Un
petit texte :
« Se soustraire
Je
songe à cette longue parenthèse, ouverte en 1923 et refermée
le 9 janvier 1994 à midi dix, heure et date auxquelles je suis
descendu de chameau pour la dernière fois. Il faut bien se résoudre
à certaines raisons physiologiques ! Le voyage au long cours
saharien, je le ferai désormais en 4x4.
En vieillissant, je voyage beaucoup dans ma mémoire, même
dans mon appartement, situé dans le navire de Paris. Je retrouve
la leçon du désert, son épure, son chant du silence,
dont j’aimerais que soit empreinte la soi-disant civilisation
étouffée par l’anthropomorphisme triomphaliste et
orgueilleux. Ce serait une reconnaissance, la supervie et non la survie.
La préparation d’un homme cosmique, spirituel et authentique,
dépouillé de ses inutilités. Moins d’artifice,
de bruit et de fureur. J’imagine ce flot de gens dans le désert,
ce grand révélateur. Avec lui, l’éternité,
c’est-à-dire l’immensité du temps, se vit
au quotidien. Sa géologie est visible même pour un amateur.
Le squelette de la planète apparaît sans complexité.
L’histoire de la Terre se lit à livre ouvert. La nature
nous apprend la sagesse. C’est un trait marquant de la civilisation
saharienne dont le rythme est lent, constant et puissant. Les Bédouins
ne sont pas pressés. S’ils n’arrivent pas à
destination aujourd’hui, ce sera demain. Les chercheurs, eux,
doivent suivre un programme, atteindre des étapes à des
dates précises, respecter une organisation même dans un
milieu saharien. Le Sahara nous enseigne à ne pas gémir,
à ne pas parler inutilement. Les mots inutiles nous intoxiquent.
Le silence d’ailleurs fait partie de beaucoup de règles
religieuses. Le désert, comme le diocèse, vous ponce l’âme,
vous apprend les geste en symbiose avec le corps, une certaine lenteur
intérieure. Mais à contrario des Bédouins, dans
le désert, je ne maîtrise pas toujours mon impatience,
tant je suis dévoré par la curiosité, la soif de
comprendre, de récolter. Je ne me comporte toutefois pas en aventurier.
J’explore au sens large du mot. Mon but est d’ajouter des
connaissances à celles déjà acquises.
Le Sahara est solennel, c’est un monde à part où
la flore, la faune demeurent en vie par des grâces d’adaptation
étonnantes. Le désert, à priori, c’est globe
sans terre végétale, sans humus et sans trace d’activité
humaine. Il ressemble, pourrait-on dire, à la Terre avant l’homme
ou à son devenir si l’homme décide son suicide universel.
Il nous donne la notion de l’immensité du temps, de l’éternité.
L’être humain ne ressent plus son existence comme un éclair
sur la Terre.
La destiné m’a convoqué dans ce lieu, elle a fait
de moi un méhariste, un homme des sables. Le désert est
un éducateur sévère qui ne laisse passer aucune
faiblesse… »
Théodore
MONOD – Le chercheur d’absolu.