Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°200 - Mardi 12 janvier 2010

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Beethoven - Neuvième Symphonie

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Poules "gasconnes"
Astugue, Ferme "Berdoulets" (Hautes-Pyrénées)
du 27 au 31 décembre 2009

Du nouveau, chez mon frère, 13 poules sont arrivées...

Il ne manque qu'un coq !

Sous la pluie.

Toilette matinale.

"Flou filé", en grattant le sol.

Dans les ronces.



Petit texte :

"Le nuage avait donc crevé en pluie alors que je marchais derrière la grande salle de concerts, sur le long trottoir qui n'offrait pas aux passants le moindre abri. Je me souvins qu'un certain escalier en fer menait à l'entrée des musiciens, et comme quelques-uns, parmi ceux qui passaient en ce moment, m'étaient connus, il me fut facile d'atteindre la scène, où les membres d'une chorale fameuse se groupaient par voix pour passer sur les gradins. De la phalange de ses doigts, un timbalier interrogeait ses peaux dont la chaleur avait monté le ton. Serrant son violon sous le menton, le chef d'attaque donnait le la sur un piano, tandis que les cors, les bassons, les clarinettes, étaient enveloppés dans le foisonnement confus de gammes, de trilles et d'accords qui précède l'ordonnance des notes. Toutes les fois que je voyais les instruments d'un orchestre symphonique prendre place derrière les pupitres, j'attendais vivement l'instant où le temps cesserait de charrier des sons incohérents pour être encadré, organisé, soumis à une volonté humaine préalable qui parlait par les gestes du Mesureur de son Cours. Ce dernier obéissait souvent à des dispositions prises un siècle ou deux auparavant. Mais sous les titres des parties étaient imprimés en signes les ordres d'hommes qui bien que morts, couchés sous des pompeux mausolées, ou dont les ossements étaient perdus dans le désordre sordide de la fosse commune, gardaient des droits de propriété sur le temps, imposaient des laps d'attention ou de ferveur aux hommes des âges futurs. Il arrivait parfois, pensais-je, que ces pouvoirs posthumes subissaient un dommage, ou au contraire étaient accrus en vertu de la plus grande faveur d'une génération. C'est ainsi que celui qui ferait un bilan des exécutions symphoniques pourrait avoir l'évidence que telle ou telle année, le plus grand usufruitié du temps a été Bach ou Wagner, en regard du maigre acquis de Telemann ou de Cherubini. Il y avait au moins trois ans que je n'avais assisté à un concert ; quand je sortais des studios, j'étais si saturé de mauvaise musique, ou de bonne musique utilisée à des fins détestables, que je trouvais absurde l'idée de me plonger dans un temps rendu presque tangible par la soumission à des carrures de fugue ou de forme-sonate. Aussi trouvai-je le plaisir de la nouveauté à me voir amené, presque par surprise, au coin sombre des caisses de contrebasses, d'où je pouvais observer ce qui se passait sur la scène en ce soir de pluie dont les coups de tonnerre apaisés semblaient rouler sur les flaques de la rue voisine. Et après le silence brisé par un geste, ce fut une légère quinte de cors, accompagnée d'un frémissement de triolets aux seconds violons et violoncelles, sur laquelle se dessinèrent deux notes descendantes, qu'on eût dit tombées des premiers archets et des altos, avec une mollesse qui devient bientôt de l'angoisse, un besoin impérieux de fuite, devant le terrible assaut d'une force soudainement déchaînée... Je me levai mécontent. Alors que j'étais dans les meilleurs dispositions pour entendre de la musique, après une période si longue d'indifférence, il fallait que surgît « cette chose » qui s'enflait maintenant en crescendo derrière moi. J'aurais dû m'y attendre, à voir entrer les choriste sur scène. Mais il aurait pu s'agir aussi d'un oratorio classique. Si j'avais su que c'était la partition de la Neuvième Symphonie qui figurait sur les pupitres, j'aurais suivi mon chemin sous l'averse. Car si je ne supportais pas certains morceaux liés au souvenir de mon enfance, je pouvais souffrir encore moins le Freude, schöner Götterfunker, Tochter aus Elysium ! Que j'avais évité depuis « lors » comme qui écarte les yeux, des années durant, de certains objets qui évoquent la mort. En outre, comme beaucoup d'homme de ma génération, je détestais tout ce qui avait un air « sublime ». L' «Ode» de Schiller me déplaisait autant que la Cène de Montsalvat et l'Elévation du Graal... Maintenant, me voici de nouveau dans la rue, à la recherche d'un bar. Si je devais marcher longtemps pour boire un verre d'alcool, je serais bien vite envahi par l'état de dépression que j'ai connu parfois, et qui me donne la sensation d'être prisonnier d'un milieu sans issue, exaspéré de ne pouvoir rien changer dans ma vie, toujours soumise à la volonté d'autrui, qui me laisse à peine la liberté, tous les matins, de choisir la viande ou les céréales que je préfère pour mon petit déjeuner. Je me mets à courir parce que la pluie redouble. Au moment de tourner au coin de la rue, je heurte de la tête un parapluie ouvert, le vent l'arrache des mains de son propriétaire et il est écrasé sous les roues d'une auto, de façon si comique que j'éclate de rire. Et quand je crois entendre une insulte, une voix cordiale m'appelle par mon nom : « Je te cherchais, dit-elle, mais j'avais perdu ton adresse »..."

Alejo CARPENTIER - Le Partage des Eaux



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