Le Trochiscanthe nodiflore [TN]

n°509 (2016-09)

mardi 1er mars 2016

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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GA Rossini - Le Barbier de Séville
"Air de Figaro"

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Tecumseh,
Renard et Figaro, Chamois mâle
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 6 février 2016



Tecumseh, Renard
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 6 février 2016




Figaro
, Chamois mâle

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 6 février 2016

Lichen, à la manière des Rennes...
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 6 février 2016


Pelage d'hiver
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 6 février 2016


Ronces
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 6 février 2016

La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 6 février 2016



Suggestion de lecture :

"Le téléphone a sonné un après-midi du mois d'août, alors que ma soeur Gracie et moi étions sur la véranda en train d'éplucher le maïs doux dans les grands seaux en fer-blanc. Les seaux étaient criblés de petites marques de crocs qui dataient du printemps dernier, quand Merveilleux, notre chien de ranch, avait fait une dépression et s'était mis à manger du métal.

Peut-être devrais-je m'exprimer de manière un peu plus claire. Quand je dis que Gracie et moi épluchions le maïs doux, ce que je veux dire, en fait, c'est que Gracie épluchait le maïs doux tandis que moi, de mon côté, je schématisais dans l'un de mes petits carnets bleus les différentes étapes de cet épluchage.

J'avais des carnets de trois couleurs. Les BLEUS, soigneusement alignés contre le mur sud de ma chambre, étaient réservés aux « Schémas de gens en train de faire des choses », à la différence des VERTS, sur le mur est, qui contenaient des croquis zoologiques, géologiques et topographiques, et des ROUGES, sur le mur ouest, que je remplissais de dessins d'insectes pour le cas où ma mère, le Dr Clair Linneaker Spivet, aurait eu besoin de mes services.

Un jour, pris d'une frénésie de rangement, j'avais ajouté une bibliothèque contre le mur nord, mais j'avais oublié que c'était là que se trouvait l'entrée de ma chambre, et quand le Dr Clair avait voulu ouvrir la porte pour me prévenir qu'on passait à table, tout m'était tombé sur la tête.

J'étais resté un moment par terre, sur mon tapis Lewis et Clark, recouvert de carnets et de débris de bibliothèque. « Est-ce que je suis mort ? » avais-je demandé, tout en sachant que ma mère ne me le dirait pas, même si je l'étais.

« Ne te laisse jamais submerger par ton travail », avait répondu le Dr Clair de derrière la porte.

Notre ranch était situé à quelques kilomètres au nord de Divide, une toute petite ville du Montana que l’on pouvait très bien manquer, sur l’autoroute, rien qu’en réglant sa radio au mauvais moment.

Divide était nichée au milieu des Pioneer Mountains, dans une vallée parsemée de buissons de sauge et de cabanes à moitié brûlées, souvenirs d’une époque où la région était un peu plus peuplée. Du nord arrivait le chemin de fer, de l’ouest la Big Hole River, et, s’étant rejoints au bout de la ville, tous deux partaient vers le sud à la recherche de plus vertes prairies. Chacun, cependant, traversait le pays à sa façon et possédait sa propre odeur. Le chemin de fer fonçait tout droit, sans se préoccuper du sol rocheux qu’il sillonnait ; ses rails de fer forgé sentaient la graisse à essieux et ses traverses en bois la vieille gommelaque parfumée à la réglisse. La rivière, au contraire, s’attardait, recueillait des ruisseaux sur son passage et serpentait tranquillement, bavarde, en se laissant couler sur le chemin qui lui offrait le moins de résistance.

La Big Hole sentait la mousse, la boue et la sauge, et parfois les myrtilles, quand c’était la bonne saison, même si cela faisait des années qu’il n’y avait plus de bonne saison. Le train ne s’arrêtait pas à Divide, et seuls des convois de marchandises de l’Union Pacific sillonnaient la vallée dans un grondement saccadé à 6 h 44, 11 h 53 et 17 h 15, avec quelques minutes d’avance ou de retard suivant les conditions météorologiques.

