Un
petit texte :
"Le premier dimanche de l’Avent marquait le début
des préparatifs pour les fêtes de Noël. Chacun s’y
préparait à sa manière, mais celle de Benedikt
n’appartenait qu’à lui. Ce jour-là, si le
temps le permettait, il se mettait en route. Il plaçait dans
sa besace quelques provisions, des chaussettes de laine, une paire de
souliers neufs en cuir, un réchaud, un petit bidon d’essence.
Et il partait vers les montagnes, dans une région où l’on
ne trouvait plus, à cette époque de l’année,
que les oiseaux de proie les plus résistants, des renards et
quelques moutons égarés. C’était ceux-là
qu’il allait chercher ; ceux qui s’étaient séparés
du troupeau, échappant ainsi aux grands rassemblements d’automne.
Pouvait-on les laisser crever de froid et de faim sur les sommets, sous
prétexte que personne n’avait le courage de partir à
leur recherche ? C’était des êtres vivants. Il se
sentait responsable d’eux. Son objectif était simple :
les retrouver et les ramener avant que Noël n’apporte sa
bénédiction à la terre, ainsi que la paix et la
joie dans le coeur des hommes de bonne volonté.
Benedikt partait toujours seul pour ce pèlerinage de l’Avent.
Enfin, pas vraiment seul. Disons plutôt qu’il n’avait
aucune compagnie humaine. Mais son chien et, le plus souvent, son bélier
l’accompagnaient. Cette année-là, le chien s’appelait
Léo. C’était, comme Benedikt aimait à le
dire, « un vrai pape ». Le bélier, il l’avait
baptisé Roc, car il était solide comme un rocher.
Depuis des années, tous les trois étaient inséparables.
Et cette connaissance profonde qui ne s’établit qu’entre
espèces éloignées, ils l’avaient acquise
les uns des autres. Jamais ils ne se portaient ombrage.
Aucune envie ne les perturbait.
Il fallait ajouter un quatrième membre à ce groupe, Faxi
le cheval, excellente monture au demeurant mais dont les pattes trop
faibles et le corps trop massif risquaient de s’enfoncer dans
la neige poudreuse. Il n’aurait pas résisté non
plus aux conditions difficiles et aux rations réduites dont les
autres se contentaient. Benedikt et Leo le quittèrent à
regret tandis que Roc montrait son habituelle sérénité.
Et, par cette journée d’hiver, voici la trinité
en marche. Leo devant, la langue pendante, tout joyeux malgré
le froid perçant. Roc à la suite, modeste, comme d’habitude,
et Benedikt enfin, traînant ses skis derrière lui. La couche
de neige, en basse altitude, était trop molle pour soutenir le
poids d’un skieur, impossible de faire autrement : il fallait
patauger dans tout ça, butant contre des mottes de terre ou des
rochers. Aie ! C’était dur d’avancer ! Comme tous
les chiens, Leo était partout en même temps, ivre de bonheur.
De temps en temps, incapable de contrôler sa joie, il sautait
sur Benedikt en soulevant un nuage de neige et mendiait caresses et
encouragements.
— Oui, oui, tu es un vrai pape, lui disait son maître. Et
pour lui, il n’y avait pas de plus grand compliment..."
Gunnar
GUNNARSSON - Le berger de l'Avent