Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°203 - Mardi 2 février 2010

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Missa Mille Regretz - Agnus Dei - Cristobal de Morales

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Rencontre avec
un chamois solitaire...
La Cluse et Mijoux
(Haut-Doubs)
samedi 16 janvier 2010




Petit texte :

"1

dans ce temps-là, la nuit pénétrait dans les maisons et ne restait pas à la porte, car on ne la rejetait pas durement dehors comme maintenant. On n'avait à lui opposer que la clarté dansante des flammes du foyer et celle de la lampe Pigeon que l'on appelait, chez nous, une « lusote ».
L'obscurité arrivait, lente, digne et fière. On la voyait monter au flanc du mont Roger, elle hésitait, puis gagnait la combe, lentement, avec ses voiles sombres flottants. Elle s'étendait doucement sur les prés du bas de la montagne et repliait son écharpe sur le village pour se glisser dans les chambres et dans la grande salle. Enfant, je la regardais venir avec un frisson d'inquiétude et de plaisir.
Lorsqu'elle régnait partout, sur les bois, les friches, les forêts, aussi bien que dans la maison, je me blottissais près du haut poêle de faïence et je regardais ma grand-mère aller et venir avec, sur le visage et sur les mains, seuls visibles, les couleurs de La Tour et de Rembrandt. Alors, j'écoutais les bruit du dehors et j'essayais de reconstituer la vie terrible des sauvagines, l'agitation des lièvres et des chevreuils, les noires errances du sanglier et du blaireau. Mon grand-père me parlait si souvent de tout cela que, sans avoir jamais osé dépasser, après le crépuscule, le mur du petit jardin, je pouvais l'imaginer avec délices en toute liberté.
Un soir, j'en étais là de mes fantasmes, il était très tard et mon grand-père n'était pas encore rentré. Tout à coup on entendit son pas puis son coup de pouce sur la chevillette. Le loquet claqua sec et le Vieux entra. Son visage reflétait une grand exaltation.
A voix basse, il parla à ma grand-mère qui leva les bras au ciel. Il posa son fusil, puis il alluma une bougie et descendit au bûcher, prit un sac et une brouette et me fit signe de le suivre.
Mon grand-père était un homme sec et poilu. De sa personne s'exhalait un parfum de bête sauvage que je pus comparer plus tard à celui du marcassin. Lorsqu'il parlait, de ses lèvres minces et mauves, cachées par une forte moustache un peu rousse, à la gauloise, s'échappait une haleine terrible. Tout cela personnifiait si bien, à mes yeux, la chasse que je me surprenais souvent à regretter que mon haleine fût douce et parfumée, car j'avais remarqué également que l'haleine des bons chiens de chasse est violente. J'avoue qu'à force de manger abondamment des viandes traitées à notre façon et de boire sec les vins sévères de nos Arrières-Côtes, j'en suis arrivé aujourd'hui au même résultat et je n'en suis pas plus fier pour autant.
Nous partîmes tous deux dans la nuit. Le grand-père suivit une sente qui contournait les pâturages et montait vers les halliers. Nous traversâmes de noirs buissons et, après trois quarts d'heure de marche, le Vieux m'invita à m'accroupir dans un roncier. Il faisait nuit. Il prit alors ma main et, la plongeant dans la broussaille, me fit tâter un corps tiède couvert de poils ras, fins et réguliers.
- Tiens, murmura-t-il, tu le sens ? Tu n'en as jamais touché, hein ? Tu le sens ton noms de dieux de petit chevreuil ?...
Il continua...
-
Nous allons le mettre dans le sac. Aide-moi et surtout ne fais pas de bruit, si tu ne veux pas que nous allions en prison !
La prison, à cette époque, me paraissait être réservée exclusivement aux gens de rien et je craignais fort d'y aller à cause du pain à l'eau et des rats, mais c'était si enthousiasmant de fourrer un petit chevreuil dans un sac, que je n'y pensais guère.
Nous rentrâmes au village dont les fenêtres brillantes constellaient la zone sombre des arbres du parc du château. Nous rencontrions des gens qui nous saluaient.
-
Alors, Tremblot, voilà que tu rentres du jardin à cette heure ? Disaient-ils en croisant mon grand-père ; et je riais sous cape..."

Henri VINCENOT - La Billebaude



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