Petit texte :
"Lacs
d’Arriel. Soir de canicule. Tard. Délicieuse, la fraîcheur
est enfin tombée caressant les bras nus. Sac de couchage déroulé.
Assis sur le duvet je goûte la fin du jour. Les guirlandes de
pierre des Frondellas virent lentement du beige au rose. Au ciel qui
pâlit, pointe le clou d’argent étincelant de Jupiter.
Brève lueur de feu, l’extrême cime du Balaïtous
s’allume de pourpre, flamboyant un instant avant de s’éteindre
en noir de charbon sur le ciel violine. Rideau. Dodo. Bonheur paisible
des muscles las, de glisser dans le sommeil après une harassante
journée.
Non ! « Y
a quelque chose ». Ce serait pourtant étonnant
que les isards de tout à l’heure, retirés sous
le Pic d’Arriel soient déjà de retour auprès
de moi. Lever doucement la tête, ouvrir un œil…
Elle est là ! A, oh allez, cinquante centimètres
du bout de mon duvet. Petit gnome souriant et curieux dressé
au pied de ma couche. Plastron blanc sale, petites mains de lutin
pendant sur la poitrine, moustache blanche, museau frémissant,
deux oreilles rondes fixées sur moi et puis surtout ces deux
petits boutons de bottine noirs, brillants, vifs, que l’on sent
dévorés d’une curiosité polissonne. J’aimerais,
clin d’œil, apercevoir, vérifier, le bout de la
queue noir, signature incontestée de la petite friponne des
cimes, mais elle est trop près, tout le bas du corps caché
par mes pieds !
Face à face souriant et curieux. On se regarde, on s’examine,
se détaille. Visiblement la petite miss se demande sans comprendre
ce que c’est que ce gros « machin »
inconnu brusquement surgi dans son univers.
Moustaches et babines frémissantes, yeux écarquillés,
oreilles tendues fixées sur moi, elle m’inspecte de tout
ses sens, cherchant en vain à se donner une réponse.
« Mais qu’est-ce que c’est donc que ce
truc bizarre tout long, tout gros, là… ».
Enfin elle craque la pauvrette. Après cette minutieuse et vaine
inspection elle se penche, disparaît à mes yeux « sous »
mon sac de couchage. La voilà qui s’éloigne sur
le gispet déjà luisant de la nuit. Hop, le petit bout
de la queue noire. Salut l’hermine ! Elle joue encore quelques
instants à cache-cache entre les cailloux de granite. Au ciel
d’été le Lion en majesté étincelle
de toutes ses étoiles d’argent. A la prochaine, petit
lutin malicieux."
Louis
Espinassous, Vallée d’Ossau.
Mémoire de terrain – Récits des gardes-moniteurs
du Parc National des Pyrénées (rassemblés par
Louis-Marie Espinassous).
C'est
un texte que j'ai déjà mis en ligne sur le site,
dans un livret virtuel sur le thème de la Terre
:
vous
pouvez le voir en cliquant
[ici]