Le grand essor des villes minières du Montana appartenait au passé ; les trains n’avaient plus de raison de s’arrêter. Autrefois, Divide possédait un saloon. « Le Blue Moon Saloon » : nous nous amusions à prononcer ce nom avec mon frère Layton, quand nous jouions à faire la planche dans notre ruisseau, et nous le disions d’un air hautain, en relevant le nez, comme si l’établissement n’était fréquenté que par le grand monde. En vrai, je crois que nous nous faisions des illusions : on ne croisait déjà plus à Divide que des fermiers obstinés, des fanatiques de la pêche et peut-être, de temps à autre, un terroriste antitechnologie qui restait le plus clair de son temps cloîtré dans une cahute isolée, pas des mirliflores amateurs de jeux distingués.

Layton et moi n’étions jamais allés au Blue Moon Saloon, et nous demander ce qui pouvait se passer à l’intérieur et qui l’on pouvait y rencontrer devint la base de bien des histoires que nous nous racontions en nageant dans le ruisseau. Peu après la mort de Layton, le Blue Moon a brûlé, mais alors, même en flammes, il n’était plus une source d’imaginaire ; c’était un bâtiment comme tant d’autres dans la vallée, un bâtiment qui brûlait, un bâtiment brûlé.

Si on allait se placer sur ce qui était autrefois le quai de la gare, au pied du panneau blanc rouillé sur lequel, en plissant les yeux d’une certaine façon, on pouvait encore lire DIVIDE ; si, depuis cet endroit, on se tournait droit vers le nord, en utilisant pour cela une boussole, le soleil, les étoiles ou son intuition, et que l’on marchât ensuite 7,61 kilomètres vers le nord, en se frayant un chemin au milieu des broussailles qui surplombaient la rivière, puis parmi les sapins qui recouvraient les collines, on entrait en collision avec le portail de notre petit ranch, le Coppertop, situé sur un plateau isolé à 1 628 mètres d’altitude et à deux pas, à l’est, de la ligne de partage des eaux, le grand divide qui avait donné son nom à la ville.

Le divide, ô le divide ! J’avais grandi avec cette immense frontière dans le dos et son existence silencieuse mais infaillible avait pénétré au plus profond de mes os et de mon cerveau. C’était une ligne gigantesque, étalée, dont les contours étaient définis non par la politique, la religion ou les guerres, mais par les lois de la tectonique, du granit, de la gravité. Il est surprenant qu’aucun président des États-Unis n’en ait fait une frontière officielle, alors que son tracé a affecté la conquête de l’Ouest d’innombrables manières. Cette sentinelle déchiquetée décide du cours que prennent les eaux du pays – vers l’est ou l’ouest, l’Atlantique ou le Pacifique – et à l’ouest, en ce temps-là, l’eau était or, et là où elle allait, les hommes la suivaient. Et tandis que les gouttes de pluie que le vent précipitait à quelques miles à l’ouest de notre ranch atterrissaient dans des ruisseaux qui coulaient doucement jusqu’à la Columbia River pour se jeter dans le Pacifique, l’eau de Feely Creek, notre ruisseau, avait pour tâche bénie de parcourir mille miles de plus, jusqu’aux bayous de Louisiane, avant de se déverser, à travers un delta fangeux, dans le golfe du Mexique.

Souvent, avec Layton, nous escaladions Bald Man’s Gap, qui se situe exactement au milieu du divide, lui avec un verre d’eau à la main qu’il faisait de son mieux pour ne pas renverser, moi avec un appareil à sténopé fabriqué avec une boîte à chaussures.

Une fois en haut de la colline, je le photographiais qui courait et versait de l’eau de chaque côté en criant alternativement « Salut Portland ! » et « Salut La Nouvelle-Owléains ! » avec son meilleur accent créole. Mais j’avais beau tourner les boutons sur le côté de mon appareil et essayer tous les réglages possibles, mes photos ne parvenaient jamais à rendre l’héroïsme de Layton à ce moment-là.

Un soir, au dîner, alors que nous rentrions de l’une de nos expéditions, Layton avait dit : « On peut apprendre beaucoup d’une rivière, pas vrai, p’pa ? » Et même si Père n’avait rien répondu, j’avais bien vu, à la façon dont il avait terminé sa purée, que c’était le genre de pensées qu’il appréciait chez son fils. Mon père aimait Layton plus que tout au monde.

