Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°417 (2014-18)

mardi 13 mai 2014

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
explications sur le nom de cette lettre : [ici] ou [ici]
Si cette page ne s'affiche pas correctement, cliquez [ici]


 
Franz Schubert - Es war ein könig in Thule

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au bas de l'image...



ou cliquez [ici]

"Es war ein König in Thule,

Gar treu bis an das Grab,
Dem sterbend seine Buhle

Einen goldnen Becher gab.

Es ging ihm nichts darüber,

Er leert' ihn jeden Schmaus;
Die Augen gingen ihm über,

So oft er trank daraus.

Und als er kam zu sterben,

Zählt' er seine Städt' im Reich,
Gönnt' alles seinen Erben,

Den Becher nicht zugleich.

Er saß bei'm Königsmahle,

Die Ritter um ihn her,
Auf hohem Vätersaale,

Dort auf dem Schloß am Meer.

Dort stand der alte Zecher,

Trank letzte Lebensgluth,
Und warf den heiligen Becher

Hinunter in die Fluth.

Er sah ihn stürzen, trinken

Und sinken tief ins Meer,
Die Augen täten ihm sinken,

Trank nie einen Tropfen mehr."

Goethe, 1774

et sa traduction :

  Charles Gounod - Faust

Pour regarder et écouter,
cliquez sur la flèche au bas de l'image...



ou cliquez [ici]

 "Il était un roi de Thulé
À qui son amante fidèle

Légua, comme souvenir d’elle,

Une coupe d’or ciselé.

C’était un trésor plein de charmes
Où son amour se conservait :
À chaque fois qu’il y buvait
Ses yeux se remplissaient de larmes.

Voyant ses derniers jours venir,
Il divisa son héritage
Mais il excepta du partage
La coupe, son cher souvenir.

Il fit à la table royale
Asseoir les barons dans sa tour ;
Debout et rangée alentour,
Brillait sa noblesse loyale.

Sous le balcon grondait la mer.
Le vieux roi se lève en silence,
Il boit, frissonne, et sa main lance
La coupe d’or au flot amer !

Il la vit tourner dans l’eau noire,
La vague en s’ouvrant fit un pli,
Le roi pencha son front pâli…
Jamais on ne le vit plus boire."

traduction : Gérard de Nerval



La lumière, l'eau et les foulques (Chapitre V)
Lac de Saint-Point et La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
mars - avril - mai 2014


Dans la cascade


En flou-filé

Sur le Drugeon

Combats

Deux contre deux

Sillage

Caché !

Essorage

Reflet

Sous l'aile



Pour voir les chapitres précédents,
cliquez sur les images ci-dessous
(ou sur chaque [numéro])

[numéro 260] :

Attitudes de Foulques macroules - Lac de Saint Point (Haut-Doubs)

Texte : L'avenir de l'eau - Erik ORSENNA

Musique : Symphonie n° 3 - Brahms

Mardi 29 mars 2011

[numéro 267] :

La lumière, l'eau et les Foulques (Chapitre I) - La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

Texte : Désert - JMG le Clézio

Musique : JS Bach - Cantate BWV 66

Mardi 17 mai 2011

[numéro 270] :

la lumière, l'eau et les Foulques (Chapitre II)- La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

Texte : Malicroix - Henri Bosco

Musique : Les Ogres de Barback - Printemps

Mardi 7 juin 2011

[numéro 278] :

La lumière, l'eau et les Foulques (chapitre III) - La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)

Texte : Walden ou la vie dans les bois - HD Thoreau

Musique : Vivaldi - In furore iustissimae irae

Mardi 2 août 2011

[numéro 310] :

La lumière, l'eau et les Foulques (chapitre IV) - Haut-Doubs

Texte : L'ombre du vent - Carlos Ruiz Zafón

Musique : Folies d'Espagne - Marin Marais

Mardi 20 mars 2012


Petits textes (trois extraits d'un même livre) :

"Lorsque les deux policiers se retrouvèrent dans la voiture, après être sorti du temple, Nina se tourna vers son collègue.

