Le Trochiscanthe nodiflore
[TN]
n°503 (2016-03)
mardi 19 janvier 2016
"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres
Sauvages"
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mardi 17
mars 2015 |
"Je lis seulement des livres d’occasion. Je les pose contre la corbeille à pain, je tourne une page d’un doigt et elle reste immobile. Comme ça, je mâche et je lis. Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu’elles restent à plat. Les livres d’occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.Ainsi, à midi, au bistrot, je m'assieds sur la même chaise, je demande de la soupe et du vin et je lis. Ce sont des romans de mer, des aventures de montagne, pas des histoire de ville, je les ai déjà autour de moi. Je lève les yeux, attiré par le reflet du soleil sur la vitre de la porte d'entrée par laquelle ils entrent tous les deux, elle dans un air de vent, lui dans un air de cendre. Je reviens à mon livre de mer : il y a un peu de tempête, force huit, le jeune homme mange avec appétit tandis que les autres vomissent. Puis il sort sur le pont, se tenant solidement sur ses pieds parce qu'il est jeune, seul, tout à la joie de la tempête. Je détourne les yeux pour couper de l'ail cru sur ma soupe. J'avale une petite gorgée d'un vin rouge âpre, qui sent le fût. Je tourne des pages dociles, des bouchées lentes, puis je lève la tête du blanc du papier et de la nappe, je suis la ligne du carrelage qui fait le tour de la pièce et qui passe derrière deux pupilles noires de femme, mises sur cette ligne comme deux « mi » fendus de la ligne basse d'une portée musicale. Elles sont pointées sur moi. Je lève mon verre au même niveau et je le laisse en l'air avant de boire. Cet alignement force mes pommettes à ébaucher un sourire. La géométrie des choses environnantes fait naître des coïncidences, des rencontres. La femme, de face, me sourit. L'homme, de dos, intercepte le toast, tord le buste, tend d'abord le coude, le patron qui m'apporte un plat l'esquive d'un coup de rein. Avant que l'autre énergique termine son demi-tour, je salue la dame d'un raclement de gorge, comme si je la connaissais. Elle me répond de la même manière tandis que l'homme me dévisage. Pendant ce temps je bois, je remets le nez dans mon assiette, je lis et j'avale. Le bistrot se vide des ouvriers, moi je reste encore, je n'ai pas d'heure pour reprendre mon travail. Aujourd'hui je dois finir de tailler et de ramasser les branches. Demain, je les brûlerai.La femme se lève, s'avance et s'approche de ma table, rapide et directe. Je plisse les yeux pour regarder carrément dans son nez, là où ses narines soufflent un peu d'air sur ses mots : « J'ai changé de numéro, appelle-moi à celui-ci. » Et elle laisse sur la nappe un nom et des chiffres. Je mets la main dessus. Elle est assez propre, je ne m'étrille pas pour la pause de midi.Je la regarde debout devant moi, je me lève et, pour ne pas être en reste, j'improvise à mon tour en disant : « ça me fait plaisir de te voir. » Elle pose ses mains sur la mienne, « Bien le bonjour chez toi. - Je n'y manquerai pas merci », l'autre est à la porte, elle se retourne et je me rassieds. Qu'est-ce qui me prend – je n'y manquerai pas merci – empaillé que je suis : à qui le dire ? Je n'ai personne. Que demande une femme magnifique à un jardinier de cinquante ans assis au fond d'un bistrot ? Jamais vu auparavant, elle est jeune et moi je reviens de vingt ans d'Amérique du Sud. Je suis ici par hasard pour travailler dans le jardin d'une villa en haut de la côte et je descends ici à midi pour être au milieu d'autres et me reposer, et elle, elle passe par là pour la première fois. Je me ressaisis aussitôt, le patron apporte un quart de vin pour le boire avec moi. « Tu es un honnête homme, lui dis-je, tu as du bon vin et un ouvrier peut être sûr que l'estomac ne lui brûle pas le reste de la journée.
J'approuve d'un signe de tête. « Et toi ? Demande-t-il, j'aime un homme qui lit.
Il me regarde en face, ce qui est une bonne manière d'interroger. « Je vis seul, je reviens de nombreuses années passées en Amérique du Sud et maintenant je suis de nouveau là. Je connais peu de gens. J'habite dans la vieille ville. » Pour montrer qu'il n'y a rien à ajouter, je lève mon verre. « Merci et à ta vie ! » Il me sert depuis un mois, tôt ou tard il lui faut bien quelque renseignement. Il a l'air de s'en contenter, il sourit, touche mon verre avec le sien et nous buvons.Il est de mon âge et il est mieux conservé. La première fois que j'entre chez lui, je demande à goûter le vin. Il me donne un verre et ajoute une assiette avec des olives noires. « Si vous ne l'aimez pas, vous ne le payez pas », dit-il.Je m'en rince la bouche, je le fais glisser dans ma gorge : il est honnête et nous nous accordons.Je viens tous les jours et il me donne ce qu'il y a, un seul plat et son vin. « J'ai de la sauge en pot qui sent bon la noix fraîche, demain j'en apporte, dis-je.
Oui, je me lève à cinq heure, mais volontiers. L'air de la mer fait parvenir ici un peu de son odeur.La maison craque à cette heure-là, pierre, bois, baîllements. Puis elle se tait au parfum du café. Une cafetière sur le feu suffit à remplir une pièce.Je m'aperçois que le billet est resté dans ma main, je le mets dans la page du livre. Le patron se lève, pour moi il est temps d'y aller... [...] Ainsi toute la journée je suis dans un jardin où je m'occupe d'arbres et de fleurs, où je reste silencieux de bien des façons, pris par quelque pensée de passage, une chanson, la pause d'un nuage qui enlève au dos soleil et poids. Je m'en vais dans le champ avec un jeune pommier à planter. Je le pose par terre, je le tourne, je regarde ses branches à peine ébauchées prendre leur place dans l'espace qui les entoure. Un arbre a besoin
de deux choses : de substance sous terre, et de
beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes
mais poussées par une force d'élégance. La beauté
qui leur est nécessaire c'est du vent, de la
lumière, des grillons, des fourmis et une visée
d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des
branches.
Erri de
Luca - Trois Chevaux
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