Dehors, sur la véranda, Gracie épluchait et je dessinais. Nos champs crépitaient du crincrin des criquets, et août s’épanchait dans l’air, ardent, lourd et remarquable. Le Montana resplendissait sous le soleil d’été. À peine une semaine plus tôt, j’avais regardé l’aube se couler lentement, dans le silence, sur l’échine douce, couverte de sapins des Pioneers.

J’avais passé la nuit à préparer un folioscope qui superposait un croquis du corps humain datant de la dynastie Chin et un triptyque des conceptions navajo, shoshone et cheyenne du fonctionnement de l’organisme.

Au point du jour, j’étais sorti sur la véranda, pieds nus et en extase. Malgré le manque de sommeil, j’étais ému par la magie intime de l’instant, si ému que j’avais serré mon petit doigt derrière mon dos jusqu’à ce que le soleil émerge de derrière les Pioneers et jette sur moi l’éclat de son visage insaisissable. Sidéré, je m’étais assis sur les marches en bois, et cette vieille rusée de véranda en avait profité pour engager la conversation :

- Il n’y a que nous ici, mon pote – chante avec moi une chanson douce.

- J’ai du travail, avais-je répondu.

- Quel travail ?

- Je ne sais pas… il y a fort à faire sur le ranch.

- Tu n’as rien d’un rancher.

- Ah, tu crois ça ?

- Tu ne siffles pas d’airs de cow-boy et tu ne craches pas dans des boîtes de conserve.

- Je ne suis pas très doué pour cracher. Je fais des cartes.

- Des cartes ? Pff, des cartes de quoi ? Crache plutôt dans des boîtes de conserve. Galope dans les collines. Lâche un peu les rênes.

- Des cartes de plein de choses. Je n’ai pas le temps de lâcher les rênes. Je ne suis même pas sûr de savoir ce que ça veut dire.

- Tu n’es pas un rancher. Tu es stupide.

- Je ne suis pas stupide… Tu me trouves stupide ?

- Je te trouve seul.

- Ah bon ?

- Où est-il ?

- Je ne sais pas.

- Tu le sais très bien.

- Oui.

- Alors, assieds-toi, et siffle une complainte de cowboy solitaire.

- Je ne peux pas , je n’ai pas fini mes cartes. J’ai encore des choses à dessiner.

Tandis que Gracie et moi épluchions le maïs, le Dr Clair est sortie sur la véranda. Nous avons tous deux levé les yeux en entendant les vieilles planches craquer sous ses pas. Serrée entre le pouce et l’index, elle tenait une épingle au bout de laquelle luisait un scarabée bleu-vert, au vif éclat de métal, que j’ai identifié comme une Cicindela purpurea lauta, rare sous-espèce de cicindèle originaire de l’Oregon.

Ma mère était une grande femme osseuse, au teint si pâle que les gens ne pouvaient s’empêcher de la dévisager quand nous marchions dans les rues de Butte. Un jour, j’entendis une vieille dame en chapeau de paille fleuri chuchoter à sa compagne : « Elle a des poignets si fragiles ! » Et c’était vrai : si ce n’avait pas été ma mère, je l’aurais trouvée bizarre.

Le Dr Clair remontait ses longs cheveux bruns en un chignon qu’elle fi xait à l’aide de deux baguettes blanchâtres semblables à des os polis. Elle ne les relâchait que le soir, dans sa chambre, et, même alors, seulement derrière une porte close. Quand nous étions petits, avec Gracie, nous nous relayions pour regarder par le trou de la serrure la scène de toilette secrète qui se déroulait de l’autre côté. Le trou était trop petit pour que nous puissions tout voir, nous ne distinguions que son coude qui allait et venait, encore et encore, comme si elle travaillait devant un vieux métier à tisser, et parfois, en nous déplaçant un tout petit peu, nous avions la chance d’apercevoir une partie de sa chevelure, et la brosse qui passait et repassait avec un bruissement doux. Le trou de la serrure, les images volées, le bruissement : c’était l’une de nos bêtises les plus délicieusement troublantes.

