Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°465 (2015-16)

mardi 21 avril 2015

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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WA Mozart - Messe du couronnement KV 317
"Agnus Dei"

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Début du printemps :
Parade nuptiale de Grèbes huppés
(dans l'ombre !)
Champ-Pittet (Yverdon, Suisse)
samedi 28 mars 2015


Vue sur le Jura
(les Aiguilles de Baumes)
  Champ-Pittet (Suisse)
samedi 28 mars 2015

Vue sur Neuchâtel

Rougequeue noir femelle

Canard colvert femelle

Cygne tuberculé

Foulque macroule

Grèbe huppé
(entre ombre et lumière)

A la recherche d'un partenaire ou d'un concurrent...

Dans l'ombre

Début de parade

Couple de Grèbe huppé
l'individu de gauche n'a pas encore son plumage nuptial

L'X !
Symétrie centrale (dans l'ombre)

Le même couple

Un autre couple de Grèbe huppé (au soleil !)


De face, avant la plongée...

"Posture du chat" :
une autre attitude pendant la parade nuptiale.

<image recadrée>

A la fin de la parade

Couple de Cygne tuberculé

Deux Rougegorges familiers :
avez-vous repéré le second ?

Merle noir mâle :
il est en train de chasser les autres mâles de son territoire !...


Moineau domestique mâle

Mésange à longue queue

Dans le verger

Chant

Au sommet d'un cerisier
Champ-Pittet (Suisse)

samedi 28 mars 2015


Petit texte :

"« Où te caches-tu, Vieux Testament ? » La voix qui criait à tue-tête avec le plaisir gouailleur de couvrir le bruit de la rue était celle de Jasmin Lajoie, grand colosse d'environ quarante ans, musclé, parfumé à l'eau de Cologne, la démarche assurée et le visage content.Il était flanqué d'une grande belle qui roucoulait à ses côtés dans une robe trop moulante pour être élégante. Il n'avait pas encore monté les trois marches qui menaient à la petite terrasse lorsqu'il vit arriver, sur sa gauche, en même temps que lui, son ami Pabava. Il poussa alors un autre grand cri : « La compagnie des débauchés est au complet ! »La femme à ses côtés rit un peu bêtement tout en lançant quelques oeillades aux alentours pour vérifier tout de même que personne ne s'outrait des propos de l'homme qu'elle accompagnait. Jasmin arriva à la première marche et s'arrêta pour attendre que Pabava le rejoigne. Ils étaient devant chez Fessou, au coin de la rue de la Réunion et de la rue Saint-Honoré, devant ce bâtiment particulier en bois peint de bleu, au toit pointu et aux fines colonnes extérieures qui avait dû être un entrepôt ou un grand hall de commerce avant que Prophète Coicou ne le rachète pour en faire son établissement. Lorsque Pabava fut au niveau de Jasmin, ce dernier lui fit l'accolade en murmurant, à voix basse – d'une voix chaude, tranquille, qui disait l'amitié et une intelligence de la sensibilité : « Domitien, mon ami... » La femme, à ses côtés, fut surprise de ce ton. Elle ne connaissait de Jasmin que sa voix de stentor, sa faconde, ses gestes trop larges, trop véhéments, ses blagues auxquelles on ne pouvait pas ne pas rire, non pas parce qu'elles étaient drôles mais parce qu'il y mettait tellement de lui en les racontants, vous les offrant avec tant de gourmandise, que ne pas rire aurait été comme de ne pas l'aimer lui, Jasmin Lajoie qui promenait sa silhouette sur la Grand-Rue comme un César en campagne. Tout le monde aimait Jasmin. Mais il n'y avait peut-être que les amis de Fessou qui le connaissait réellement. C'est ce qu'aurait pu pressentir la femme qui l'accompagnait si elle avait été dotée d'intelligence, ce qu'elle aurait pu déduire du ton profond, vrai, sans fard, avec lequel Jasmin avait dit « Domitien, mon ami... » mais comme elle en était dépourvue, elle attendit patiemment que son cavalier la présente, tiqua un peu lorsque celui-ci dit : « Véronique, une amie... » (Qu'aurait-elle préférée ? « Véronique, ma maîtresse ?... », « Ma femme de ce soir ?... ») puis monta les marches en faisant rouler ses fesses pour montrer aux deux hommes qui la suivaient qu'elle était parfaitement en possession de ses charmes et qu'ils n'étaient pas les premiers à s'extasier devant ce que les jeunes gens de la Grand-Rue appelaient, en se tapant du coude, « un sacré beau châssis ! »


- Mangecul ! Hors de ma vue...

