Mardi 23 janvier 2007
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Lac de Saint Point (Haut-Doubs)

Dimanche 24 décembre 2006


Troupe de Fuligules au bout du lac.


Ombellifère (Angélique?) givrée.


Grêbe huppé dans la brume.


Cygne à sa toilette (dans l'eau).

Dimanche 30 décembre 2006


Cygne à sa toilette (sur la glace).


Foulque macroule courant sur l'eau.


Mouette rieuse (juvénile) en vol.


Un petit texte :

« L’oncle m’a dit : « Si vous allez vous balader, prenez le chien noir, il s’appelle Alabar ; ce n’est pas ici qu’il risque de se faire écraser. »
Le neveu m’a dit : « Quelle idée de venir ici en pleine tempête d’hiver, alors que fin mai nous avons trente-cinq variétés d’orchis et d’anémones sauvages et dix-neuf sortes d’abeilles. Et maintenant : rien, rien de rien. On mange à huit heures, ça vous va ? » ça m’allait. Et l’idée de me trouver ici n’était pas de moi.

Rien est mot spécieux qui ne veut rien dire. Rien m’a toujours mis la puce à l’oreille. Ce n’est pas parce que la météo a mis les îles sous narcose qu’elles ont cessé d’exister. La mienne est toujours sur la carte, avec ses huit cents habitants, même s’ils se terrent comme des homards dans leur chaumière pour faire pièce à la neurasthénie qui s’empare de vous après quelques jours de vent continuel.

Empaqueté comme un esquimau, je suis sorti pour voir de quoi ce rien était fait. La nuit montait du sol comme une nappe d’encre, pas une lumière, le noir des murs plus profond encore que le noir des prés. Un vent à décorner les bœufs ; mes poings gelaient au fond des poches. Alabar ne m’a pas suivi longtemps : ce rien ne lui disait rien qui vaille. Il a fait demi-tour et gratté à la porte qui s’est ouverte aussitôt. Je cherchais l’ermitage de ce saint Enda dont les disciples ont fondé Saint-Gall et appris aux rustres que nous étions à se signer, dire les grâces, chanter les neumes, enluminer les manuscrits de majuscules ornées ruisselantes d’entrelacs, de griffons, d’aubépines, de licornes. D’après ma carte, cette tanière serait juste deux cents mètres à l’est sous la maison. Je ne l’ai évidemment pas trouvé ce soir-là – de jour, c’est une taupinière basse, moussue, si rudimentaire qu’à côté d’elle, les bories des bergers de Gordes font penser au palais du facteur Cheval. Mais j’ai vu – mes yeux s’étaient fait à la nuit – une forme pâle, rencognée dans l’angle formé par deux murets. C’était un percheron blanc si énorme et immobile que j’ai d’abord pensé à une gigantesque effigie abandonnée là par quelque Atlantide, ignorée des archéologues, et que les vents d’hiver auraient débarrassée de ses lichens et bernacles pour lui donner ce poli et cette perfection d’opaline. Il s’était trouvé le coin le mieux abrité et, le museau collé au poitrail, il n’en bougeait pas pour avoir moins froid. Sans le frisson qui le parcourait de la queue aux naseaux, j’aurais juré qu’il était en plâtre. Quelle idée de laisser un cheval seul dans ce vent cinglant sans même une jument pour le réchauffer ! Quelle idée aussi d’aller chercher à tâtons l’ermitage d’un saint mort depuis quatorze siècle, en enjambant des murets de pierres sèches qui dégringolent et qu’il me faut remettre en place. J’étais en train de traverser en catimini son parchet quand j’ai entendu un trot lourd et qu’il m’a presque soulevé de terre en me fourrant ses naseaux sous le bras : des paturons de la taille d’une ruche, et cette présence énorme, insistante, ce museau fouillant dans le chaud comme un boutoir, me promenant comme un fétu jusqu’à la route, laissant sur mon paletot de brillantes traces de morve que j’achève à l’instant de nettoyer. Aucun moyen de m’en débarrasser par un signe de croix ou un goupillon druidique. Il m’a reconduit ainsi jusqu’au mur qui borde le chemin, m’y a tassé comme un torchon à coups de tête, puis il est retourné à ses affaires. Et moi aux miennes dont la première était de retrouver mon logis ; en passant d’un lopin à l’autre, je m’étais égaré. La nuit était maintenant si noire que seul le bruit plus clair de mes bottes m’a appris que j’avais regagné la route. A quelques mètres de la maison deux yeux dorés et brûlants qui perçaient l’obscurité à hauteur de ma ceinture m’ont fait tourner la tête : ceux d’un matou, aussi blanc et, pour son engeance, aussi gros que le cheval, qui s’était blotti dans un muret. Son corps épousait exactement les bords de la cavité laissée par un moellon que le vent (que lui ?) avait fait chuter. Il ne laissait dépasser que ses moustaches où une miette de morue était restée prise et ce n’était pas cette nuit-là qu’on l’aurait délogé de son alvéole. Son museau froncé n’exprimait que ressentiment et dépit. Que faisait-il donc dehors dans cette furieuse bourrasque alors que dans les chaumières barricadées derrière leurs volets tirés et une obscurité trompeuse, il y avait – je le sais – un âtre où se tord la tourbe, un coin éclairé où les femmes tirent l’aiguille, et les gamins, la langue sur leurs devoirs écrits avec une plume à bec d’acier qui accroche et grince ? Un étalon : passe encore. Je conçois qu’un cheval, surtout de la taille de celui qui venait de me quitter, pose au coin du feu – et quel que soit son bon vouloir – un problème volumétrique que même un écolier fort en thème aurait du mal à résoudre. Mais un chat ? Flagrant délit de larcin de poisson séché et foutu à la porte ? Il faudra que je m’informe.

