Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°443 (2014-44)

mardi 18 novembre 2014

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Johannes Brahms - Symphonie n° 3
Pocco Allegretto

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Bouquetins, Grand Corbeau, Petite Tortue,
Lézard vivipare...
Réserve naturelle du Creux du Van (Suisse)
dimanche 7 septembre 2014


Falaise, au lever du soleil

"Dos-d'Ane" et brume

Troupe de Bouquetins

Défi de cabris

Cabri

Tendresse

En file indienne

Souche

Grand Corbeau

Etagne,
Bouquetin femelle, broutant

Portrait


Cirque

"Dos-d'Ane"

Petite Tortue


Grand Corbeau, en vol

Au dessus de la forêt

Lézard vivipare
se chauffant au soleil

Les femelles de cette espèce
ne pondent pas d'oeufs mais mettent bas des petits
entièrement formés.


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[numéro 415]
(2014 - 16)


Chamois et Bouquetins : 1 - Hiver : 0 - Haut-Doubs et Suisse

Texte : Si c'est un homme - Primo Lévi

Musique : Nuit et Brouillard - Jean Ferrat

mardi 29
avril 2014



Petit texte :

"Je sortais rarement. Mélanie Duterroy venait avec ponctualité à la Commanderie. A peine un salut. Toujours les mêmes épisodes : le chien, le cabas, le pot de fleurs, une vie sans secousses. J'avais une ample provision de bois et faisais de grand feux. Le cellier touchait à la salle ; ainsi je pouvais, sans sortir, transporter les bûches dans la maison. Je m'asseyais souvant à une fenêtre pour regarder la cour toute blanche, les communs clos, humides, et par-dessus la muraille, les branches du trembles géant et de l'érable. Plus une feuille. Les ramures seules s'élevaient dans le ciel de l'hiver.

Dehors l'air était calme, frais. Il sentait cette odeur d'eau limpide et de neige d'où s'exhale un parfum de rose cristallisée. Dedans, la maison toute entière était tiède. On l'avait bâtie pour l'hiver. Ses murs conservaient la chaleur parce que les hommes, familiers du feu, y avaient, pendant des années, entretenu jadis, de novembre au printemps, et la nuit autant que le jour, des foyers bien fournis de bois.

Quelquefois je lisais. Le plus souvent, assis devant une fenêtre ou près de la cheminée, je me confiais à mes rêveries favorites.

Elles prenaient maintenant un tour nouveau.

Je restais encore incapable d'être profondément moi-même et je conservais cette faculté dangereuse de me libérer trop facilement de cette ombre de moi qui m'échappait toujours. Mais l'étendue des neiges proposait à mon inquiétude un nouveau désert. L'automne avait sollicité les puissances du sang. Ces fermentations m'avaient procuré les plus troubles extases. Maintenant l'hiver me donnait un pur paysage moral détaché de la terre. La moindre branche s'y dessinait, grêle et précise ; et j'avais un plan de candeur où tracer les figures de l'âme. Sur cette surface à peu près irréelle, j'imaginais à mon usage, une géométrie sentimentale, où les courbes du souvenir, du regret, de l'espoir, semblaient formulées par une intelligence tendre. Nul obstacle. J'avais fourni aux opérations de mon âme une surface issue de l'âme même. Les constructions les plus hardies tout à coup devenaient possibles. Dans un monde où plus rien n'arrêtait le développement de mes desseins, l'agilité de mon esprit acquit alors une aisance inattendue. J'errais autant et plus vite que jamais. Je m'étais délesté de ces voluptés qui vous traînent ou vous ralentissent. Rien ne me tentait plus. En moi ne survivait qu'une passion plus légère que moi. Je ne vivais plus dans les formes colorés ; les odeurs m'atteignaient à peine ; et je me tenais par miracle, au coeur d'une lucidité éclatante et fragile. Mon esprit pénétrait partout, et je me voyais.

Je pris alors une connaissance pleine de mes infirmités, et de ma position morale. Ce que j'étais venu chercher dans ce désert, le peu que j'y avais trouvé, et ce que malgré tout j'en attendais encore, tout clairement m'apparut.

J'avais vécu avec les hommes, et j'avais été seul. J'avais vécu avec moi-même et j'avais été seul. En moi un gouffre me séparait de ma patrie profonde. Mon moi habituel ne m'offrait qu'un spectacle et qui toujours se dérobait. Ainsi je n'avais pas pu ni toucher ma réalité même, ni arrêter le vol des apparences.

J'avais cherché le désert. D'abord je n'en avais rien espéré qu'une satisfaction ironique et cruelle, dans cette quête d'un néant parfait. Autour de mon incurable solitude humaine, j'avais voulu, pour combler la mesure, étendre cette solitude naturelle.

Et je comprenais que le désert m'avait trompé.

Je n'y étais pas seul ; il y avait cette lampe. Elle avait éclairé en moi une singulière rêverie. Maintenant cette rêverie aboutissait à une découverte inattendue : il existait à cinq cent mètres de ma maison un solitaire, le solitaire que je n'étais pas (et mon désir me tourmentait de l'être).

Possesseur d'un secret, nourri d'un espoir, lui, hantait notre solitude pour fournir aux fantômes qu'il appelait une patrie favorable. Et là, il attendait. La puissance de son attente avait rayonné jusqu'à moi ; et j'avais subi le désir de savoir à qui s'adressait l'appel grave de cet homme.

J'avais parcouru le plateau, les étangs. Je n'y avais point rencontré de figure précise, mais pourtant j'avais senti des présences. Cette intuition m'avait troublé au point que, m'oubliant moi-même, j'avais dépassé mon néant, pour descendre et me perdre dans une extase sensuelle, au coeur de ce monde confus des eaux et des forêts. Je n'avais repris vie que par un subterfuge, en devenant autre chose que moi, en étant une tiède parcelle de la terre.

Je pressentais bien que, privé de ces lieux où j'avais atteint à tant de puissance, je devrais, pour me retrouver, me perdre encore.

Si je n'avais plus les étangs, j'avais cet homme. En lui seul, je pouvais me ressaisir, car en lui vivait le visage de cette attente, pour moi forme encore voilée, pour lui, sans doute, imminente promesse. Ainsi à son insu, je devais le hanter afin de découvrir ce qu'il attendait si passionnément de lui-même et qui n'était autre chose, sans doute, que ce démon ou cet ange que je cherchais dans le désespoir.

Hélas ! Encore un subterfuge : après la Terre, l'homme. Ma faiblesse me condamnait à n'être plus qu'un parasite. Je savais le danger de cette condition dégradante. Elle m'obligeait à errer de refuge en refuge et à ne connaître que des hôtes. Les hôtes ne vous accueillent que pour peu de temps. L'étranger qui n'a pas de toit, dès le seuil, en entrant, à qui lui ouvre sa maison, ne présente déjà que la figure de l'adieu. Pour rester il faut qu'on vous aime ; et je devinais qu'au milieu de ma solitude, mon rêve me poussait sournoisement aux lieux où sommeillait le désir de l'amour.

Ce fut le temps du plus lucide égarement. La présence de ce désir que je ne situais pas et dont je méconnaissais la nature, exaltait à la fois mon intelligence et mon âme. L'une, d'un élan familier, à tout moment, me transportait en dehors du réel ; et l'autre, du réel abandonné, me dessinait d'en haut, une épure si détachée de la matière qu'elle me semblait inhumaine..."

Henri Bosco - Hyacinthe



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