Un vieil homme venait d'ouvrir la porte de chez Fessou. Il était grand, les cheveux blancs et l'oeil malicieux, une barbe bien taillée et des traits qui avaient dû être fins à une époque mais s'étaient empâtés au fil du temps et lui donnaient aujourd'hui des airs de vieux lion. Lorsqu'il se rendit compte qu'il avait devant lui une femme qu'il ne connaissait pas, il s'interrompit, sourit doucement, « ...Pardonnez-moi, madame... », se présenta, « Prophète Coicou », et lui fit un baisemain qui impressionna beaucoup ladite Véronique pour qui jamais aucun homme n'avait eu autant d'égards. Puis, lorsqu'elle entra dans le salon de Fessou, il fit un clin d'oeil à Jasmin et vint à son tour recevoir l'accolade du géant débonnaire. Les amis s'étreignirent et se complimentèrent sur leur bonne mine. Dans le Capharnaüm de la rue – mélange étourdissant de petits vendeurs et de circulation, de cris et de klaxons – personne ne remarqua qu'une voiture de taxi s'était garée devant l'école d'infirmières, dans laquelle Matrak se tenait coi, scrutant les gestes de ces gens, sans envie, sans haine, simplement happé par leur joie comme devant un monde qu'il ne connaissait pas et ne pourrait jamais comprendre.

Dans la salle intérieure, les nouveaux arrivants retrouvèrent deux autres amis, déjà installés au bar en train de déguster un jus de citron pressé : le facteur Sénèque et un jeune homme qui baissait la tête et dont on voyait, dans les gestes, les hésitations, la timidité, qu'il n'était pas né avec la belle assurance qu'offre un milieu aisé. Il s'appelait Germain, mais aucun de ceux qui étaient présents et se considéraient pourtant comme ses amis n'utilisaient ce nom (ils n'auraient même pas su de qui on parlait si on l'avait utilisé devant eux). Pour tous, il était Bourik Travay. Ses amis ne voulaient pas l'appeler Bourik, cela aurait été offensant, alors on l'appelait souvent du nom de Boutra. Le jeune homme avait à peine vingt-cinq ans. Il n'avait pas la corpulence de Jasmin mais il était capable de soulever n'importe quel poids. Il était infatigable. Les efforts quotidiens qu'il fournissait n'avaient laissé sur son corps que du muscle et une maigreur du petit peuple. Il travaillait partout. Sur le port où on avait besoin de lui lorsqu'il y avait un navire à charger ou décharger – mais cela n'arrivait plus si souvent. Dans la Grand-Rue lorsque les marchands voulaient transporter leur marchandise. Dans toutes les rues de Port-au-Prince, partout où il fallait livrer quelque chose. Bourik Travay travaillait depuis qu'il avait douze ans et rien ne semblait venir à bout de son endurance.

Le vieux Tess fut le dernier à entrer dans la pièce. Il observa le petit groupe qui était sous ses yeux. Le vieux rêve de Fessou était là : des hommes de tout âge, de toute classe sociale, réunis en un établissement qui ne faisait aucune distinction entre les uns et les autres et offrait simplement à tous le temps du partage et de la conversation. Il y avait Pabava, le plus âgé de la bande après lui, le seul à avoir connu, comme lui, la dictature. Celle de Duvalier fils tandis que lui, Prophète Coicou, avait été une des figures de l'opposition au père. Ils partageaient le fait de s'être battus contre le même nom et d'avoir connu tous les deux la torture dans les caves où bien des leurs avaient agonisé. Le facteur Sénèque était de la même génération que Pabava mais il ne parlait jamais de ce qu'il avait fait durant la dictature si bien qu'aux yeux du Prophète, cela faisait de lui un jeunot. Puis venait Jasmin Lajoie qui parlait continuellement de partir à Miami mais ne le faisait jamais parce qu'au fond, il partageait avec ses amis une haine viscérale pour cette Amérique qui essayait de leur voler leur liberté – non pas avec les armes comme l'avaient fait, en leur temps, les Français – mais avec la brutalité de l'argent. Peut-être ne parlait-il de partir à Miami que pour faire naître un peu de lumière dans le regard des dames qu'il essayait de conquérir. Jasmin, que tout le monde appelait Mangecul, était en effet le seul à utiliser Fessou comme un bordel. « Vous n'imaginez pas l'effet que cela produit sur les dames lorsque je leur raconte ce qu'était Fessou dans le passé... » Lorsqu'il les laissait faire quelques pas dans le salon, il voyait le lieu prendre possession d'elles. Il n'y avait plus, ensuite, qu'à les faire monter dans la seule chambre libre du premier étage. Le Vieux tolérait cet usage. Cela lui semblait juste qu'au moins un membre de leur petit groupe fasse vivre la vieille identité du lieu. Jasmin Mangecul n'amenait jamais deux fois la même dame. C'était une sorte de règle. L'autre était qu'elles devaient toutes être mariées. Fessou abritait avec délice les amours adultères de Jasmin. Ses amoureuses d'un jour, les cris étouffés qui montaient parfois de la petit pièce, le bruit du lit qui tapait contre le mur ou les exhortations passionnés de certaines des invitées qui sentaient tout à coup le lieu entier les pénétrer, avec son histoire, sa mémoire, sa sensualité, rien de tout cela, jamais, n'avait troublé la moindre conversation entre les camarades restés dans le salon. Chez Fessou, on pouvait boire, on pouvait jouir, on pouvait tout se dire et s'engeuler, il n'y avait qu'une seule règle : parler au moins un peu de politique..."


Laurent GAUDE - Danser les ombres



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