Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°191 - Mardi 3 novembre 2009

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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LOREENA MCKENNITT - ALL SOULS NIGHT (LIVE)

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Etude sur le Rougequeue noir
Mont d'Or (Haut-Doubs)
Samedi 26 septembre 2009

Cet individu (une femelle), pas trop farouche, m'a laissé lui tirer le portrait...

Images sans commentaire...

 



Petit texte :

"Kilmurvy, dimanche après-midi

Jamais en Irlande même je n'ai éprouvé un sentiment de plénitude. Quelque chose de blanc, de troué, d'incomplet comme une octave à laquelle manquerait une note, un échiquier dont on aurait retiré les tours. L'absence d'un son, d'une couleur, peut-être d'une personne me donnait l'impression d'arriver dans l'instant juste un peu trop tôt ou trop tard, de le surprendre en état de manque. Il suffit que la magnifique musique populaire irlandaise s'en mêle pour que ce malaise disparaisse mais l'hiver, tous les bons musiciens sont sur le continent où ils gagnent mieux leur vie.
En Toscane, en Bourgogne, en Turquie de l'Ouest, on tombe sur des paysages qui se présentent au complet, comme à la revue, avec tout ce qu'on attendait d'eux, qui en font presque trop. Pas ici. Dans le comté du Connemara vous voyez la terre qui moutonne dans deux tons de brun sous un ciel au galop et, seul à mi-chemin de l'énorme horizon, un croquant aussi petit et noir qu'un grillon qui remplit de tourbe noire une minuscule charrette. Une superbe toile si Turner était passé par là, mais un paysage ? Plutôt un ensemble négligemment bricolé avec les chutes d'autres paysages mieux foutus. Même un tout petit mangeur de nature – moi – restera sur sa faim. Les Irlandais, les poètes surtout, vous renvoient constamment à cette espèce d'indigence, vous la font sentir avant qu'on ait mis le doigt dessus. Pareillement, ils s'excusent de ce goût qu'ils ont pour l'exagération et l'invention qu'on ne songe pas à leur reprocher et pratiquement une sorte d'autodérision comme pour mettre leur imaginaire à l'abri de la réalité (quelle réalité ?).
A l'exception de l'éblouissante floraison (du Vè au XIIè siècle) religieuse, philosophique et artistique, période dont ils pourraient à bon droit se vanter, ils présentent volontiers leur histoire « en creux », comme en négatif : une succession de non-événements, de pans entiers de patrimoine détruit ou emportés par des envahisseurs, de saignées inguérissables ou de rendez-vous manqués. Les Romains n'ont pas occupé l'Irlande, la privant ainsi des connivences structurelles – logiques, politiques, urbanistiques, épigraphiques – qui existent entre les cultures de l'Europe du Sud-Ouest. Cromwell et ses fourrageurs ont, à leur ordinaire, démoli ce qu'ils ne pouvaient prendre. Les évictions ont fait disparaître des villages entiers. La grande famine de 1847 a vidé l'île de trois millions et demi d'indigènes, morts de faim ou exilés. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le pays, par un juste ressentiment que notre ignorance pouvait mal mesurer, s'est tenu à distance, a été soupçonné par l'amirauté anglaise de servir de refuge aux sous-marins allemands et, quatre ans plus tard, ne s'est pas trouvé dans le camp des vainqueurs, etc. Quatre siècles d'épreuves et de guignon historique ont rendu l'Irlandais si fataliste qu'il oublie de souligner ce que cette frugalité, cette maigreur, ce manque, comme la quête incessante à laquelle on se livre pour y remédier, peuvent avoir de positif et de précieux..."

Journal d'Aran et d'autres lieux - Nicolas BOUVIER



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