Petit texte :
"« Les
oliviers m'ont appelé. »
Je
les ai devant les yeux, les oliviers de Càlena et ils n'ont pas
changé. Ils sont épais comme des cous de boeufs, enracinés
dans ces terres de cailloux depuis des siècles. Les chèvres
passent entre eux, lentement, faisant tinter, dans le silence des collines,
leur cloche. Ce sont les mêmes qui ont accueilli Frédéric
II. Tout est là. Sous mes yeux. Il y a, à cet instant,
une douceur dans l'air qui vous réconcilie avec le monde. Je
marche calmement. C'est un moment de beauté simple où
la terre semble respirer de la lumière. Tout est là et
se mêle et il naît, de cet entremêlement des âges,
un sentiment de quiétude et d'apaisement.
Je
n'ai jamais pu pénétrer à l'intérieur de
l'abbaye. Depuis dis ans que je viens ici, la porte est toujours restée
fermée. Les Trapazzoli continuent à en interdire l'accès.
Peut-être n'ai-je pas eu le courage du Négus : escalader
le mur et aller voir de l'autre côté. Peut-être est-ce
simplement que les oliviers ne m'ont pas appelé. Ils ne me connaissent
pas. Je ne suis pas un de leurs fils au sang de pierre et aux pieds
de chèvre. Mais je les contemple et, comme chaque fois, il me
semble que, quel que soit l'endroit d'où on les observe, tout
est parfait : la douce inclinaison de la pente, l'espace entre les arbres,
la densité du feuillage, l'épaisse élégance
du mur de l'abbaye. Le silence règne partout et il y a dans l'air
quelque chose d'un peu salé qui vient de la mer. Je suis bien.
Comme si croire aux histoires que m'a racontées le Négus
me donnait une force profonde, une foi en la beauté lente du
monde..."
Laurent Gaudé - Les
Oliviers du Négus
