Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°311 - Mardi 27 mars 2012

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Heinichen -
Messe n°12

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Hiver
(chapitre II)
Courvières (Haut-Doubs)

mardi 28 février 2012

Ces quelques images résume une sortie matinale autour de ma "ferme".

Calvaire à la sortie du village...

Courvières et son église

Aubépine

Pâtures

Equipements agricoles, en attente de jours meilleurs...

Eglantier et clôture

Arbre et clocher

Auge

Neige et glace

Sculptés par le vent, les animaux...

Ombres

Karnak

Chapelle, perdue dans la lande...

Rochers

Rocher et chapelle

Désolé pour cette douloureuse (pour certain(e)s !) piqure de rappel
en cette période de passage à l'heure (d'été !) et de soleil printanier !!

"Mon pays, ce n'est pas un pays, c'est l'hiver !"
(Gilles Vigneault)



Petit texte :

"Le photographe ne cesse pas de photographier Hawa. Il change d'appareil, il mesure la lumière, il appuie sur la détente. Le visage de Hawa est partout, partout. Il est dans la lumière du soleil, allumé comme une gloire dans le ciel d'hiver, ou bien au cœur de la nuit, il vibre dans les ondes des postes de radio, dans les messages téléphoniques. Le photographe s'enferme tout seul dans son laboratoire, sous la petite lampe orange, et il regarde indéfiniment le visage qui prend forme sur le papier dans le bain d'acide. D'abord les yeux, immenses, taches qui s'approfondissent, puis les cheveux noirs, la courbe des lèvres, la forme du nez, l'ombre sous le menton. Les yeux regardent ailleurs, comme fait toujours Lalla Hawa, ailleurs, de l'autre côté du monde, et le cœur du photographe se met à battre plus vite, chaque fois, comme la première fois qu'il a capté la lumière de son regard, au restaurant des Galères, ou bien quand il l'a retrouvée, plus tard, au hasard des escaliers de la vieille ville.

Elle lui donne sa forme, son image, rien d'autre. Parfois le contact de la paume de sa main, ou l'étincelle électrique quand ses cheveux frôlent son corps, et puis son odeur, un peu acre, un peu piquante comme l'odeur des agrumes, mes, et le son de sa voix, son rire clair. Mais t-e l Peu-être qu'elle n'est que le prétexte d'un rêve, qu'il poursuit dans son laboratoire obscur avec ses appareils à soufflet, et les lentilles qui agrandissent l'ombre de ses yeux, la forme de son sourire ? Un rêve qu'il fait avec les autres hommes, sur les pages des journaux et sur les photos glacées des magazines.

Il emmène Hawa en avion jusqu'à la ville de Paris, ils roulent en taxi sous le ciel gris, le long du fleuve Seine, vers les rendez-vous d'affaires. Il prend des photos sur les quais du fleuve boueux, sur les grandes places, sur les avenues sans fin. Il photographie sans se lasser le beau visage couleur de cuivre où la lumière glisse comme de l'eau. Hawa vêtue d'une combinaison de satin noir, Hawa vêtue d'un imperméable bleu de nuit, les cheveux tressés en une seule natte épaisse. Chaque fois que son regard rencontre celui de Hawa, cela lui fait un pincement au cœur, et c'est pour cela qu'il se hâte de prendre des photos, toujours davantage de photos. Il avance, il recule, il change d'appareil, il met un genou par terre. Lalla se moque de lui :

« On dirait que tu danses. »

Il voudrait se mettre en colère, mais c'est impossible. Il essuie son front mouillé de sueur, son arcade sourcilière qui glisse contre le viseur. Puis, tout d'un coup, Lalla sort du champ de lumière, parce qu'elle est fatiguée d'être photographiée. Elle s'en va. Lui, pour ne pas ressentir le vide, va continuer à la regarder encore pendant des heures, dans la nuit du laboratoire improvisé dans la salle de bains de sa chambre d'hôtel, attendant en comptant les coups de son cœur que le beau visage apparaisse dans le bac d'acide, surtout le regard, la lumière profonde qui jaillit des yeux obliques, la lumière couleur d'ombre. Du plus loin, comme si quelqu'un d'autre, de secret, regardait par ces pupilles, jugeait en silence. Et puis ce qui vient ensuite, lentement, pareil à un nuage qui se forme, le front, la ligne des pommettes hautes, le grain de la peau cuivrée, usée par le soleil et par le vent. Il y a quelque chose de secret en elle, qui se dévoile au hasard sur le papier, quelque chose qu'on peut voir, mais jamais posséder, même si on prenait des photographies à chaque seconde de son existence, jusqu'à la mort. Il y a le sourire aussi, très doux, un peu ironique, qui creuse les coins des lèvres, qui rétrécit les yeux obliques. C'est tout cela que le photographe voudrait prendre, avec ses appareils de photo, puis faire renaître dans l'obscurité de son laboratoire. Quelquefois, il a l'impression que cela va apparaître réellement, le sourire, la lumière des yeux, la beauté des traits. Mais cela ne dure qu'un très bref instant. Sur la feuille de papier plongée dans l'acide, le dessin bouge, se modifie, se trouble, se couvre d'ombre, et c'est comme si l'image effaçait la personne en train de vivre.

Peut-être que c'est ailleurs que dans l'image ? Peut-être que c'est dans la démarche, dans le mouvement ? Le photographe regarde les gestes de Lalla Hawa, sa façon de s'asseoir, de bouger les mains, avec la paume ouverte, formant une ligne courbe parfaite depuis la saignée du coude jusqu'au bout des doigts. Il regarde la ligne de la nuque, le dos souple, les mains et les pieds larges, les épaules, et la lourde chevelure noire aux reflets cendrés, qui tombe en boucles épaisses sur les épaules. Il regarde Lalla Hawa, et c'est comme si, par instants, il apercevait une autre figure, affleurant le visage de la jeune femme, un autre corps derrière son corps ; à peine perceptible, léger, passager, l'autre personne apparaît dans la profondeur, puis s'efface, laissant un souvenir qui tremble. Qui est-ce ? Celle qu'il appelle Hawa, qui est-elle, quel nom porte-t-elle vraiment

Quelquefois, Hawa le regarde, ou bien elle regarde les gens, dans les restaurants, dans les halls des aéroports, dans les bureaux, elle les regarde comme si ses yeux allaient simplement les effacer, les faire retourner au néant auquel ils doivent appartenir. Quand elle a ce regard étrange, le photographe ressent un frisson, comme un froid qui entre en lui. Il ne sait pas ce que c'est. C'est peut-être l'autre être qui vit en Lalla Hawa qui regarde et qui juge le monde, par ses yeux, comme si à cet instant tout cela, cette ville géante, ce fleuve, ces places, ces avenues, tout disparaissait et laissait voir l'étendue du désert, le sable, le ciel, le vent..."

JMG le Clézio - Désert



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