Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°466 (2015-17)

mardi 28 avril 2015

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement, cliquez [ici]


 
A Vivaldi - Motet : Nulla in mundo pax sincera RV 630

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au bas de l'image...



ou cliquez [ici]



"Troches"
et Etagnes
Creux du Van (Suisse)
dimanche 19 avril 2015 - matinée


Troche (Hêtre sur un alpage)
Creux du Van (Suisse)
dimanche 19 avril 2015

Au lever du soleil

Etagne, bouquetin femelle
(en contre-jour)

Jeune mâle

Jeune femelle (Etagne)

Adulte

Portrait, de face
<image recadrée>

ça gratte !
A cette saison, les animaux perdent leur poil d'hiver...

Dans l'ombre

De derrière

On voit nettement que les poils d'hiver vont tomber...

Mâle broutant

Carpe diem

Etagne, au milieu des Crocus...

... et au pied d'une Troche

A droite : les "Rochers du Cerf"
(en France, au dessus des Gras)

Névé et ombres de Troches

Au bord de la falaise


Troches, Crocus et Névé

  Cirque

Glace et feuille de Hêtre

Rougequeue noir mâle

Dans l'azur
<image recadrée>

En drapeau

Pour voir d'autres images,
prises au même endroit en 2014,

Cliquez
[ici]

Tarier des prés (sur le panneau indiquant l'entrée de la réserve naturelle)
<image recadrée>

Chamois femelle

Le temps se couvre...

Vue sur les Alpes

Torturé

Le Dos d'Ane et le Chasseral (au loin !)

Etagne et Troche

<image recadrée>

Glace

Contre-jour
Creux du Van (Suisse)
dimanche 19 avril 2015



Petit texte :

"Cette semaine, j'ai commencé à couper mon bois. Il faut s'y prendre des mois à l'avance pour qu'il ait le temps de sécher, afin de donner de belles flammes brûlantes en hiver. Nous sommes maintenant en juin, et il presque trop tard pour préparer son bois de chauffage, mais pendant le printemps je travaillais sur mes ruches de l'aube au coucher du soleil et je n'avais pas le temps. A midi, il fait une chaleur suffocante dans les bois, j'y vais donc au lever du jour et coupe du bois pendant quelques heures, le charge dans la camionnette et le ramène à la grange où je l'empile.

J'aime être là-bas, tôt le matin. Les araignées ont tendu leurs toiles pour prendre au piège les insectes nocturnes, et quand le soleil levant darde ses rayons obliques à travers les arbres, les gouttes de rosées accrochées dans les toiles les transforment en joyaux d'une exquise délicatesse. L'ombre fraîche sent l'humus, la terre humide. Les dindons sauvages ont laissé des traces là où ils ont gratté les feuilles à la recherche de scarabés et de larves. Mes chiens aiment beaucoup venir là, eux aussi, et aujourd'hui ils ont passé leur temps, au comble de l'excitation, à renifler dans un creux à la base d'un arbre. Le beagle glapissait, ses aboiements assourdis par le trou. L'écureuil qui s'était peut-être abrité dans l'arbre la nuit précédente avait échappé provisoirement à leur attention et, installé sur une branche basse, les considérait d'un oeil soupçonneux, la queue agitée de saccades. Un rai de soleil illuminait un grand chardon couronné d'une somptueuse fleur pourpre où un papillon et une abeille butinait le nectar. Des passereaux aux yeux rouges gazouillaient, si haut perchés dans les arbres que je ne pouvais les voir.

Pour moi, leur chant se termina lorsque je mis la tronçonneuse en marche. Elle fait un bruit terrible, mais c'est un outil que j'aime, un des premiers dont j'aie appris à maîtriser le maniement et qui, en outre, joue un rôle important dans ma vie. Mon poêle à bois, un simple cylindre en fonte garni de plaques de tôle, fournit la seule source de chaleur dans mon chalet en hiver, et si je n'ai pas de bois pour l'alimenter, les chiens, le chat, les plantes d'intérieur, l'eau dans les canalisations et moi-même allons tous geler. C'est d'une merveilleuse et évidente simplicité : couper du bois ou mourir.

Lorsque Paul était là, il se chargeait de cette tâche, et moi, comme toutes les épouses dans les Ozarks, je portais le bois jusqu'à la camionnette. Lorsqu'il est parti, il a laissé la tronçonneuse, mais c'était une lourde machine qui vibrait terriblement et dont le comportement était imprévisible. Je pèse environ cinquante kilos et si je parvenais à la soulever, une fois mise en marche elle vibrait si fort qu'elle devenait dangereuse à utiliser. Une année, j'engageai un homme pour couper mon bois, mais je fus mécontente de son travail, et l'année suivante, bien que je n'en eusse pas les moyens, j'achetai la plus belle, la plus légère, la meilleure tronçonneuse existant sur le marché. C'est une marque utilisée par beaucoup de bûcherons, et les plus petits modèles sont équipés d'un système antivibratoire.

