Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°254 - Mardi 15 février 2011

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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L'exposition à Embrun (Hautes-Alpes) est maintenant terminée
(et rangée à Courvières !)


Merci à tous pour vos visites et les messages dans le Livre d'Or !

Merci aux personnels de la Communauté de Communes de l'Embrunais et de la Maison de Pays de l'Embrunais pour leur accueil et leur aide à l'installation et au rangement.

A la prochaine !

Pour revoir l'exposition,

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Symphonie No. 29, Mvmt. 2 - WA Mozart

Pour regarder et écouter,
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Glace, neige, givre et brumes
(l'Eau en hiver)

Lac de Saint Point, La Cluse et Mijoux et Courvières (Haut-Doubs)
Bief du Fourg (Jura)

Stalagtites.
Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Jeux entre l'eau, la glace et la lumière...
Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Samedi 4 décembre 2010

Poudrée.
La Cluse et Mijoux (Haut-Doubs)
samedi 22 janvier 2011

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Dimanche 23 janvier 2011

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Dimanche 23 janvier 2011

Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Dimanche 23 janvier 2011

Risée.
Lac de Saint Point (Haut-Doubs)
Dimanche 23 janvier 2011

Ombelles.
Bief du Fourg (Jura)
Dimanche 30 janvier 2011

Crins.
Bief du Fourg (Jura)
Dimanche 30 janvier 2011

Bief du Fourg (Jura)
Dimanche 30 janvier 2011

Fumier fumant (vapeur d'eau)
Bief du Fourg (Jura)
Dimanche 30 janvier 2011

Rocher dans la brume I
Courvières (Haut-Doubs)
Dimanche 30 janvier 2011

Rocher dans la brume II
Courvières (Haut-Doubs)
Dimanche 30 janvier 2011

Etang de La Rivière-Drugeon (Haut-Doubs).
Dimanche 6 février 2011

Cardères.
Vuillecin (Haut-Doubs)
Dimanche 6 février 2011

Vuillecin (Haut-Doubs)
Dimanche 6 février 2011

Vuillecin (Haut-Doubs)
Dimanche 6 février 2011

Dans la lumière.
Vuillecin (Haut-Doubs)
Dimanche 6 février 2011



Petit texte :

"LE MANUSCRIT DE HARRY HALLER
Seulement pour les fous

La journée avait passé comme toutes les journées passent ; je l’avais doucement assassinée avec mon espèce d’art de vivre timide et primitif ; j’avais travaillé un peu, j’avais manié de vieux livres; deux heures durant, j’avais eu des douleurs comme en ont les gens âgés, j’avais pris un cachet et m’étais réjoui de voir que le mal se laissait vaincre; étendu dans un bain brûlant, j’en avais absorbé la bonne chaleur ; trois fois, j’avais reçu le courrier et parcouru toutes ces lettres et imprimés évitables ; j’avais fait mes exercices respiratoires, mais omis, par paresse, mes exercices mentaux ; je m’étais promené une heure et j’avais trouvé au ciel de petits échantillons de nuages duveteux, tendres, précieux. C’était bien gentil, ainsi que de lire les vieux livres, rester dans le bain chaud ; mais, somme toute, ce n’était pas un jour délicieux, radieux, de bonheur et de joie, mais tout bonnement un de ces jours qui, depuis longtemps, me devraient être normaux et accoutumés: jours modérément agréables, tout à fait supportables, tièdes et moyens, d’un vieux monsieur pas content ; jours sans extrêmes soucis, sans chagrin proprement dit, sans désespoir, jours où l’on se demande sans émotion, sans crainte, tranquillement, pratiquement, s’il n’est pas temps de suivre l’exemple d’Albert Stifter et d’avoir un accident en se rasant.

Celui qui a subi les mauvais jours, avec les crises de goutte ou ces affreuses migraines qui s’agrippent derrière les prunelles et changent diaboliquement de joie en torture toute l’activité de l’oeil et de l’oreille ; celui qui a vécu des jours infernaux, de mort dans l’âme, de désespoir et de vide intérieur, où, sur la terre ravagée et sucée par les compagnies financières, la soi-disant civilisation, avec son scintillement vulgaire et truqué, nous ricane à chaque pas au visage comme un vomitif, concentré et parvenu au sommet de l’abomination dans notre propre moi pourri, celui-là est fort satisfait des jours normaux, des jours couci-couça comme cet aujourd’hui ; avec gratitude, il se chauffe au coin du feu; avec gratitude, il constate en lisant le journal qu’aujourd’hui encore aucune guerre n’a éclaté, aucune nouvelle dictature n’a été proclamée, aucune saleté particulièrement abjecte découverte dans la politique ou les affaires ; avec gratitude il accorde sa lyre rouillée pour le psaume de louanges modéré, médiocrement gai, presque content, avec lequel il ennuiera son dieu des couci-couça, doux, tranquille, un peu engourdi de bromure ; et, dans l’air épais et fadasse de cet ennui satisfait, de cette absence de douleur dont il convient d’être grandement reconnaissant, tous les deux, le dieu couci-couça, qui branle de son chef morne, et l’homme couci-couça, un peu grisonnant, qui chante un psaume assourdi, se ressemblent comme des jumeaux.

