Petit texte :
"Je regardais en l'air, perdu par osmose
dans le questionnement infini de l'éther. Le ciel
était un magma d'étoiles et de nébuleuses et de
novas, une pâte de lumière plus ou moins
consistante, délayée par endroits dans l'épais jus
noir que le grand poulpe du centre de l'univers
sécrète sans arrêt pour nous confondre. Des
milliards d'étoiles tremblotaient dans cette gelée
noire, ce caviar stellaire, vibrait faiblement
comme de minuscules embryons chargés
d'électricité. On aurait dit le négatif
photographique d'une formidable masse d'oeufs de
grenouille, avec les futurs têtards grouillant
imperceptiblement dans la gélatine originelle. Des
milliards de chances, des milliards de mises au
monde dans le grand jeu de hasard intergalactique.
Pourquoi aura-t-il fallu que je tombe ici, à
cheval sur la ligne de démarcation entre la
montagne et la plaine, entre le nord et le sud,
adossé à l'antique bouclier laurentien, à cet écu
géologique auquel semble m'acculer toute la
planète ? Pourquoi moi ici ?
Je guettais, je quêtais un signe, une miette de
sens échappée à la signification astronomique, une
goutte de voie lactée ambrosiaque qui saurait
m'expliquer le pari de ma naissance. Et soudain,
c'est comme si le firmament trop prégnant s'était
crevé d'un seul coup. D'abord, un éclair furtif a
attiré mon attention au-dessus de la ligne des
arbres. J'ai cru avoir été victime d'une
hallucination visuelle, du genre de celles que
favorise le recours trop fréquent à certaine fumée
odorante. Mais comme j'allais partir, le phénomène
s'est répété : le voile noir s'est déchiré et une
étoile filante a fulminé une seconde avant de
s'évanouir. Pendant que je tentais fébrilement de
formuler un voeu, un troisième météore s'est
détaché de là-haut, laissant flotter une traînée
phosphorescente pendant un très bref instant.
Alors là, ça s'est mis à pleuvoir, à percer la
nuit de toutes parts, à s'entrecroiser, à se
télescoper, à se bousculer pour faire flamboyer le
ciel devant mes yeux écarquillés. Certaines
zébraient la nuit d'un horizon à l'autre, comme
des sagettes trempées dans de la lumière. D'autres
striaient un segment restreint de la voûte
bleutée, puis s'effaçaient à la façon d'un songe.
D'éphémères traces de couleur subsistaient dans le
sillage de quelques-unes, le rouge et le vert se
disputant l'espace aérien. Ça circulait tout en
flammes glacées, comme des flagellés filipendules
se débattant dans les affres d'une agonie
fantastique. C'étaient des filons d'or, des
flammèches de phosphore, ça coulait comme de la
cire fondue brasillante tombée d'un innombrable
condélabre abattu, c'étaient de complexes
constellations en constante réorganisations, des
gerbes de fusées éclairantes, des girandoles
d'éclats de galaxies en guerre, de la poussière
d'étoiles retombant lentement une éternité après
un cataclysme lointain, ça faisait rage à la
grandeur du cosmos et ça s'infiltrait dans ma tête
ouverte, offerte.
Je ne pensais plus à un voeu. Instinctivement, le
long des coutures de mon jeans, mes index
poinçonnaient le vide en vain, à la recherche des
boutons qui me permettraient de contrôler,
d'orchestrer ce déchaînement apocalyptique, ce
cyclone carnavalesque dont j'étais fortuitement
l'oeil immobile. Deux étoiles incandescentes,
l'une verte et l'autre rouge, au vol parallèle et
puissant, tracèrent un pont aérien suspendu
pendant une infinitésimale éternité dans le vide.
Le ciel tout entier allumait des torches pour
m'indiquer un passage quelque part. Frottées à la
troposphère, des douzaines d'allumettes célestes
me rendaient du feu et traçaient un ballet de
toute beauté, d'une magnificence qu'aucun feu
d'artifice ne pourra jamais atteindre. Mes
neurones surexcités me restituèrent avec une
fulgurance douloureuse, les formes généreuses et
débordantes de tendre fluidité de la fille au
menton de général en campagne, c'est formes
qu'elle avait eu l'indicible bonté, avant de
regagner la plaine, d'exposer un moment à mes
prunelles dilatées. Je lui criais, par-delà le
ciel : allez ! Serais-tu un ange, je te
retrouverais quand même, dussè-je aller te
chercher sur un nuage où tu t'offrirais nue à ma
rage de te posséder ! Serais-tu un démon, je me
taperais la géhenne et tout le trip orphéen pour
te présenter le seul bijou que ne peut ciseler
aucun orfèvre : la première goutte adamantine qui
sourd de la profondeur des bourses déliées. Moi,
Edouard Malarmé, roi du pinball à qui
sont destinés ces serpentins de feu et cette pluie
de confettis en fusion je me vois déjà éparpiller
mes synapses jusque dans le ciel, prendre les
commandes d'un grand pinball céleste
dont je ferai flamber de mes index frénétiques les
circuits surchargés et qui m'emmènera loin, bien
loin sur les ailes d'Icare et de Pégase et des
cavaliers porteurs de ma petite apocalypse à
moi..."
Louis HAMELIN - La Rage