Mardi
22 août 2006
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images du site "Rencontres Sauvages" : n°27
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Un petit texte :
" …Alors ?
Alors, il y a des artisans plus solitaires encore ; plus maîtres que ceux-là. Des artisans qui commandent, des chefs, les seuls.
Des sans-foyer, des hommes libres comme les premiers des hommes qui ont tant marché depuis qu’ils sont hommes, que la trace de leurs pas pourrait s’enrouler autour de la terre comme la pelure d’une orange.
Des lourds de bure, des gros pieds, des brûleurs de loups, des gosiers, des couche-à-l’herbe, des mange-vert, des écrase-chrétiens, pour dire tous les surnoms que les hommes apprivoisés leur donnent. Mais pour leur mettre leur véritable nom : des Bergers. Les chefs de bêtes.
Chaque fois que j’ai dit des bergers, des chefs de bêtes on m’a répondu : « Croyez-vous ? » et j’avais beau mettre toute mon ardeur à dire oui et à expliquer, je voyais toujours la petite moue qui signifiait : « Oui, on vous croit, mais vous vous emballez trop, mon ami ! » Je sais pourquoi maintenant, chaque fois, devant les yeux de ceux qui m’écoutaient, ce mot Berger faisait naître, ou bien l’image de l’heureux Tityre, ou bien la vieille silhouette du grand-père qui garde deux ouailles autour de sa ferme. Les bergers dont je veux parler sont un peu différents. Ce sont des bergers de transhumance.
La Haute-Provence est entre l’Alpe et la Crau côté du Rhône ; elle a une large porte béante : l’embouchure de la Durance avec ses quatre ou cinq kilomètres de pavés gris et de forêts mouvantes. Du côté de l’Alpe, elle n’a que le pertuis de Sisteron, la porte du Nord. Mais peut-on même parler de porte quand il n’y a entre deux roches de cent mètres d’à-pic qu’une étroite brèche juste assez large pour laisser passer une mince route et la Durance resserrée, grondante, toute en fracas et en furie. Entre ces deux portes la Haute-Provence est là avec ses vagues de collines, avec ses plainettes étalées comme des lacs.
En Crau, en Camargue, dès le soleil venu, dès le printemps il n’y a plus d’herbe à paître. Il ne reste plus qu’une graminée jaune, dure de tige, toute ligneuse qui fait saigner les gencives des moutons. Alors, on ouvre les portes des bergeries et on se prépare à la lente montée vers l’Alpe fraîche et bonne nourrice à herbe grasse.
Ainsi chaque printemps la Haute-Provence est traversée par de longues caravanes de moutons. En tête, vont les ânes et les mulets chargés du bât, les porteurs de provisions, les porteurs aussi d’agneaux fraîchement nés, de brebis trop lourdes et de moutons malades. En tête marche la lourde écume des béliers, beaux et parés comme des dieux, des béliers semblable à Pan lui-même, avec leur lenteur, leur toison, leur mâle force, leur œil qui sait, et le lourd regard des béliers va jusqu’au fond de la route. En tête marche le baïle. Ce vieux mot provençal, qui veut dire à la fois chef et père nourricier, est le titre dont on salue le Berger maître. En tête marche le berger maître. C’est un homme comme les autres, sans noblesse théâtrale, sans regard de feu, assez souvent petit et noiraud et tout ramassé comme une boule avec des nerfs tendus et qui va la tête basse. C’est un homme comme les autres, mais c’est le chef. Je vous le dis, c’est le chef des bêtes. Le véritable chef des bêtes, sa noblesse, elle est là dans ce geste, ce simple geste qui arrête ou lance le solide effort des béliers. Sa noblesse, elle est ce petit mot qui vient de sortir de sa bouche, et tout le troupeau s’est arrêté figé sur place. Tout le troupeau, et il est long parfois de deux kilomètres, et l’instant d’avant ça coulait comme de la boue de volcan, et il a dit ce mot ; et les béliers se sont jetés dans la poussière, et tout s’est arrêté jusqu’au fond de l’horizon. Sa noblesse, elle est dans cette longue conversation douloureuse qu’il a avec la bête malade, lui debout avec juste un mot ou deux, incompréhensibles, dépassant ses moustaches, elle, la bête vautrée, gémissante par terre, et il la regard, et il lui parle, et elle est consolée, elle se laisse emporter vers les bâts des ânes, sans gémir, sa tête molle tournée vers l’homme qui sait, vers le chef.
Voilà sa noblesse.
Sa science, je suis trop petit pour vous la dire, ce que je sais, c’est que je suis allé vers eux les deux mains ouvertes, et qu’ils m’ont jaugé de la tête aux talons, et qu’après ça, je leur ai ôté mon chapeau.Jean GIONO – Rondeur des jours (Complément à l’eau vive).
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