Petit texte :
"La
Colère d'Achille
Grande
nouvelle : dans un souci d'optimisation des ressources, la commission
scolaire Marie-Victorin a annoncé la fusion des polyvalentes
Longueuil et Gaston-Miron. Dès l'année prochaine, notre
école accueillera exclusivement le premier cycle. Les Spartiates
disparaissent, remplacés par les Aigles. Totale ironie, nos
ennemis jurés joueront dorénavant sur le terrain Mathieu-Saint-Amour.
Dans une lettre ouverte au ton consterné et distribuée
à tous les élèves, le directeur en a appelé
à la mobilisation étudiante pour sauver Gaston-Miron.
Voici ma réplique, telle que publiée en une du Canard
déchaîné, notre journal étudiant.
Je
ne combattrai pas pour Sparte
Ainsi
donc, Sparte va se faire avaler par l'Aigle romain. Et Léonidas
nous conscrit sous les drapeaux pour livrer bataille. Désolé,
mais je ne combattrai pas pour Sparte. Lorsque j'ai voulu joindre
les rangs de l'équipe en secondaire I, les Spartiates n'avaient
pas besoin de moi. En tout franchise, je suis bien content de quitter
Gaston-Miron. La véritable éducation spartiate était
fondée sur l'excellence et le dépassement de soi. En
cinq ans, je n'ai reçu aucun appel au dépassement. En
ce sens, la réforme est une complète faillite.
Et ne blâmez pas les créatures pour leur paresse et leur
béotisme. Nous ne sommes que les Frankenstein du ministère
de l'Education. Un pur produit d'expérience ratées par
les savants fous du Complexe G. Résultat : une génération
de petits empereurs qui pavanent leur nudité intellectuelle
avec ostentation. Mais ne nous blâmez pas. La culture du vécu
et la hantise de l'élite font croire aux ignorants que leur
pensée vaut celle de Kant et de Socrate. En évacuant
l'effort et la connaissance de l'école, les pédagogues
ont tué l'apprentissage. Mais une épée ne s'aiguise
pas avec du coton. C'est en la frottant cent fois sur la pierre que
son fil devient tranchant. Confronté à la médiocrité
érigée en système, j'ai fait le minimum. D'un
point de vue scolaire, je considère mon secondaire comme une
totale perte de temps. Tout ce que j'ai appris, je le dois à
mes lectures hors classe.
Monsieur le directeur, à deux mois de la fin, vous voudriez
que je me lève pour sauver votre job ? Non, Agamemnon, je ne
me battrai pas pour toi. Ni Nestor, ni aucun autre super héraut
ne me fera changer d'avis. Je suis Achille et ma colère est
grande. Je garde de mon secondaire quelques amitiés et le souvenir
d'un vrai guerrier : Mathieu Saint-Amour. J'emporte aussi Miron comme
butin de guerre : « Chacun ses pieds dans ses pas.
Chacun ses os au cimetière. » Pour le reste,
Sparte peut bien s'écrouler, je n'aurai pour elle aucune larme
à verser.
Vivement le cégep !
Les
réactions n'ont pas tardé. J'ai reçu des textos
de Sam et Louis-Etienne le matin même de la distribution du
journal
Aoutch
! Tu frappes fort et juste.
Bravo !
Dans
les dents !!!:)
En
français, la prof a lu la lettre en la citant comme modèle
de texte argumentatif. Elle a terminé la lecture sous les applaudissements
et les roulements des coups sur les bureaux. Tout le monde me regardait
avec admiration.
J'étais gêné. Je glissais sur ma chaise pour disparaître
sous mon pupitre, mais je triomphais. Après la classe, la prof
m'a lancé :
- Steeve,
je voudrais te parler de ton texte.
Le coeur battant, j'étais enfin dans mon fantasme.
- Tu te doutes bien que le directeur n'est pas content. Vraiment
pas content. Il a tenu une réunion à ton sujet. Il voulait
te punir. On était plusieurs profs à te défendre.
On ne punit pas l'intelligence. Encore moins la vérité.
Ton texte nous fait mal parce qu'il dit la vérité. Je
te félicite pour ta lucidité.
- Merci.
- Un conseil, fais-toi discret d'ici la fin de l'année.
As-tu décidé où tu allais au cégep ?
- Ben, euh, pas vraiment.
- Va en lettres. Tu vas être à ta place. Tu vas
être bon.
Ses lèvres étaient luisantes comme une pomme cirée.
Je n'avais plus de salive.
- Ouan, j'y avais pensé.
Câlisse, qu'elle m'exitait ! Même en la regardant dans
les yeux, je voyais son cul. C'était décidé,
j'irais en lettres au cégep du Vieux-Montréal. Tant
pis pour mes parents qui voulaient que j'apprenne l'anglais au collège
Champlain..."
Biz
- La chute de Sparte
