Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°326 - Mardi 17 juillet 2012

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Buritaca -
L'invitation

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Chanson entendue le samedi 23 juin à Embrun,
lors du "Festival du Paysage", au "Plan deau d'Embrun" (Hautes-Alpes)
A noter : Buritaca est une rivière de Colombie...



Radeliers
samedi 23 et dimanche 24 juin 2012
de Saint-Clément sur Durance à Embrun (Hautes-Alpes)

Un des trois radeaux, prêt, au bord de la Durance

Les galets, au bord de la Durance

Une chignole, utilisée pour construire les radeaux

Le "pli couché" de Saint Clément sur Durance

L'eau de la Durance, dans un bassin d'entrainement pour canoé-kayak.

Durance

Vipérine

Coquelicot, au bord de la nationale

Remous sur la Durance

Au matin (le dimanche), dans l'ombre

La "plage" !

Bois flotté

Les Réortes : liens végétaux (du Noisetier) utilisés pour lier les grumes ensemble.

Les réortes sont humidifiées régulièrement pour ne pas sêcher trop vite (et se fragiliser).

Système constructif d'un radeau

Base d'une rame

Tête de Vautisse

Clocher de Saint-Clément

Tour de Saint-Clément

Les trois radeaux ont été mis à l'eau.

Attente

Avant la moisson...

Une "gaffe", outil des radeliers

Les descentes,
prises de la "vague du Rabiou" (Châteauroux les Alpes).

Dans la vague !

Passage de la "radelle"

"on est passé" !!

Passage du "Pont-Neuf"

A travers les feuillages...

"An mir zerrte der Sturm
an jungen Mauern.
Ich brach auf,
die Freiheit zu suchen.
Fand sie als Vögel
une entfloh der Welt.
Jetzt, bin ich wirklich frei."

"La tempête se déchirait dans ces jeunes parois.
Je suis parti a la recherche de la liberté
Comme les oiseaux qui ont fuit le monde
Maintenant, je suis vraiment libre"

Paul Schliessmann (texte gravé au bord de la Durance)

Arrivée à proximité du "Plan d'Eau" à Embrun, sous le Morgon

Statue d'un Radelier,...

... réalisée pour le Festival, à la tronçonneuse, dans un fût de Pin cembro.

Les radeaux, amarrés sous le Mont Orel

Dauphinelle sp.

Vue sur le Parpaillon, depuis la terrasse du restaurant
(où les radeliers se sont retrouvés le soir)

Pour voir les descentes de 2007,

cliquez [ici]

ou [ici] pour voir des images plus anciennes
(et avoir quelques explications sur les Radeliers...)



Petit texte :