Les meilleures tronçonneuses sont des outils redoutables. Mon frère a failli se couper un bras en en utilisant une. Un de mes voisins qui fait le commerce du bois a réussi à arrêter le moteur de la sienne alors qu'il sciait au dessus de sa tête et qu'une branche avait fait sauter l'engin dans sa direction. La chaîne ne s'est arrêtée de tourner qu'après avoir entamé la visière de sa casquette. Il prit la nouvelle très au sérieux lorsque je lui annonçai que je m'étais acheté une tronçonneuse, et il me donna un excellent conseil. « C'est quand on cesse d'avoir peur d'une tronçonneuse qu'il faut commencer à s'inquiéter », me dit-il.

Je suis très prudente. Je passe beaucoup de temps à évaluer la taille d'un arbre avant de l'abattre. Une fois qu'il est à terre, je dégage toujours le sous-bois qui l'entoure avant de commencer à le débiter en tronçons. Ainsi je ne trébucherai pas et ne perdrai pas l'équilibre pendant que la tronçonneuse marche. Une chaîne émoussée et une scie en mauvais état sont dangereuses ; j'ai donc appris à entretenir les miennes et j'affûte la chaîne chaque fois que je m'en sers.

Ce matin, j'ai fini de scier un arbre dans le secteur où je travaille depuis une semaine. Ce faisant, j'ai laissé tomber, quelque part dans les feuilles morte, le tourne-à-gauche – mi-tournevis, mi-clef à pipe – dont je me sers pour régler l'appareil. Je n'aurais pas dû le garder dans ma poche, mais la chaîne s'était détendue sur le guide de la scie ; je l'avais resserrée et n'étais pas retournée à la camionnette ranger l'outil. Irritée de ma négligence, je me mis à la recherche d'un autre arbre à abattre, mais m'immobilisai pour observer un faon que j'avais effrayé et chassé de son gîte nocturne. Il était si rapide et silencieux que mes deux chiens, toujours en train de renifler à la recherche de l'écureuil, ne le virent même pas.

J'aime couper les arbres morts dans mon bois, donnant ainsi assez d'espace aux autres pour s'épanouir, et j'en repérai un grand, mort récemment. Celui-ci était d'une taille qui m'inspirait une certaine appréhension. Je coupe mon bois de chauffage depuis six ans maintenant, mais je suis toujours impressionnée par la hauteur et la masse d'un arbre lorsqu'il s'abat sur le sol, et il faut toujours que je m'arme de courage pour abattre un gros arbre.

Je voulais que celui-ci tombe dans une partie dégagée, vide d'autres arbres ou de buissons, et j'y ouvris donc une encoche en forme de coin, de ce côté-là. En théorie, un arbre, ainsi affaibli, tombera lentement du côté de l'encoche, une fois attaqué à la scie du côté opposé et un peu au-dessus. L'ennui, c'est que les arbres, en particulier les arbres morts, ignorent tout de cette théorie et peuvent très bien s'abattre dans une direction inattendue. Ainsi arrivent les accidents. Je le savais, et j'avais peur en outre de m'attaquer à un arbre aussi important. Du coup, peut-être l'entaillai-je trop timidement. Je commençai ensuite à scier de l'autre côté, guettant à sa cime le tremblement annonciateur de sa chute. Je n'eus pas le temps d'insérer dans la fente, pour la maintenir ouverte, un coin en plastique que je gardais dans ma poche arrière, car l'arbre commença à basculer dans ma direction, exactement à l'inverse de ce que j'avais prévu. Je coupai le moteur de la tronçonneuse et m'écartai d'un bond.

Il n'y avait pas de danger, néanmoins. Juste derrière moi se dressaient d'autres arbres, que je voulais précisément éviter ; quand mon gros arbre commença à basculer, ses branches hautes s'emmêlèrent à celles d'un de ses voisins, ce qui arrêta sa chute. J'avais sectionné le tronc complètement, et maintenant ma scie était coincée entre le fût scié et la souche. J'avais obtenu ce qu'on appelle de façon imagée un « faiseur de veuve ». Si nous avions travaillé à deux, nous aurions pu utiliser une deuxième tronçonneuse pour dégager la mienne et peut-être faire tomber l'arbre, mais c'est une méthode dangereuse et je n'aime guère l'employer. Je ne pouvais même pas libérer ma scie en la démontant, puisque j'avais perdu mon tourne-à-gauche ; je repris donc le chemin de la grange pour aller chercher les outils dont j'avais besoin : une clef à pipees chaînes et un treuil portatif appelé un tire-fort. Un tire-fort est un outil réconfortant et pratique pour une femme. Il est équipé de deux gros crochets, dont l'un est relié à un câble d'acier qui s'enroule autour d'une roue à cliquet, actionnée par une longue poignée qui fait office de levier. Cela permet de démultiplier le poids d'un objet lourd en charges plus petite, qu'une femme peut facilement soulever. Je m'en suis souvent servie pour extirper ma camionnette de la boue ou de la neige.