C’est une bien belle chose que ce contentement, que cette absence de douleur, que ces jours supportables et assoupis, où ni la souffrance ni le plaisir n’osent crier, où tout chuchote et glisse sur la pointe des pieds. Malheureusement, je suis ainsi fait que c’est précisément cette satisfaction que je supporte le moins; après une brève durée, elle me répugne et m’horripile inexprimablement, et je dois par désespoir me réfugier dans quelque autre climat si possible, par la voie des plaisirs, mais si nécessaire, par celle des douleurs. Quand je reste un peu de temps sans peine et sans joie, à respirer la fade et tiède abomination de ces bons jours, ou soi-disant tels, mon âme pleine d’enfantillage se sent prise d’une telle misère, d’un tourment si cuisant, que je saisis la lyre rouillée de la gratitude et que je la flanque à la figure béate du dieu engourdi de satisfaction, car je préfère une douleur franchement diabolique à cette confortable température moyenne ! Je sens me brûler une soif sauvage de sensations violentes, une fureur contre cette existence neutre, plate, réglée et stérilisée, un désir forcené de saccager quelque chose, un grand magasin, ou une cathédrale, ou moi-même, de faire des sottises enragées, d’arracher leur perruque à quelques idoles respectées, d’aider des écoliers en révolte à s’embarquer sur un paquebot, de séduire une petite fille, ou de tordre le cou à un quelconque représentant de l’ordre bourgeois. Car c’est cela que je hais, que je maudis et que j’abomine du plus profond de mon coeur : cette béatitude, cette santé, ce confort, cet optimisme soigné, ce gras et prospère élevage du moyen, du médiocre et de l’ordinaire.

C’est dans cette humeur que je terminai ma journée banale dans l’obscurité tombante. J’aurais pu l’achever de la façon normale qui eût convenu à un homme assez souffrant, c’est-à-dire en me laissant happer par le lit déjà prêt et pourvu d’une chaufferette en guise d’appât ; mais non, je chaussai mes souliers, maussade, mécontent, dégoûté de mon petit train de labeur journalier, j’enfilai mon pardessus et je sortis dans la nuit et le brouillard pour aller boire à la brasserie du Casque d’Acier ce que les hommes sont convenus d’appeler « un petit verre de vin ».

Je descendis les escaliers, difficiles à monter, qui mènent à ma mansarde, ces escaliers étrangers, si bourgeois, si propres, de la maison meublée irréprochable sous les toits de laquelle se trouve ma tanière. Je ne sais comment cela se fait, mais moi, le Loup de steppes, le sans-patrie, le dénigreur solitaire du monde petit-bourgeois, je demeure toujours dans de bonnes maisons bourgeoises, par une vieille sentimentalité. Je n’habite ni des palaces ni des logements de propriétaires, mais précisément ces petits nids cossus, superlativement convenables, superlativement ennuyeux, d’une netteté impeccable, qui sentent un peu le savon et la térébenthine, et où l’on craint de refermer trop bruyamment la porte ou entrer avec des souliers boueux.

J’aime sans doute cette atmosphère depuis mon enfance, et ma nostalgie secrète de ce qui ressemble à une patrie me ramène toujours, sans espoir, vers ces vieilles niaiseries. Eh! oui, j’aime aussi le contraste entre ma vie désordonnée, solitaire, traquée et sans amour, et ce milieu familial et bourgeois. C’est bon de respirer dans l’escalier cette odeur de calme, d’ordre, de propreté, de décence, de douceur apprivoisée, qui a toujours pour moi, malgré ma haine des bourgeois, quelque chose d’attendrissant, j’aime passer le seuil de ma chambre où tout cela cesse tout d’un coup, où des bouts de cigares et des bouteilles traînent parmi les bouquins, où tout est désordonné, délaissé, dénué de confort, où les livres, les manuscrits, les pensées sont marqués et saturés de la peine du solitaire, des problèmes de l’être, du désir nostalgique de donner un sens nouveau à la vie devenue absurde..."

Herman HESSE - Le Loup des Steppes



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