"Ils levèrent le camp à l'aube. Le port du châtaignier était encore plein d'ombre.
Le besson défaisait le noeud d'amarre.
- Attendez, mes beaux enfants, dit Antonio.
Il entra dans l'eau. Elle était éclairé par le reflet du jour levant sur les yeuses. Sur le fond de roche un truite bleue battait lentement des ouies. Elle dormait. Il lui carressa le ventre puis il serra sous les nageoires de tête et il la dressa en l'air toute fouettante.
- L'avoine est bonne, dit le besson. Voilà que les poulains se mettent à jouer dès l'aube.
« C'est vrai, se dit Antonio, voilà que je joue dans le monde maintenant ».
Le besson dénoua soigneusement le noeud, il roula la corde, il arrangea les paquets, il essaya l'aplomb du radeau.
Antonio regardait la truite prise. Elle battait encore de la queue, elle ouvrait ses nageoires roses, elle les claquait, elle bâillait avec du sang dans les dents.
- C'est pour le diner, dit-il.
- A quatre ? demanda le besson.
- J'en pêcherai d'autres, dit Antonio.
- Je veux arriver demain matin, dit le besson.
Des brumes traînaient sur le fleuve et dans la montagne pleine d'un mystère d'argent. Le monde commençait à chanter doucement sous les arbres.
Antonion regardait la pointe d'Uble. Elle était toute propre, haut dans le ciel, nette comme le bout d'un doigt.
- Hier soir, il y avait quelqu'un là-haut, dit-il.
Le besson s'arrêta de faire danser le radeau.
- Je crois, dit-il, que la bataille est finie.
Il avait mis ses mains sur ses hanches, tournait la tête de droite et de gauche comme un homme qui compte autour de lui le travail du jour.
- Je veux arriver demain matin, dit-il, monter à Nibles et commencer. Il me faut seize kilos de clous, trente charnières à trois par fenêtre et par porte, deux serrures. En attendant, Gina couchera dans la maison de Charlotte.
Le matin fleurissait comme un sureau.
Antonio était frais et plus grand que nature, une nouvelle jeunesse gonflait le feuillage.
« Voilà qu'il a passé l'époque de verdure », se dit-il.
Il entendait dans sa main la truite en train de mourir. Sans bien savoir au juste, il se voyait dans son île, debout, dressant les bras, les poings illuminés de joies arrachées au monde, claquantes et dorées comme des truites prisonnières. Clara assise à ses pieds lui serrait les jambes dans ses bras tendres.
- Jeunesse, dit-il.
- Tout fini, dit le besson.
- Je me parle, dit Antonio.
Le radeau sortait du port à la perche. Une risée de courant l'enleva comme il émergeait de l'ombre et il entra dans le printemps.
Antonio reprit le gouvernail.
Les arbres appelèrent. Un peuplier disait :
« Adieu, adieu, adieu », avec ses petites feuilles neuves et le peu de vent.
Un sapin noir à moitié enfoncé dans le fleuve haussa sa gueule d'ombre ruisselante d'eau.
« Où allez-vous, les grands enfants, où allez-vous les grands enfants ».
Vers le milieu du jour ils traversèrent le large verger de châtaigniers qui barrait le fleuve. Ils l'abordèrent doucement, sans bruit. Ils courbèrent le dos, le radeau glissa sous les arbres. Une grande chose était en train de s'accomplir ici. Les feuillages touchaient presque le fleuve. Ils étaient pleins de soleil mais la grande illumination venait des fleurs. Des étoiles. Comme celles du ciel, plus larges que la main avec une odeur de pâte des hommes et des femmes qui font l'amour ! L'eau calme était couverte de poussière jaune. Le radeau écartait des brouillards de pollen.
Clara tourna son visage vers Antonio.
- Tonio !
Elle avait presque crié avec un roucoulement dans la gorge comme les pigeonnes.
Elle resta lèvres entrouvertes à mordre le nom.
Antonion conduisait.
Il regardait là devant le mystère des ombres et l'éclat des fleurs. Il faisait entrer le radeau dans l'ombre puis dans la lumière. Il savait si Clara voulait l'ombre. Il le voyait au mouvement de cette bouche, au pli qui courait sur la joue, au soupir. Il poussait le radeau dans l'ombre. Il savait si Clara voulait la lumière. Il poussait le radeau dans la lumière. Il savait si Clara voulait des branches. Il poussait le radeau dans les feuillages bas et le visage de Clara écartait les feuilles fraîches. Il sentait qu'elle avait soudain besoin, grand besoin tout de suite de fleurs, de cette odeur de bête chaude et il tirait la barre de toutes ses forces, et le radeau frappait du flanc contre le tronc des arbres, et la poussière des fleurs tombait sur Clara, et elle avait alors de longs soupirs sombres et un grand détachement dans son corps comme si tous ses nerfs se dénouaient.
Il était dans Clara. Il savait ce qu'elle voulait mieux qu'elle. Il voulait ce qu'elle voulait. Sa joie était sa joie. Il était entouré d'elle. Son sang touchait son sang, sa chair contre sa chair, bouche à bouche, comme deux bouteilles qu'on vide l'une dans l'autre et puis on renverse encore et elles s'illuminent l'une l'autre avec le même vin.
A la proue, le besson était assis.
Gina le regardait. Elle avait des élans vers lui, puis elle se mordait les lèvres et elle tordait ses mains.
Lui, les bras pendants, attendait qu'on ait traversé.
Antonio pensait :
« Là-bas devant le trou d'ombre. Elle ne sait pas que je vais la lancer là-dedans. »
Il tirait la barre. Clara frissonnait.
« Elle commence à savoir », pensait-il.
Il guettait sur le visage l'approche de la fraîcheur. Puis, d'un seul coup, il poussait le radeau en plein dans le gouffre d'ombre, la farine des fleurs poissait les cils, les feuilles raclaient les joues, les branches craquaient, Clara gémissait :
- Tonio ! dans le craquement des branches.
Elle le remerciait avec son sourire, son halètement, sa façon de mordre son nom au blanc des dents.
Enfin, au fond des arbres, Antonio vit le grand jour et l'eau libre. Il sentit que Clara avait faim et soif de finir.
Il lança le radeau hors du verger, dans un énorme soleil dont le poids faisait frémir comme du froid.

Clara revint se coucher entre les bagages.
- Approche-toi, dit Gina.
Et elle la serra dans ses bras. Elle appuya sa tête contre ses seins. Elle resta là à respirer du même souffle long.
Clara lui caressa les joues.
- Tu pleures ?
- Oh ! non, dit Gina, c'est le soleil.
Elles s'allongèrent toutes les deux sur leur lit de couvertures et elles commencèrent à dormir, doucement. De temps en temps elles soupiraient.
Vers le soir le guetteur apparut à la pointe d'Uble. On le voyait bien maintenant. Ce n'était pas un arbre. C'était un gros homme à cheval. Il était seul. Il regarda passer le radeau devant lui, au fond de la vallée. Il le regarda s'éloigner vers le sud puis s'effacer dans la nuit."

Jean GIONO - Le Chant du Monde



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