- Klemet, il m'a semblé que tu avais du mal avec ce pasteur.

Le policier la regarda longuement avant de répondre. Il mit l'index sur la bouche.

- Chuuut. Pas maintenant. Tu vas me gâcher le moment le plus magique de l'année.

Nina le regarda sans comprendre. Klemet ramassa le Finnmark Dagblad du jour et lui montra la dernière page, celle de la météo. Nina comprit aussitôt et sourit. Elle regarda sa montre. Il restait moins d'un quart d'heure. Klemet conduisait rapidement. Il dépassa le commissariat, continua jusqu'à la sortie de Kautokeino et emprunta un sentier qui serpentait sur le haut de la colline qui dominait le village. Il s'arrêta enfin. Des voitures et des motoneiges étaient déjà garées là. Certains habitants du village avaient déployé des peaux de rennes et s'étaient installés avec des thermos et des sandwichs. Des enfants couraient en criant, leur mère leur dit de se taire. Les gens étaient couverts de parkas, de couvertures, de chapkas. Certains sautaient sur place. Aucun ne détournait le regard de l'horizon. La lueur magnifique se reflétait de plus en plus ardemment sur quelques rares nuages qui reposaient mollement au loin. Nina était saisie. Elle regarda sa montre. 11h13. On voyait maintenant nettement un halo vibrionnant troubler le point d'horizon que chacun fixait. Nina eut le réflexe de plonger la main dans la poche de sa combinaison, mais elle se retint de demander à Klemet de prendre une photo, en voyant l'émotion évidente de son collègue. Elle le prit discrètement en photo et se tourna pour profiter de l'instant. Les enfants s'étaient tus, le silence était impressionnant, à la hauteur de l'instant. Nina ne connaissait pas ce phénomène dans le sud de la Norvège, mais elle en ressentait pourtant pleinement la puissance charnelle et même spirituelle. Elle s'adossa comme Klemet à la voiture pour s'offrir, enfin, aux premiers rayons du soleil. Elle tourna la tête. Klemet était recueilli, les yeux plissés. Le soleil avait de la difficulté à décoller. il demeurait à proximité de l'horizon. Klemet paraissait maintenant observer son ombre dans la neige, comme s'il découvrait une magnifique œuvre d'art. Puis les enfants se remirent à jouer, des adultes à se taper dans les mains ou à sauter sur place. Le soleil avait tenu parole. Tout le monde était rassuré. L'attente, quarante journées sans ombre, n'avais pas été vaine...

[...]

En peu de temps ils eurent rejoint le campement, de l'autre côté du sommet. Nina resta assise un moment sur son scooter, après en avoir éteint le moteur. Elle était fascinée par ce qu'elle voyait. Le campement était composé de trois tentes couvertes de branchages, de terre et de mousse. De la plus grande d'entre elles s'échappait une fumée par l'ouverture du sommet. A côté de la tente la plus éloignée, Nina aperçut un enclos où une dizaine de rennes s'étaient mis à tourner en rond à leur arrivée. Ils montraient leur inquiétude, peu habitués sans doute aux moteurs. Nina ne voyait pas de scooter. Elle avait l'impression de découvrir une carte postale d'avant-guerre, comme sur le livre sur les Sami qu'elle avait feuilleté à Kiruna. Des campements comme celui-ci n'existaient plus. Même si elle n'avait pas encore tout vu, les bergers qu'elle avait rencontrés jusqu'à présent ne se refusaient pas un minimum de confort. Aslak, si. Cette homme était d'une autre trempe. A côté de l'entrée, il y avait une sorte d'échafaudage où étaient suspendus des quartiers de viande séchés au vent, qui devaient être durs comme de la pierre.

