Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°456 et 457 (2015-07 et 08)

mardi 17 février 2015

et

mardi 24 février 2015

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
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Maurice Duruflé - Requiem "Pie Jesu"

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 Lac de Saint Point

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Livret virtuel
sur le

Lac de Saint-Point (Haut-Doubs)

Anse Fraîchelin, Port-Titi et Chaon

aux quatres saisons !


Martin-Pêcheur d'Europe
dans le givre
dimanche 8 décembre 2013

Hiver
dimanche 8 décembre 2013

Butor étoilé dans les roseaux
dimanche 8 décembre 2013

Vol de Grande Aigrette
dimanche 18 janvier 2015

Mésange bleue
dimanche 18 janvier 2015

Cygne tuberculé (au repos) et Foulque macroule
dimanche 5 février 2012

Rougegorge familier
lundi 31 décembre 2012

Mésange à longue queue
jeudi 24 janvier 2013

mardi 2 janvier 2012

Arabesques de Jonc
lundi 31 décembre 2012

Reflet
lundi 31 décembre 2012

Famille de Cygne tuberculé
samedi 27 février 2010

Cygne tuberculé en vol
samedi 27 février 2010

Printemps
avril 2012

Primevère sp.
dimanche 14 mai 2006

Feuilles de Hêtre
dimanche 5 mai 2013

Ecureuil roux s'étirant
mardi 8 mai 2012

Campagnol sp. mangeant une faîne
mardi 8 mai 2012

Cygne tuberculé : couple et ses petits à leur toilette
dimanche 8 juin 2014

Foulque macroule à sa toilette
samedi 12 avril 2014


Iris faux-acore
dimanche 8 juin 2014

Jeune Corneille noire
samedi 10 mai 2014

Polémoine bleue (fleurs blanches)
dimanche 8 juin 2014

samedi 20 juillet 2013

Couple de Grèbe huppé au repos
dimanche 10 mai 2014

Mésange bleue
dimanche 5 mai 2013

Foulque macroule sur son nid
dimanche 5 mai 2013

Rousserolle sp.
  jeudi 23 mai 2010

Moineau domestique mâle
jeudi 23 mai 2010

Eté
mercredi 23 juillet 2014

Escargot
mercredi 23 juillet 2014

Rougequeue noir femelle
samedi 13 août 2011

Toile et rayon de soleil
samedi 8 septembre 2012

Libellule en vol
mercredi 23 juillet 2014

Gobemouche gris
dimanche 28 août 2011

Cygne tuberculé : jeunes à leur toilette
mercredi 23 juillet 2014

Au repos
dimanche 3 juillet 2011

Nénuphar blanc
dimanche 3 août 2008

Nénuphar jaune
dimanche 3 août 2008

Nymphéa
dimanche 22 juin 2014

Ecureuil roux
dimanche 8 septembre 2012

Epilobe hirsute
dimanche 31 juillet 2011

Epilobe en épi
dimanche 31 juillet 2011

Toile et Ortie
août 2012

Rougegorge familier juvénile
mardi 6 septembre 2011

Automne
dimanche 8 novembre 2014

Dolomède à sa toilette
dimanche 21 septembre 2014

Phragmite dans la brume
samedi 6 octobre 2012

Feuilles de Hêtre
samedi 6 octobre 2012

Mésange bleue
samedi 6 octobre 2012

Toile et Phragmite
samedi 6 octobre 2012

Colchique
samedi 6 octobre 2012

Grèbe huppé s'étirant
dimanche 21 septembre 2014

Couple de Cygne tuberculé
dimanche 16 octobre 2011

Famille de Cygne tuberculé
dimanche 21 septembre 2014

Arantèle
samedi 26 septembre 2009

Rougequeue noir femelle
dimanche 8 septembre 2012

Pardon pour ce long numéro (double !) :
vous devrez attendre deux semaines avant de recevoir le prochain !

A bientôt !



Petits textes (3 extraits) :

"Quelques jours plus tard, nous avons parlé théâtre pour la première fois. Sam était invité au festival de Vaison-la-Romaine, où se jouait l'Antigone d'Anouilh, mise en scène par Gérard Dournel. Liliane Sorval jouait la fille d'Oedipe, roi de Thèbes. Et son oncle Créon était interprété par Jean-Roger Caussimon. Représentation en MJC, générales huppées ou débats confidentiels, l'ami grec ne refusait aucune sollicitation. Il était l'emblème du théâtre empêché.

