Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°346 - Mardi 4 décembre 2012

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Haydn -
Symphonie n°6, "le matin"

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Duels d'échassiers au fond de la roselière
Etang de La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs)
dimanche 4 et 18 novembre 2012

Grande Aigrette, pêchant dans les roseaux, au fond de l'étang.

Chassée par un Héron cendré !

Elle se pose plus près, derrière les Sarcelles et les Colverts.

Elle s'ébroue.

Le Héron s'est posé tout près de l'affût !

Un mouvement de l'objectif : il redécolle lentement !

... pour se poser un peu plus loin.

Grêbe huppé et son jeune (un peu tardif !)

Un morceau de "nénuphar" dans le bec !

Jeune Grèbe huppé : encore rayé !

Autre matinée : même Aigrette (?)

Toilette

A nouveau chassée par le Héron...

Repos, de courte durée

C'est reparti !

Vers d'autres cieux (plus tranquilles ?)



Petit texte :

"Je suis devenu photographe par désespoir et portraitiste par accident. A Tokyo en 1955, où la vie était encore frugale et picaresque. J'avais tâté sans grand succès de divers « petits métiers » et vivotais en rédigeant pour des magazines japonais des articles sur lesquels je suais sang et eau. Je partageais mes maigres piges avec un traducteur également famélique qui n'eut aucun mal à me persuader que si les circonstances (Hiroshima) ne lui avaient été contraires, il aufait fait un meilleur écrivain que moi. A quelques jours de là, un photographe japonais recyclé comme barman – personne alors n'exerçait son véritable métier – me fit remarquer que les photos n'avaient pas besoin d'être traduites, me prêta un vieil appareil à soufflet et développa mes premiers films au coin d'un bar, à l'heure où la rue appartient aux chiffonniers et aux matoux, en secouant élégamment les « shakers » dans lesquels il préparait le révélateur.
Mes premiers clients ont été les commerçants du petit quartier de banlieue où j'habitais, et mes premiers sujets, des portraits. Mes voisins étaient bien trop pauvres pour avoir autre chose que leur tête à photographier. Ni villas, ni voiture, ni chien de race, ni tableaux de maîtres, parfois une enseigne fraîchement repeinte, parfois un vélo flambant neuf : portrait en pied du boucher derrière sa bicyclette archidécorée de grelots et de fanions. Donc surtout des têtes, lavées, rasées, étuvées, qui venaient poser devant mon objectif au sortir du bain vespéral. Fillettes en larmes, un énorme noeud dans leurs cheveux noirs, vieillards aussi ridés que des tortues, le poissonnier, un bandeau blanc à pois bleus noué autour du front perlé de sueur, ou la jeune coiffeuse poitrinaire qu'à force de truquages et de contre-jours j'étais parvenu à transformer en une sorte de star. Portraits de face, évidemment (le profil qui n'est qu'une moitié de visage m'aurait rapporté deux fois moins), et le regard bien planté dans l'objectif. Je ne me souviens pas d'un seul visage vulgaire et les yeux n'exprimaient que douceur, confiance et amusement. C'était l'été où les affaires sont minces, l'argent rare et les kimonos de mariage déposés au «
 clou » depuis longtemps. J'étais payé en nature : six oeufs frais, une petite pieuvre, trois chemises blanchies et amidonnées, une séance chez le masseur. Seules les prostituées du ravissant quartier réservé qui jouxtait le nôtre, et qui sont toujours en fonds, payaient cash ; cela permettait d'acheter la pellicule et d'envoyer du courrier en Europe.

A la réflexion je me demande aujourd'hui si mes voisins avaient vraiment besoin de leur portrait, s'il ne s'agissait pas plutôt d'une conspiration collective pour aider le « robinson » échoué que j'étais à franchir un mauvais pas. C'est bien possible. Tout de même, repassant dix ans plus tard dans ce quartier que j'avais tant aimé, j'ai retrouvé au fond des minuscules boutiques quelques-unes de mes premières « oeuvres » sur lesquelles les punaises rongées de rouille avaient inscrit de larges auréoles. Comment j'ai pu passer de cette humble clientèle à celle plus exigeante des magazines photographiques japonais reste un mystère que je m'explique mal. Mais cet apprentissage, parce qu'il était humain, cocasse et chaleureux, m'a donné pour toujours le goût des visages. Le paysage, le reportage, bien ! Mais seulement lorsqu'il le faut et pour me donner bonne conscience. Je finis toujours par revenir au portrait. Autant on s'irrite de retrouver chaque matin sa propre figure, autant celle des autres est une source inépuisable de réflexions et de satisfactions. Et l'on ne risque pas de rester sur sa faim : il n'existe pas dans le monde deux visages pareils. Pour un observateur expérimenté, même les prétendus « vrais jumeaux » se distinguent au premier coup d'oeil.
Lors de mon second séjour j'ai découvert la campagne et les provinces solitaires du nord et du Japon central. A pied chaque fois que cela était possible, et suivant les petits chemins. Véritables randonnées de chasseur de têtes sous la pluie, la neige, ou un soleil toujours trop chaud. Je pouvais bien être affamé, harassé, crotté, frigorifié par le damné brouillard du mois de mars, quand j'atteignais un village je sortais la caméra et la moitié de la population y passait. Après un instant d'ahurissement, les paysans entraient dans le jeu de bonne grâce : c'est tout juste s'ils n'allaient pas me chercher les invalides et les nourrissons. Puis « 
l'esprit fort » du village (étudiant, flic, maître d'école) arrivait au trot, un petit Yashica sur le ventre et c'était mon tour de jouer les vedettes, dans les rires. A cette époque et dans ces provinces un piéton étranger constituait encore une attraction à ne pas manquer.
De retour à Tokyo, en passant les films sous l'agrandisseur je prenais mon bain de foule : regards d'enfants frais comme des marrons entrouverts, vieux visages tragiques ou nimbés de compassion, croquants édentés et hilares bourrés comme des pétards de malice et de sagacité. Multitude anonyme et réconfortante qui semblait envahir la chambre et dont la bonne compagnie m'a bien souvent défendu contre l'insidieux cafard de l'hiver japonais..."

Nicolas Bouvier - Notes en vrac sur le visage



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