Layton, comme Père, n’avait pas le moindre intérêt pour tout ce qui se rapportait à la beauté ou à l’hygiène et ne participait donc jamais à ce plaisir. Sa place était auprès de Père, dans les prés, à mener le bétail et à débourrer les chevaux.

Le Dr Clair portait beaucoup de bijoux verts qui tintaient doucement – des boucles d’oreilles en péridot, de fins bracelets d’émeraudes scintillantes –, même la chaîne de ses jumelles, qu’elle ne quittait jamais, était faite de malachites vertes trouvées lors d’une expédition de recherche en Inde. Parfois, avec ses baguettes blanches dans les cheveux et toutes ses pendeloques couleur émeraude, elle me faisait penser à un bouleau au printemps, sur le point de fleurir.

Le Dr Clair n’a rien dit pendant quelques instants ; elle se contentait de nous regarder, Gracie avec son gros seau en fer-blanc rempli d’épis jaunes entre les jambes et moi, assis sur les marches, avec mon carnet et ma loupe frontale. Nous attendions qu’elle parle.

Alors elle a dit : « T. S., téléphone.

Téléphone ? s’est exclamé Gracie. Pour lui ?

Oui, Gracie, téléphone pour T. S., a dit le Dr Clair, non sans une certaine satisfaction.

Qui c’est ? ai-je demandé.

Je ne sais pas, a répondu ma mère sans cesser d’examiner sa cicindèle, qu’elle tournait et retournait à la lumière, au bout de son épingle. Je n’ai pas demandé. »

Le Dr Clair était le genre de mère à vouloir vous apprendre le tableau de Mendeleïev à treize mois en vous faisant manger votre bouillie, mais pas à s’inquiéter, en cette ère de terrorisme mondial et d’enlèvements d’enfants, de savoir qui vous téléphonait. Ma curiosité était tout de même modérée par le fait que j’étais en plein travail, et qu’un croquis inachevé me laissait toujours un chatouillement désagréable au fond de la gorge.

Sur mon schéma, « Gracie épluchant le maïs doux, n° 6 », j’avais tracé un petit « 1 » à côté du dessin de l’épi, pour indiquer l’endroit qu’elle saisissait en premier : le haut de l’enveloppe. Puis elle donnait trois coups vers le bas, crac, crac, crac, mouvements que j’avais représentés par trois flèches, dont l’une était tout de même plus petite que les autres car le premier coup rencontrait toujours un peu plus de résistance : il fallait d’abord vaincre l’inertie de l’enveloppe. J’adore le son du maïs qu’on épluche. Cette violence, ce craquement explosif des soies qui se rompent m’évoquent le bruit que ferait un pantalon très cher, sans doute italien, en se déchirant sous les poings serrés d’une personne en proie à une crise de rage qu’elle regrettera sûrement plus tard. Du moins, c’était ainsi que Gracie arrachait les enveloppes, ou arroppait les envelaches, comme je le disais parfois avec une certaine malice, car ma mère n’aimait pas que je déforme les mots de cette manière. On ne pouvait pas vraiment lui en vouloir : elle était coléoptériste et avait passé la majeure partie de sa vie d’adulte à étudier à la loupe de minuscules créatures, puis à les classer avec précision en familles et en superfamilles, en espèces et en sous-espèces, en fonction de leurs caractéristiques physiques et évolutives. Elle avait même accroché une gravure du Suédois Carolus Linnæus, inventeur du système de classification taxonomique moderne, au-dessus de notre cheminée, au plus grand dégoût, muet mais persistant, de mon père. Ce n’était pas étonnant qu’elle s’agace de m’entendre dire une « autre aile » pour une « sauterelle » et un « archichaud » pour un « artichaut », parce que son travail, c’était d’observer des détails infi mes, invisibles à l’oeil nu, puis de s’assurer que, par exemple, la présence d’un poil au bout d’une mandibule ou d’une petite tache blanche au bas des élytres signifiait que tel coléoptère était une C. Purpurea purpurea et non une C. purpurea lauta. Personnellement, je trouvais que ma mère aurait dû s’inquiéter un peu moins de mes jeux de mots, sorte d’aérobic mental à laquelle il était sain de s’adonner quand on avait douze ans, et se soucier plutôt de la légère folie qui s’emparait de ma soeur chaque fois qu’elle arroppait les envelaches, car elle contrastait avec le calme de la Gracie de tous les jours, adulte pragmatique enfermée dans le corps d’une adolescente de seize ans, et constituait, à mon avis, le signe d’une colère profonde et ignorée. En fait, je crois que même si Gracie n’avait que quatre ans de plus que moi, elle m’était infiniment supérieure en termes de maturité, de bon sens, de connaissance des usages sociaux et de compréhension de la pose théâtrale. Peut-être que l’air un peu fou qu’elle affichait quand elle épluchait le maïs n’était rien de plus que cela, une pose, une façon de nous rappeler qu’elle était avant tout une actrice incomprise profi tant de l’une des nombreuses corvées qu’on lui infl igeait sur ce ranch du Montana pour peaufiner son jeu de scène. Peut-être, oui – mais j’avais tendance à croire que, sous son air irréprochable, elle était tout de même un peu givrée.