Nina sentait qu'elle allait entrer dans un monde qu'elle n'avait jamais soupçonné, bien plus encore qu'avec les autres éleveurs de rennes. Elle allait franchir une nouvelle frontière. Le vent la poussait vers l'entrée tandis que résonnaient à ses oreilles les cris d'Aslak sur un Klemet impassible, le coup de fusil, ce hurlement terrifiant dont elle sentait qu'elle allait bientôt découvrir la source. Aslak se baissa le premier pour entrer. Il disparut dans une semi-obscurité. Puis il souleva une épaisse bâche qui faisait office de porte. Elle s'apprêtait à se courber quand elle tourna son regard vers lui. Il la fixait, les yeux noirs pétillant d'intensité au milieu de ses rides profondes, le visage buriné et à moitié enfoui sous cette barbe drue. Nina ne savait interprêter ce regard qui ne bougeait pas. Elle se baissa, avança, fit deux pas et se retouva devant l'âtre. Elle toussa aussitôt, gênée par la fumée qui envahissait l'espace. Elle aperçut un emplacement libre à gauche et alla s'y placer. Au niveau du sol, l'air était respirable. Elle se débarrassa de sa chapka, et elle déployait ses cheveux blonds quand Aslak entra à son tour. En percevant à nouveau le regard d'Aslak sur elle, elle se sentit soudain gênée d'exposer sa chevelure, comme si elle montrait quelque chose d'indécent. Elle se dépêcha de les attacher, et s'en voulut aussitôt. Aslak restait silencieux, attendant qu'elle s'installe. Nina se sentait tellement loin de tout ce qu'elle connaissait qu'elle se sentait incapable d'ouvrir la bouche. Ses yeux commençaient à s'habituer à la pénombre et ce fut alors seulement qu'elle distingua, de l'autre côté de l'âtre, une forme qui bougeait. Elle se déplaça un peu et vit une femme, engoncée dans une lourde tenue en peau de renne et coiffée d'une chapka nouée sous le menton légèrement fuyant, les pommettes hautes, moins marquées qu'Aslak toutefois, et des yeux en amande qui auraient été magnifiques s'ils n'avaient été aussi éteints, se dit Nina. Ces yeux vides étaient boulversants, pensa Nina. Sans savoir pourquoi, elle fut certaine que c'était elle qui avait crié tout à l'heure. La femme ne semblait même pas avoir remarqué leur présence. Elle se tourna lentement, prit une bûche et la posa délicatement dans l'âtre. Nina la regardait, gênée par son attitude. Elle ne paraissait pas blessée, tout au plus... lointaine, absente, détournée de ce monde. Elle poussa soudain un très long soupir. Nina retint sa respiration, craignant d'entendre à nouveau le cri. Mais rien ne vint. Son regard fixé sur les flammes gardait la même immobilité.

- C'est ma femme, dit Aslak. Elle ne parle pas. Elle est ailleurs...

[...]