Diné et bu avec mes hôtes un peu de l’excellent chianti offert par une équipe de la télévision italienne qu’ils ont hébergée l’été dernier, le temps d’un tournage. Par-dessus le bord de leur verre, ils m’examinent avec circonspection ; je sens que ma présence ici, à cette saison, les tarabuste. L’hiver, on ne voit pas d’étrangers sur les îles, sinon ici et là un maquignon de Galway, une tzigane qui signale et dénoue les mauvais charmes, un petit armateur de la côte qui vient débattre le prix d’une barcasse ou d’un thonier à vendre. Qu’un journaliste, de surcroît photographe, choisisse le pire moment de l’année (je n’ai rien choisi : on m’a envoyé) pour leur rendre visite leur paraît suspect. Ils flairent une magouille là-dessous. L’an dernier, des promoteurs sont venus sur l’île, posant aux touristes, avant d’être démasqués et poliment reconduits au bateau.

L’exemplaire du magazine pour lequel je travaille et que je leur ai montré n’a fait qu’accroître leur perplexité et, peut-être, leur frustration. C’est un numéro sur le Rajasthan où les saris et les façades tarabiscotées aux tons de sorbet, confits dans le crépuscule, rutilent et dévorent littéralement la page. Ici, pas d’autre couleur que le gris horizon du ciel et des murets de pierres et le vert algue des prés ras. Sévère bichromie lavée plutôt qu’animée par la pâle pastille du soleil que les nuées qui courent vers l’est à toute allure éteignent plus souvent qu’elles ne la dévoilent. Pendant une semaine personne ici n’aura une ombre. Sept ans plus tôt, j’avais fait le tour de l’île au mois de mai. Bon. Elle est cent fois plus belle dans l’absolue sauvagerie des tempêtes d’hiver.

Sous la fenêtre de ma chambre, les brebis du voisin grelottent et font vibrer la palissade de l’enclos où elles sont flanc à flanc, qui chante dans le froid comme la rambarde d’un navire. Avec leurs pattes en allumettes et leur toison frisottée elles font penser à un dessin d’enfant viennois décadent : les carcasses malsaines et efflanquées d’Egon Schiele noyées dans les fourrures de Sacher-Masoch.

Le neveu a monté l’escalier en grommelant : « Cent trente-cinq espèces de fleurs et dix-neuf sortes d’abeilles. » En venant ici hors saison, je le prends à la déloyale. S’il sait vanter ses anémones soufrées, il n’a pas encore appris à vendre du vent. Ce qui est superflu : j’aime la tempête, et le Nord, et l’hiver.

Rien ? Pourtant étalon, matou, moutons, ce bestiaire frissonnant dans ce froid polaire et ce rugissement continuel, ce n’est pas rien. C’est plutôt « autre chose »…

Nicolas BOUVIER – Journal d’Aran et d’autres lieux.


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