Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°400 (2014 - 01)

Mardi 7 janvier 2014

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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  Francis POULENC -
Litanies à la Vierge noire

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Je viens de mettre en ligne un calendrier pour
cette nouvelle année 2014.

Pour le télécharger directement au format pdf
(800 ko)
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(puis imprimer-le sur du papier cartonné)

Les images ci-dessous en constituent les illustrations.

Bonne et heureuse année 2014

à toutes et tous.

Merci de votre fidélité.



  L'Etang de la Rivière-Drugeon
(Haut-Doubs)

Janvier

Février

Mars

"Au cours de ces dernières années, j'ai eu de nombreuses occasions d'étudier, entre autres de mon bureau, les Moineaux domestiques et les Moineaux friquets, deux espèces caractéristiques de la banlieue. Un hiver, il y a quatre ans, j'ai décidé d'essayer de parvenir à une sorte de connaissance définitive du moineau, de sa couleur, de son dessin, de sa forme, de ses mouvements et donc de son aspect général. Les oiseaux sont présents devant ma fenêtre pratiquement en permanence et, d'ordinaire, j'ai un carnet de croquis sur mon bureau. Or, à mon grand étonnement, il me semble que je trouve sans cesse de la nouveauté dans les traits, les formes, les couleurs, les combinaisons de dessins, les comportements, les postures et les angles de vue. Je ne parviens même pas à obtenir une représentation définitive d'une espèce aussi connue que le Moineau !"

Lars JONSSON - La Lumière et les Oiseaux

Avril

Mai

Juin

Juillet

Août

Septembre

Octobre

Novembre

Décembre

Bonus
(pour la carte de voeux !)

"Les jours commencent et finissent dans une heure trouble de la nuit. Ils n'ont pas la forme longue, cette forme des choses qui vont vers des buts : la flèche, la route, la course de l'homme. Ils ont la forme ronde, cette forme des choses éternelles et statiques : le soleil, le monde, Dieu. La civilisation a voulu nous persuader que nous allons vers quelque chose, un but lointain. Nous avons oublié que notre seul but, c'est vivre et que vivre nous le faisons chaque jour et tous les jours et qu'à toutes les heures de la journée nous atteignons notre but véritable si nous vivons. Tous les gens civilisés se représentent le jour comme commençant à l'aube ou un peu après, ou longtemps après, enfin à une heure fixée par le début de leur travail ; qu'il s'allonge à travers leur travail, pendant ce qu'ils appellent "toute la journée" ; puis qu'il finit quand ils ferment les paupières. Ce sont ceux-là qui disent : les jours sont longs.

Non, les jours sont ronds.

Nous n'allons vers rien, justement parce que nous allons vers tout, et tout est atteint du moment que nous avons tous nos sens prêts à sentir. Les jours sont des fruits et notre rôle est de les manger, de les goûter doucement ou voracement selon notre nature propre, de profiter de tout ce qu'ils contiennent, d'en faire notre chair spirituelle et notre âme, de vivre. Vivre n'a pas d'autre sens que ça..."

Jean GIONO - Rondeur des Jours



Petit texte :

« Tout commençait à Beyrouth. Une fois son voyage payé, il avait fallu attendre que le bateau soit prêt. Les passeurs lui avaient dit qu’ils la recontacteraient et l’avaient laissée à la ville. Elle avait erré dans ces rues inconnues, des journées entières, pour tuer le temps. La faim et la fatigue la tenaient mais elle se concentrait sur son départ et sur son fils – un petit garçon de onze mois qui pleurait dans la chaleur de ces jours sans fin. Combien de temps avait duré cette attente ? Elle ne s’en souvenait plus. Il lui semblait que les heures passaient avec la lenteur des montagnes qui s’étirent.

Et puis un soir, enfin, elle fut amenée jusqu’au bateau. Une petite camionnette la déposa à l’extrémité d’un grand port de marchandises. Des groupes d’hommes attendaient sur le quai. Elle s’approcha. Le bateau lui sembla énorme. C’était une haute silhouette immobile, et cette taille imposante la rassura. Elle se dit que les passeurs avec qui elle avait traité devaient être sérieux et accoutumés à ces traversées s’ils possédaient de tels bateaux.

On la fit attendre sur le quai, au pied du monstre endormi. Les camionnettes ne cessaient d’arriver. Il en venait de partout, déposant leur chargement humain et repartant dans la nuit. La foule croissait sans cesse. Tant de gens. Tant de silhouettes peureuses qui convergeaient vers ce quai. Des jeunes hommes pour la plupart. N’ayant pour seule richesse qu’une veste jetée sur le dos. Elle aperçut également quelques familles et d’autres enfants, comme le sien, emmitouflés dans de vieilles couvertures. Cela aussi la rassura. Elle n’était pas la seule mère. Elle trouverait de l’aide si elle en avait besoin.

