Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°260 - Mardi 29 mars 2011

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Bienvenue à la petite Angèle !

ma nièce : fille de Samuel, mon frère et de Marion

née le 25 mars à la maternité de Tarbes (Hautes-Pyrénées)



Brahms - Symphony No.3

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Foulque macroule
(attitudes)

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
dimanche 6 mars 2011

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Petit texte :

"Le marché aux fleurs de Mullik Ghat

Sur le pont Howrah passent et repassent les foules de Calcutta : les uns vont à la gare, les autres en viennent. Ce qui fait que, selon toute probabilité, sur aucun autre pont du monde ne marchent autant d'êtres humains.
Sous le pont Howrah coule le fleuve Hoogly.
Dans le fleuve Hoogly, des hommes et des enfants jouent, se savonnent et pissent. Entre les deux rives croisent les ferries. Peu d'activités m'ont paru autant dépourvues d'espoir que cette concurrence menée par ces minuscules bateaux contre l'immensité du pont. Les femmes lavent le linge. Les chiens regardent. Les corneilles et d'autres enfants farfouillent dans les ordures. L'air sent la merde et, par bouffées, des parfums timides, sucrés, d'une délicatesse extrême. C'est que le long du fleuve, côté centre-ville, entre les anciens établissements de bains et la ligne de chemin de fer, se tient, caché, le marché aux fleurs.
Le sol est aussi sale qu'ailleurs, luisant, graisseux, noirâtre, gluant, boueux d'une boue qui ne serait pas de terre. Sauf qu'ici, les fleurs et les feuilles le recouvrent presque entièrement. Il y a des ronds rouges, blancs, jaunes. Il y a des tas orange ou bleus. Les bronchiteux ont fort à faire pour cracher à côté des couleurs. Ils y parviennent. Quand il fait trop chaud, on va chercher l'eau dans le fleuve pour rafraîchir les fleurs. Dans ce seul marché-là, les femmes sont aussi nombreuses que les hommes. Ils ou elles tressent sans fin des colliers. Ou construisent des oeuvres d'art délicates ou flamboyantes, sans doute pour des mariages, ou des enterrements, comment savoir puisque aucune parure n'est moins gaie que les autres ? Celles et ceux qui n'ont pas de qualités reconnues de créateurs vendent les fleurs au poids. Ils tiennent leur balance entre le pouce et l'index. Sur un plateau, le morceau de fonte ; sur l'autre la petite colline multicolore et parfumée.
Il faut arriver juste avant le coucher du soleil. Les acheteurs professionnels ne viendront plus. On peut acquérir un monceau de couleur ou un collier pour presque rien. Peut-être pour rien. Sur le petit pont qui surplombe la voie pour monter au marché aux fleurs, j'ai croisé un vieillard très beau, très net dans sa veste râpée beige, raie parfaite séparant en deux parties ses cheveux blancs. Quelque chose de trop tenu, en lui, me fit penser qu'il était depuis peu seul au monde, et d'une tristesse infinie.
Je vous l'accorde : les fleurs ne sont pas au centre de mon sujet. Mais le choc de la rencontre avec Calcutta est si violent, les informations que l'oeil reçoit à chaque seconde sont si nombreuses et si contradictoires qu'il faut, sous peine de perdre tout contrôle, toute raison, reprendre haleine un moment. Je me suis accroché à ce marché aux fleurs comme à une bouée découverte par hasard au milieu d'un océan tumultueux. J'ai dédaigné les propositions de tous ordres, historiques, sexuelles, médicales, culturelles ou politiques, pour revenir encore et encore à mon cher marché.
Et maintenant je peux le proclamer fièrement : certes, je ne comprends rien à Calcutta, ni ne connais le reste de la ville, pas même le Victoria Memorial, mais plus rien du fonctionnement de son marché aux fleurs ne m'est étranger.

Ram Chandra Goenko
Zenana Bathing Gat

Le vieux palais des bains veille sur le petit peuple des fleuristes. Dans ses entrailles délabrées, il leur offre de l'ombre, de la fraîcheur et de longues tables de pierre. A la belle époque, on devait y masser les personnes importantes. Aujourd'hui, on y prépare les fleurs, on y coupe les queues, les feuilles. L'Inde n'a pas l'air d'aimer les tiges, ni le vert.
Et lorsque le travail est fini, les hommes s'allongent sur la pierre.
Alors le palais devient morgue, tant ces corps enfin immobiles restent immobiles.

Tôt le matin, en même temps qu'arrivent par camions des jardins entiers, les lutteurs commencent leur entraînement.
Pourquoi avoir choisi cette improbable proximité ? Les esprits vulgaires et logiques, je veux dire les Occidentaux, répondront : l'odeur. Demander au parfum des fleurs de bien vouloir couvrir les effluves des athlètes en sueur. Je préfère suivre une autre piste dictée par le spectacle offert.
Les corps des deux lutteurs s'aiment. Pour l'ignorer, il faut n'en avoir jamais vu s'empoigner, se malaxer, se rouler, s'écraser. Leur violence est tendre, il ahanent à l'unisson, ils restent immobiles l'un contre l'autre de longs moments. Chaque prise est un mot d'amour. De même que chaque fleur.
Qui se ressemble s'est assemblé.
Mère Teresa n'avait pas le monopole de l'amour, à Calcutta."


Erik ORSENNA - L'avenir de l'eau

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Le son est assez mauvais au début (5 premières minutes), mais il s'améliore ensuite...



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