- Bientôt je me remettrai au travail, mais je ne suis pas encore prêt. Je regarde, j'apprends, j'écoute, je rattrape les jours volés.

C'était la deuxième fois qu'il me parlait d'Antigone. Il l'avait jouée à l'école Polytechnique d'Athènes, avant l'arrivée des chars. Maintenant, il partait la retrouver dans le sud de la France.

De son sac, il a sorti une Antigone, éditée à La Table Ronde en 1945, avec les lithographies terres d'ombres et noires de Jane Pécheur. Il l'a agitée comme un poing levé.


- J'ai souffert avec la « petite maigre ». Et elle a combattu à mes côtés.

Nous étions place du Palais-Royal, pour une autre bière en trottoir.


- La petite maigre ?

Sam s'est raidi. Sa façon de froncer les sourcils. Toujours, il plissait les paupières, comme s'il réfléchissait intensément.

- Tu ne te souviens pas de l'entrée en scène du prologue ? « Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien... »

Sa voix de théâtre avait une autre voix. Elle chuchotait la soie des mots.

- Lorsque le rideau se lève, les acteurs sont en scène, occupés à ne pas nous voir, protégés par le quatrième mur.

- Le quatrième mur ?

J'avais déjà entendu cette expression sans en connaître le sens.

- Le quatrième mur, c'est ce qui empêche le comédien de baiser avec le public, a répondu Samuel Akounis.

Une façade imaginaire, que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l'illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains, un remède contre le trac. Pour d'autres, la frontière du réel. Une clôture invisible, qu'ils brisent parfois d'une réplique s'adressant à la salle.

- Souviens-toi des premières secondes. Tous les acteurs sont présents, aucun n'est en coulisse. Il n'y a pas d'arrière-scène, pas d'entrée fracassante, de sortie applaudie, pas de claquement de porte. Juste un cercle de lumière où entre celui qui vient de parler. Le décor ? Une volée de marches, un drapé de rideau, une colonne antique. C'est le dépouillement, la beauté pure.

Son regard, toujours.

- Ne me dis pas que tu as oublié Antigone !

J'ai gagné du temps, les lèvres dans le vin.

- Je l 'ai lue, comme Boris Vian. Un bagage adolescent. En première, j'ai même planché sur une conversation imaginaire entre Voltaire et elle.

- Voltaire ?

- Candide, l'optimisme envers l'homme. Je ne me souviens plus.

- Et Antigone, le pessimisme ?

Sam a ri. Pas méchamment. Il ne blessait jamais celui qui venait de parler...


[...]

La rue était étroite, défoncée, inondée par endroits. Voitures, camionnettes, charrettes à bras, klaxons pour rien, étals de fruits, de cigarettes, de parfums frelatés, tout ici ressemblait à Beyrouth en plus pauvre, en plus triste, en plus désorienté. Marwan roulait silencieusement. Il n'aimait pas les Palestiniens. Il me l'avait dit crûment. Sur les murs de parpaings, des affiches fanées célébraient les martyrs. Des hommes, fusil en main, posant avant la mort sur un fond de soleil. Sur la plage arrière et contre le pare-brise de sa voiture, le Druze avait installé deux bandes découpées dans un keffieh. Il s'était arrêté à l'entrée du camp de Chatila pour les déposer bien en vue, négligemment, à l'image d'un homme qui s'était débarrassé de sa coiffe pour conduire. L'artifice ne trompait personne. C'était un gage de bienveillance. J'étais tendu, aux aguets. Mon chauffeur n'avait pas d'arme sur les genoux. Je n'ai jamais su si le cérémonial qu'il m'avait imposé à l'aéroport était l'illustration d'un danger réel, une manière de m'incorporer ou une cérémonie de bizutage.

J'ai eu le coeur serré. Pour la première fois de ma vie, je voyais un vrai drapeau palestinien. Une guenille lacérée, pendue au fer forgé d'un balcon. Je n'avais pas de mot pour cet endroit. Ni quartier, ni ville, ni bidonville, ni ghetto, mais quelque chose de tout cela. Un boyau monotone de petits immeubles gris, de maisons basses, d'impasses défoncées, de murs écorchés, de béton brut, de fenêtres borgnes, de tôle ondulée, de boutiques misérables au rideau de fer béant. Des fils électriques rayaient le ciel, des centaines, pendant d'une fenêtre à l'autre, d'un toit au suivant, parcourant les rues parfois à hauteur d'homme. Dans certaines impasses, le réseau de câbles était tel qu'il pesait comme la nuit. Sur les terrasses, des barbelés piquetés de lambeaux frémissants. Débris de papier, fragments de plastique, ballons crevés oubliés par le vent. Nous roulions fenêtres ouvertes. L'air était malsain, fétide, lourd comme un fruit corrompu. Partout, aux carrefours, des amas d'ordures finissaient de brûler. Aux odeurs fermentées, le feu ajoutait son écoeurante fumée grise. Des enfants aux pieds nus pataugeaient dans ce jus. Ils couraient après notre voiture rouge et blanche en riant. Marwan les chassait de la main. Il était crispé. Il s'est raidi.