Il commençait à faire chaud et j'étais en nage lorsque je revins dans les bois, mais j'étais bien décidée à réparer la maladresse que j'avais commise en coupant mon bois ce matin-là. A l'aide de la clef à pipe, je démontai le guide et la chaîne du châssis de la tronçonneuse et les posai à l'écart. N'étant plus gênée par la poids de la scie, je dégageai le guide et la chaîne coincés à la base de l'arbre. Je m'assis ensuite par terre, bus de l'eau glacée de mon thermos, et réfléchis à la façon dont j'allais m'y prendre pour faire tomber l'arbre.

Examinant le « faiseur de veuve », je décidai que si j'arrivais à enrouler une des chaînes autour de la base du tronc, et une autre autour d'un arbre à proximité, puis à relier les deux avec le tire-fort, je parviendrais peut-être à amener l'arbre jusqu'au sol. J'installai donc les deux chaînes et le tire-fort, et me mis à l'oeuvre. Lentement, à chaque poussée de la poignée sur la roue à cliquet, l'arbre s'abaissa vers le sol.

Le soleil était haut dans le ciel, la chaleur oppressante, mon jean et ma chemise trempés de sueur ; je décidai donc de remettre au lendemain le débitage de l'arbre. Tandis que je rassemblais mes outils, je découvris le tourne-à-gauche, presque invisible dans l'humus. J'allai ensuite jeter tous mes outils à l'arrière de la camionnette et m'assis au bord de la plate-forme pour boire le reste de l'eau glacée et écouter chanter le passereau aux yeux rouges.

Il est bien sûr très satisfaisant de me constituer une réserve de chaleur pour l’hiver, gratuite en dehors du travail fourni. Mais participer à l’évolution de la forêt est également prenant. Peut-être suffirait-il de dire que lorsque je coupe mon bois de chauffage je nettoie et éclaircis mes bois, mais par la même occasion, il m’incombe de décider quels arbres devraient être secourus et quels autres sacrifiés.

J’aime mon grand noyer noir, aussi ai-je éliminé ses voisins immédiats pour lui donner l’espace et la lumière dont il a besoin pour s’épanouir. Les cornouillers, eux, s’en moquent. Ils givrent les bois de fleurs blanches au printemps et poussent avec exubérance, même serrés. Si je dégage un endroit, en un an ou deux les rejets de sapin l’envahissent, grandissent rapidement, rivalisent et s’éliminent les uns les autres jusqu’à obtenir un espacement tolérable. Si je n’abats pas un arbre malade, ses voisins risquent d’être contaminés et de mourir. Si j’élimine l’un des troncs d’un chêne blanc bifide, l’autre poussera mieux, droit et robuste. Une fois ébranché, un arbre mort sur pied, comme celui que j’ai abattu aujourd’hui, fera du très bon bois de chauffage, et donne envie de l’abattre. Mais si je n’y touche pas, il servira d’abri aux piverts et plus tard aux écureuils volants et aux chats-huants. Là où je laisse une pile de bois mort, les lapins s’installent. Et si je laisse à terre un arbre tombé, d’autres créatures en profiteront : fourmis, araignées, scarabées, cloportes s’y mettront à l’abri et s’en nourriront, et de ravissants champignons aux formes délicates y pousseront avant qu’il ne se mêle à l’humus pour devenir partie intégrante d’une nouvelle couche de terreau.

Le détenteur d’une tronçonneuse joue un rôle dans les bois, et en jouant ce rôle, il fait partie du cycle sylvestre, de cette abstraction que constitue la communauté de la forêt."

Sue HUBBELL - Une année à la campagne
(Vivre les questions)

"J'ai souvent rêvé d'un livre complet, où il y aurait les oiseaux, les insectes volant dans la lumière du matin, les gouttes accrochées dans les toiles des araignées, le ciel changeant selon les saisons, l'odeur de la pluie et le bruit du vent, les cris des animaux, un livre où on sentirait la chaleur du soleil, le toucher léger des plantes, un livre où il y aurait les secrets visibles et invisibles du monde, et même des choses extraordinaires et rassurantes comme la recette de la tarte aux kakis. Un livre qui me donnerait le même bonheur que lorsque je lisais autrefois Virgile, assis près de la mer à l'ombre des oliviers (aujourd'hui remplacés par des immeubles). Un livre où la poésie serait comme une respiration, où le langage ferait sa musique familière. Il me semble que le livre de Sue Hubbell est ce livre-là."

JMG Le Clézio (Préface)



Voir la liste des anciens numéros du"Trochiscanthe nodiflore" (les archives) : cliquez [ici]

Site internet : Rencontres sauvages

Me contacter : pascal@pascal-marguet.com

Calendrier 2015 : Pour le télécharger directement au format pdf (1400 ko), cliquez [ici]

 

Pour vous désinscrire, vous pouvez m'envoyer un e-mail (en répondant à ce message) avec pour objet "désinscription",

ou en cliquant

[ici]

Pour partager cette page sur "FaceBook", cliquez sur le bouton ci-dessous :



Rejoignez-moi sur "FaceBook" en cliquant sur le lien suivant :

[http://www.facebook.com/marguet.pascal]