralluma son feu de forge.
Ses amis ses compagnons s’enquêtaient à la forge
de sa disparition, le pressaient de question. Tant et tant qu’à
la fin, double parjure, il conta par le menu son séjour avec
la belle à la Baume aux Fées. Et pour convaincre ses compagnons,
il sortit ses deux petits sacs de cuir, les ouvrit… Le premier
contenait un poignée de grains de genévrier, le second
quelques vieilles feuilles de saule toutes jaunies de l’hiver."
Louis
ESPINASSOUS – Contes et Légendes de l’Arbre
*
Vallorbe, ville du Jura Vaudois est située en
Suisse au pied du Mont d'Or (à quelques kilomètres de
la frontière). C'est la "cité du Fer".
Ce dernier est travaillé depuis des siècles dans la région,
car on possédait le minerai (on trouve encore des cavités
où l'on extrayait le minerai de Fer), l’eau pour actionner
les forges (l'Orbe) et le bois (de la Forêt du Risoux) pour alimenter
le feu.