- Fedayin, a murmuré mon chauffeur.

Trois bidons d'essence barraient la rue. Ils avaient été gavés de ciment et disposés en chicane, décorés du portrait en couleur de Yasser Arafat. Assis sur l'un d'eux, un homme, fusil d'assaut entre les cuisses. Il s'est levé, actionnant la culasse. Deux autres étaient contre un mur, assis sur des chaises en plastique. Le premier a levé la main. Il avait un foulard. Il l'a remonté sur les yeux. Marwan a arrêté la voiture et coupé le contact. Il a souri au combattant, regard offert, tête passée par la fenêtre. Je connaissais ce sourire. Un geste de crainte, d'inquiétude, un sourire de mains levées. Le Palestinien nous a fait signe de descendre de voiture.

- Ton passe, m'a soufflé mon ami.

J'ai mis la main dans mon blouson. Il m'a empêché.

- Descends d'abord. Pas de geste brusque.

La rue était déserte. Le Druze a parlé. Le Palestinien ne répondait pas. Il lui a fait ouvrir son coffre, sa boîte à gants. Un combattant tournait autour de la voiture, un autre a fouillé Marwan, puis moi. Le Druze parlait toujours. Il occupait le silence des autres. Il riait d'un mot, me désignait du doigt.

- Ton passe. Donne-le !

J'ai sorti mes cinq laissez-passer, en éventail, comme un joueur de poker tient son jeu. Marwan a ouvert des yeux immenses. Il tremblait. Il a haussé les épaules, s'est excusé sans mot, mains ouvertes, implorant le pardon du Palestinien. L'homme au keffieh a baissé son foulard. Il a éclaté de rire. Il avait des lunettes rondes, une barbe de quelques jours. Il ressemblait à un étudiant, pas à un milicien. Son camarade a pris mon jeu. Toutes mes cartes. Il les a étalées une à une sur le capot de la voiture. Les autres l'avaient rejoint en riant. Le coupe-file de l'armée libanaise, celui du Parti socialiste progressiste druze, celui des milices chrétiennes, le laissez-passer chiite du mouvement Amal et celui du Fatah. Le combattant a pris celui-là, deux bras armés et grenade sur fond de Palestine. Il agitait le passe comme un hochet.

- You speak english ?

Un peu, j'ai répondu. Comme tout le monde. Marwan s'était placé à mon côté. Son regard désolé allait des uns aux autres. Il n'avait pris aucune distance avec moi. Je le sentais tout contre. Il faisait corps. Ce jour-là, j'ai été rassuré à jamais. Mon Druze n'approuvait pas la pièce de théâtre. Il m'avait reçu avec méfiance, mais tiendrait la parole donnée à Samuel Akounis. Il n'aimait pas Antigone, il la respectait.

Le fedayin m'a montré le sauf-conduit du Fatah. Il souriait toujours.

- This is the wildcard. The only one !

J'ai secoué la tête. Je ne comprenais pas.

- C'est le joker, a murmuré Marwan sans quitter le combattant des yeux.

- Joker ! Yes ! You understand joker ? Arafat is the joker !

Joker ? J'ai hoché la tête en souriant blanc. Oui, je comprenais. Bien sûr. La seule carte qui sauve. Un Palestinien avait ramassé toutes les autres. Il a fait mine de les déchirer. Mon Druze a repris la parole. Il parlait, parlait, montrait sa voiture, son passager, son coeur. Je l'ai entendu dire "Antigone". Je crois. Le fedaï a interrogé son chef. L'autre a eu un regard indulgent. Il a hoché la tête. Celui qui avait les cartes me les a rendues.


- Ahlan wa sahlan ! a lancé le Palestinien en ajustant son keffieh.