Oh, Gracie. Le Dr Clair l’avait trouvée époustouflante dans la représentation des Pirates de Penzance par la troupe de son lycée, pièce dans laquelle elle tenait le premier rôle, mais que je n’avais pas pu voir parce que je devais terminer, ce soir-là, un croquis pour Science illustrant la manière dont la femelle du bousier australien Ontophagus sagittarius se sert de ses cornes pendant la copulation. Je n’avais pas parlé de ce travail au Dr Clair. J’avais simplement raconté que j’avais mal au ventre, puis j’avais fait manger de la sauge à Merveilleux, et quand il avait vomi partout sur la véranda j’avais fait comme si c’était mon vomi, comme si c’était moi qui avais mangé toute cette sauge, ces os de souris et cette pâtée pour chien. Gracie avait sans doute été formidable dans le rôle de la fiancée du pirate. C’était une femme formidable en général, et probablement celle qui, de nous quatre, avait le plus les pieds sur terre, car, quand on y pense, le Dr Clair était tout de même une entomologiste saugrenue, qui cherchait depuis vingt ans une espèce fantôme de coléoptère - la cicindèle vampire, Cicindela nosferatie – dont elle-même doutait qu’elle existât vraiment ; quant à mon père, Tecumseh Elijah Spivet, dresseur silencieux et maussade de jeunes mustangs fougueux, c’était le genre d’homme à entrer dans une pièce et à marmonner quelque chose comme : « On peut pas couillonner une sauterelle » puis à partir sans autre explication, un cow-boy dans l’âme, visiblement né cent ans trop tard...

[...]

Le père de Reginald (c’est-à-dire mon arrière-arrière-grand-père) était né tout près d’Helsinki et se nommait en réalité Tehro Sievä, ce qui signifie, en finlandais, quelque chose comme M. Beau Gland. Peut-être fut-ce donc un soulagement pour lui quand l’agent de l’immigration à Ellis Island déforma son nom, le renommant « Tearho Spivet » et créant ainsi, par le truchement d’une erreur de plume, un nouveau patronyme. Tearho partit vers l’ouest pour travailler dans les mines de Butte et, sur son chemin, s’arrêta dans un saloon délabré de l’Ohio assez longtemps pour entendre un ivrogne, qui se prétendait à moitié navajo, conter une histoire à la gloire de Tecumseh, le grand guerrier shawnee. C’était au moment du récit où Tecumseh livre un ultime combat à l’Homme Blanc, lors de la bataille de la rivière Thames, que mon arrière-arrière-grand-père s’était mis à pleurer doucement. Après avoir abattu le grand chef de deux balles dans la poitrine, les hommes du général Proctor l’avaient scalpé et mutilé jusqu’à le rendre méconnaissable, puis jeté dans une fosse commune. En sortant du saloon, Tearho avait décidé de prendre le nom de Tecumseh, un nouveau nom pour son nouveau pays. Du moins, c’est ce qu’on m’a dit ; on ne sait jamais avec ces légendes familiales..."

Reif Larsen - L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet

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