Aslak Gaupsara soufflait régulièrement, profondément, progressant d'un mouvement monotone. Ses skis glissaient presque sans bruit. Il lui restait à s'assurer d'un dernier vallon afin d'être sûr qu'un petit troupeau de rennes qui s'y était engagé la veille avait toujours de quoi manger. Aslak aimait sentir son corps répondre sans renâcler aux sollicitations les plus poussées qu'il en exigeait. Il n'était pas pressé. Sa journée était presque finie. Il ne s'inquiétait pas trop pour ses rennes. Ils étaient à son image. Durs à la tâche, capables de survivre dans les conditions les plus extrêmes, insensibles au froid, résistants comme aucun. Ils pouvaient trouver le lichen jusqu'à deux mètres de profondeur sous la neige, marcher des jours sans manger pour trouver un pâturage. Et pourtant on ne trouvait pas sur tout le vidda un troupeau plus discipliné, plus attentif à son berger. Aslak avait trois chiens pour le seconder, mais ceux-là étaient aussi de la même pâte. Ils savaient où trouver les faons égarés, ramener dans le droit chemin les rennes rebelles ou barrer des sentiers dangereux, reniflant avant quiconque les risques du vidda. Tous vivaient en parfaite harmonie avec la nature qui les entouraient. Aslak n'était pas éduqué. Il n'était pas de ceux, de ces jeunes qu'il avait pu croiser parfois les jours de marché à Kautokeino, qui idéalisaient cette vie. Il n'y avait rien à idéaliser. C'était sa vie. Il avait compris qu'il était différent des autres. Et il avait aussi compris qu'en vivant comme il l'avait toujours fait, comme l'avaient fait les siens auparavant, il suscitait souvent des réactions violentes. On lui demandait souvent pourquoi il refusait le progrès. Aslak ne comprenait pas très bien ce que cela signifiait. Il voyait les autres éleveurs qui faisaient le même travail que lui avec des scooters, des quads, des hélicoptères même, des colliers électroniques équipés de GPS. Pour payer tout leur matériel, il leur fallait de gros troupeaux qui avaient besoin de territoires énormes pour paître. Et tout ça entraînait des conflits entre bergers, sous l'oeil malicieux des autorités qui avaient là un moyen idéal de maintenir la pression et d'en faire ce qu'ils voulaient, sous prétexte de maintenir la paix sur le vidda. C'était ça le progrès ? Devenir esclave de déclarations à remplir, rendre des comptes à des gens qui ignoraient tout de leur vie ? Les petits bergers comme Mattis, qui avaient voulu vivre leur vie tranquillement, sans faire de bruit, on ne leur avait pas laissé le choix. Aslak s'arrêta un instant et s'appuya sur ses bâtons. Il ferma les yeux et, dans ses gants, serra les poings. Un observateur extérieur aurait pensé qu'il se recueillait, tant il parut alors tourné vers lui-même, avec une intensité telle qu'elle rayonnait en dépit de son allure humble. Mattis, pensa-t-il en se redressant. Pauvre âme. Il repartit.

Certaines années, les rennes d'Aslak pouvaient être maigres, mais jamais faméliques. Ils gardaient toujours une prestance qui les différenciait des bêtes trop longtemps abandonnées à leur sort par des bergers qui se levaient trop tard ou trop pressés de retrouver la chaleur de leur gumpi. Aslak s'arrêta sur la crête. Il ne voyait presque rien, mais il savait ce qu'il cherchait. Son chien le menait infailliblement. Après un quart d'heure, il aperçut le vieux renne. C'était l'un de ses rennes de tête les plus endurants, les plus sages aussi. Une bête qui amenait toujours son groupe là où il fallait, même si c'était au prix d'efforts insensés. Aslak avait confiance en lui. S'il était là, c'est qu'il y avait encore du lichen en quantité suffisante. Il s'approcha doucement. Son chien savait, et restait à bonne distance. Il savait que lorsque son maître approchait du grand renne, il devait se tenir en retrait.

A l'approche d'Aslak, le grand renne releva la tête, surmontée de bois épais et gracieux. Il fit quelques pas pour s'éloigner, lentement, et le toisa à nouveau. Aslak jeta un oeil alentour. Les rennes qu'il apercevait creusaient la neige qui dans ce vallon n'était pas tombé en abondance. Ils paraissaient y accéder facilement. Ils pourraient encore rester là quelques jours. Son grand renne avait bien choisi son emplacement. Satisfait, Aslak fit demi-tour, suivi par son chien. Il reprit la route de son campement. Sa femme allait bientôt avoir besoin de lui. Comme tous les jours, comme tout le temps. Il redoubla d'énergie, poussant sur ses bâtons, insensible à l'air glacé qui s'engouffrait dans sa gorge..."

Olivier Truc - Le Dernier Lapon



Voir la liste des anciens numéros du"Trochiscanthe nodiflore" (les archives) : cliquez [ici]

Site internet : Rencontres sauvages

Me contacter : pascal@pascal-marguet.com

Calendrier 2014 : Pour le télécharger directement au format pdf (1000 ko), cliquez [ici]

 

Pour vous désinscrire, vous pouvez m'envoyer un e-mail (en répondant à ce message) avec pour objet "désinscription",

ou en cliquant

[ici]

Pour partager cette page sur "FaceBook", cliquez sur le bouton ci-dessous :



Rejoignez-moi sur "FaceBook" en cliquant sur le lien suivant :

[http://www.facebook.com/marguet.pascal]