Tout le monde parlait à voix basse. Les passeurs avaient donné des ordres. Il fallait se taire. Mais dans l’excitation du départ, les hommes ne pouvaient s’empêcher de murmurer. Des langues inconnues bruissaient dans la foule. Il y avait là de tout. Des irakiens. Des Afghans, des Iraniens, des Kurdes, des Somalis. Tous impatients. Tous possédés par un étrange mélange de joie et d’inquiétude.

L’équipage était constitué d’une dizaine d’hommes, silencieux et pressés. Ce sont eux qui donnèrent le signal de l’embarquement. Les centaines d’ombres confluèrent alors vers la petite passerelle et le bateau s’ouvrit. Elle fut une des premières à embarquer. Elle s’installa sur le pont contre la rambarde et observa le lent chargement de ceux qui la suivaient. Ils ne tardèrent pas à être serrés les uns contre les autres. Le bateau ne semblait plus aussi vaste que lorsqu’elle était sur le quai. C’était maintenant un pont étroit piétiné par des centaines d’hommes et de femmes. Elle tenta de garder un peu de place pour son bébé mais les corps, autour d’elles, la pressaient sans cesse davantage. Cette incommodité ne la fit pas flancher. Elle se dit que cela durerait qu’une nuit ou deux. Que ce temps-là n’était rien dans une vie. Qu’elle se souviendrait bientôt de cette traversée comme d’une incroyable épopée. Qu’elle en parlerait en souriant lorsqu’elle serait installée de l’autre côté, à Rome, à Paris ou à Londres, et que tout serait accompli.

Ils levèrent l’ancre au milieu de la nuit. La mer était calme. Les hommes, en sentant la carcasse du navire s’ébranler, reprirent courage. Ils partaient enfin. Le compte à rebours était enclenché. Dans quelques heures, vingt-quatre ou quarante – huit au pire, ils fouleraient le sol d’Europe. La vie allait enfin commencer. On rigolait à bord. Certains chantèrent les chants de leur pays. Elle ne se souvenait plus avec précision de cette première nuit sur le navire – ni de la journée qui suivit. Il faisait chaud. Ils étaient trop serrés. Elle avait faim. Son bébé pleurait. Mais ce n’était pas ce qui comptait. Elle se serait sentie capable de tenir des jours entiers ainsi. Le nouveau continent était au bout. Et la promesse qu’elle avait faite à son enfant de l’élever là-bas était à portée de main. Elle aurait tenu, vaille que vaille, pourvu qu’elle ait pu se raccrocher à l’idée qu’ils se rapprochaient, qu’ils ne cessaient, minute après minute, de se rapprocher. Mais il y eut ces cris poussés à l’aube du deuxième jour, ces cris qui renversèrent tout et marquèrent le début du second voyage. De celui-là, elle se rappelait chaque instant. Depuis deux ans, elle le revivait sans cesse à chacune de ses nuits. De celui-là, elle n’était jamais revenue.

Les cris avaient été poussés par deux jeunes Somalis. Ils s’étaient réveillés avant les autres et donnèrent l’alarme. L’équipage avait disparu. Ils avaient profité de la nuit pour abandonner le navire, à l’aide de l’unique canot de sauvetage. La panique s’empara très vite du bateau. Personne ne savait piloter pareil navire. Personne ne savait, non plus, où l’on se trouvait. A quelle distance de quelle côte ? Ils se rendirent compte avec désespoir qu’il n’y avait pas de réserve d’eau ni de nourriture. Que la radio ne marchait pas. Ils étaient pris au piège. Encerclés par l’immensité de la mer. Dérivant avec la lenteur de l’agonie. Un temps infini pouvait passer avant qu’un autre bateau ne les croise. Les visages, d’un coup, se fermèrent. On savait que si l’errance se prolongeait, la mort serait monstrueuse. Elle les assoifferait. Elle les éteindrait. Elle les rendraient fou à se ruer les uns contre les autres.

Tout était devenu lent et cruel. Certains se lamentaient. D’autres suppliaient leur Dieu. Les bébés ne cessaient de pleurer. Les mères n’avaient plus d’eau. Plus de force. Plus les heures passaient et plus les cris d’enfants faiblissaient d’intensité – par épuisement- jusqu’à cesser tout à fait. Quelques bagarres éclatèrent, mais les corps étaient trop faibles pour s’affronter. Bientôt, ce ne fut plus que silence.