La phrase prononcée par mon Druze à l’aéroport. J’avais une nouvelle famille et une terre en plus. L’un après l’autre, les combattants m’ont tendu une main. J’ai offert les deux miennes en retour. J’avais eu peur. Je m’en rendais compte maintenant que la vie revenait. Mon coeur qui chuchotait se remettait à battre. J’avais les lèvres sèches. Celle du bas s’est craquelée quand j’ai souri. Marwan était dans la voiture, je remerciais toujours les fedayin. J’ai failli leur dire qu’en France, nous les avions soutenus. Raconter nos manifestations, nos bagarres contre les sionistes, leur drapeau peint sur les trottoirs de Paris.

Marwan a klaxonné. Il me rappelait. Il a bien fait. Ma joie ressemblait trop à de la panique. J’étais en train de l’humilier.

- Yallah chabab ! a lancé le Palestinien.

Allez-y. Roulez. Bienvenue à Chatila...

[...]

Deux fenêtres étaient ouvertes. Il était 15 h 11. Un hurlement terrible. La stupeur. Tous se sont figés, avant de se jeter brusquement sous la table sans un mot. Ils avaient retrouvé les gestes de l'abri. J'étais le seul assis sur ma chaise, à regarder le plafond. J'ai failli me lever. Nabil m'a tiré par le pantalon en hurlant. Un deuxième avion, un troisième. Je suis tombé de ma chaise au moment où les vitres explosaient.

- Les juifs ! a hurlé Nakad.

Nabil et Hussein ont renversé la table pour en faire un bouclier. Madeleine s'est cognée. Elle saignait du nez.

- Il faut sortir ! Je veux sortir d'ici !

Charbel la ceinturait, accroupi à côté d'elle.

- Calme-toi. On ne sait pas ce qui se passe. On reste ensemble.

Hussein entassait les chaises.

- Ne regarde pas ! Ferme les yeux ! m'a crié Imane en français.

Les autres avaient renoncé à ma langue. Ils hurlaient en arabe. J'étais allongé sur le sol, les mains sur la tête. J'étais allongé sur le sol, les mains sur la tête. Yevkinée était blottie contre moi. Elle sanglotait, les cheveux d'Ismène tombés sur son visage de poupée. Madeleine pleurait aussi, tenant son nez à deux mains. Dos tourné à la fenêtre, mains offertes au ciel, Nabil priait à genoux. Beyrouth était attaqué. Je répétais cette phrase dans ma tête pour en saisir le sens. Des avions se jetaient sur la ville. Ils bombardaient la capitale du Liban. C'était incroyable, dégueulasse et immense. J'étais en guerre. Cette fois, vraiment. J'avais fermé les yeux. Je tremblais. Ni la peur, ni la surprise, ni la rage, ni la haine de rien. Juste le choc terrible, répété, le fracas immense, la violence brute, pure, l'acier en tous sens, le feu, la fumée, les sirènes réveillées les unes après les autres, les klaxons de voitures folles, les hurlements de la rue, les explosions, encore, encore, encore. Mon âme était entrée en collision avec le béton déchiré. Ma peau, mes os, ma vie violemment soudés à la ville. Personne ne l'avait remarqué. Au milieu de leurs cris, je souriais. Je pensais à Joseph-Boutros et son fusil d'enfant. Son tir dans la nuit, couinement de souris grise. Je pensais aux snipers du Ring, de la tour Rizk, à tous les tireurs de la ville jetés contre les murs à cet instant.

Je pensais aux claquements parisiens de nos grenades lacrymogènes, aux pétards du 14 juillet, à l'orage, à la foudre, à tous ces bruits trop humains. Je mâchais mes joues, j'ouvrais la bouche en grand, je la claquais comme on déchire. Mon ventre était remonté, il était blotti dans ma gorge. Ma jambe lançait des cris de rage de dents. Je n'avais jamais entendu cela. Jamais. La guerre, c'était ça. Avant le cri des hommes, le sang versé, les tombes, avant les larmes infinies qui suintent des villes, les maisons détruites, les hordes apeurées, la guerre était un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu'à ce que l'air renonce. Une joie féroce me labourait. J'ai eu honte. J'étais en enfer. J'étais bien. Terriblement bien. J'ai eu honte. Je n'échangerai jamais cet effroi pour le silence d'avant. J'étais tragique, grisé de poudre, de froid, transi de douleur. Mes oreilles saignaient certainement. Nimer a vomi. Dans son coin, sans un mot. Personne n'est allé à son secours. Personne n'est venu au mien. Une bombe a frappé notre maison. Ou celle d'à côté. Un pan de mur est tombé des étages, fracassant notre balcon..."

Sorj Chalandon - Le Quatrième mur



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