Le premier mort fut un Irakien d’une vingtaine d’années. D’abord, personne ne sut que faire, puis les hommes décidèrent qu’il fallait jeter les morts à la mer. Pour faire de la place et éviter tout risque d’épidémie. Bientôt, ces corps plongés à l’eau furent de plus en plus nombreux. Ils passaient par-dessus bord les uns après les autres et chacun se demandait s’il ne serait pas le prochain. Elle serrait de plus en plus fortement son enfant dans ses bras, mais il semblait ne plus rien faire d’autre que dormir. Une femme, à côté d’elle, lui tendit une bouteille dans laquelle il restait quelques gouttes d’eau. Elle essaya de faire boire le nourrisson mais il ne réagit pas. Elle lui mouilla les lèvres mais les gouttes coulèrent le long de son menton. Elle sentait qu’il partait et qu’il fallait qu’elle se batte bec et ongles. Elle l’appela, le secoua, lui tapota les joues. Il finit par râler, distinctement. Un petit râle d’enfant. Elle n’entendait plus que cela. Au-dessus du brouhaha des hommes et du bruissement des vagues, le petit souffle rauque de son enfant lui faisait trembler les lèvres. Elle supplia. Elle gémit. Les heures passèrent. Toutes identiques. Sans bateau à l’horizon. Sans retour providentiel de l’équipage. Rien. La révolution lente et répétée du soleil les torturait et la soif les faisait halluciner.

Elle était incapable de dire quand il était mort.

Elle était restée dans la même position pendant des heures, lui chantant des comptines, l’appelant par son nom, lui jurant qu’il s’en sortirait. Puis les gens qui l’entouraient lui avaient tapé sur l’épaule. Elle avait vu dans leur regard ce qu’ils pensaient. Elle avait hurlé de la laisser tranquille, de ne pas l’approcher, qu’elle allait le réveiller.

Plus tard, ils avaient essayé de nouveau, répétant qu’il ne fallait pas garder les morts sur le bateau. De quoi parlaient-ils ? Ce n’était pas un mort qu’elle tenait dans ses bras, c’était son enfant.. Elle ne comprenait pas. Et puis deux hommes étaient venus et l’avaient forcée. Ils l’avaient obligée à desserrer son emprise. Elle se défendit. Elle cracha et mordit . Mais ils étaient plus forts qu’elle. Ils réussirent à lui prendre l’enfant et, sans un mot, le jetèrent par-dessus bord. Elle se souvenait encore du bruit horrible de ce corps aimé, embrassé, touchant l’eau.

Son esprit assommé ne pensa plus à rien. La fatigue l’envahit. A partir de cet instant, elle renonça. Elle se laissa glisser dans un coin, s’agrippa à la rambarde et ne bougea plus. Elle n’était plus consciente de rien. Elle dérivait avec le navire. Elle mourait, comme tant d’autres autour d’elle, et leurs souffles fatigués s’unissaient dans un grand râle continu.

Ils dérivèrent jusqu’à la troisième nuit. La frégate italienne les intercepta à quelques kilomètres de la côte des Pouilles. Au départ de Beyrouth, il y avait plus de cinq-cents passagers à bord. Seuls trois cent quatre-vingt-six survécurent. Dont elle. Sans savoir pourquoi. Elle qui n’était ni plus forte, ni plus volontaire que les autres. Elle à qui il aurait semblé juste et naturel de mourir après l’agonie de son enfant. Elle qui ne voulait pas lâcher la rambarde parce que se lever, c’était quitter son enfant et elle ne le pouvait pas.

Elle raconta tout cela avec lenteur et précision. Pleurant parfois, tant le souvenir de ces heures était encore vif en elle. Le commandant Piracci ignorait que la femme eût un enfant mais, en d’autres occasions, sur d’autres mers, il avait dû, parfois, arracher des nourrissons inertes à leur mère. Il connaissait ces histoires de mort lente, de rêve brisé. Pourtant le récit de cette femme le bouleversa. Il repensa à cette destinée saccagée, à la laideur des hommes. Il essaya de mesurer la colère qui devait y avoir en elle et il sentit qu’elle était au-delà de toute mesure. Et pourtant, durant tout son récit, elle ne s’était pas départie de la pleine dignité de ceux que la vie gifle sans raison et qui restent debout.

Il repensa à l’argent qu’il avait dans un des livres de sa bibliothèque et il lui demanda : « Que voulez-vous ? » Il lui posa la question avec douceur pour lui faire comprendre qu’elle pouvait demander davantage que ce qu’elle avait peut-être envisagé de faire. Il était bouleversé et il était prêt à donner autant qu’il pouvait.

Elle le regarda droit dans les yeux et sa réponse le laissa stupéfait. Elle lui dit avec une voix posée :

   - Je voudrais que vous me donniez une arme... »

  Laurent GAUDE - Eldorado



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